vendredi 5 décembre 2014

Stag(e)nation ?


 

La question des stagiaires est une problématique de plus en plus importante. Que nous regardions en France ou au Québec, la réflexion qui entoure ce « problème » se pose comme essentielle, à la vue des enjeux que ce type « d’emploi » représente (peut-on vraiment parler d’un emploi, et surtout peut-on encore parler de stage ?). La formation professionnelle et l’expérience sont devenues au fil du temps un passage obligatoire afin de compléter une formation scolaire initialement suffisante. Le diplôme sanctionne les acquis d’un individu dans un domaine, lui permettant en théorie de rentrer sur le marché du travail à la sortie d’un cursus, quel qu’il soit. Cependant, il est désormais courant de trouver des propositions d’emplois nécessitant de l’expérience : mais alors, comment les jeunes diplômés peuvent-ils s’insérer sur le marché du travail s’ils n’ont pas la chance de pouvoir acquérir cette précieuse expérience? La spirale s’active immédiatement et s’alimente sans fin. Le stage (passage désormais institutionnalisé durant le cycle d’étude) est devenu la réponse à cette conception de la compétence et de l’entrée sur le marché du travail. Ainsi l’étudiant emmagasine de l’expérience professionnelle en sus de son expérience scolaire. Si l’idée initiale est acceptable et peut se justifier, les dérives qui entourent les stages sont devenues légions. Inutile de dresser une liste exhaustive de celles-ci, chacun se trouve en mesure d’en avancer au moins une. La rémunération dérisoire, voir inexistante des stages est un problème majeur, d’autant plus que les étudiants sont bien souvent surreprésentés dans la catégorie des précaires. Oui, cela devient un problème d’autant plus central, dans la mesure où le stage (qui devrait correspondre à une période de formation et de développement des compétences) devient un travail équivalent à celui que les titulaires peuvent effectuer. Le cas de l’enseignement en France est représentatif de ce problème aux conséquences multiples, comme l’article le souligne. Le stagiaire se voit confier un poste et se retrouve devant les mêmes responsabilités et obligations qu’un employé traditionnel, pour un salaire inférieur dans le cas de la fonction publique, et dérisoire voir absente dans le secteur privé. Si cette conséquence est dramatique, celle qui en découle l’est tout autant : un poste, qui pourrait être occupé à temps plein devient celui des stagiaires, qui effectuent leurs « missions » et sont remplacés par un autre stagiaire, et ainsi de suite. La sanction est double, dans la mesure où le jeune professionnel limite son insertion dans la société (par un revenu faible, une situation de précarité excessive) et où la création d’emploi se limite considérablement par le recours massif aux stagiaires par les entreprises.    
Voici un des multiples problèmes que ce statut engendre et implique, et qui me pousse à m’interroger sur la réelle efficience économique d’une telle manœuvre. Si elle diminue considérablement les « coûts » (le salaire) pour l’entreprise, elle diminue parallèlement la capacité de consommation de l’individu. Quand nous observons le nombre de stagiaires (selon Génération Précaire, il y avait 1,2 millions de stagiaires en 2011, pour le cas de la France), cela représente une « armée de consommateurs » considérable. Comment les analystes, ne serait-ce que du Ministère de l’Economie, ne soient pas en mesure de voir cela ? Certainement parce que les faveurs accordées au patronat dans une logique de réduction du coût du travail prime sur cette réflexion. Là n’est pas le débat aujourd’hui, la connivence des pouvoirs politiques et économiques réclameraient bien plus que ces quelques mots.
Mais dans un État social-démocrate, comment peut-on laisser une marge d’amplitude aussi vaste, sur ce qui pourrait être régulé et encadré de façon à rendre le modèle viable à long terme ? Il m’est, et me sera toujours inconcevable, que l’appareil politique refuse d’entretenir une vision inscrite dans la gestion du futur à long terme (l’exemple de la gestion des ressources d’énergie en est le témoignage le plus explicite), et notamment sur la question du travail (puisque le travail est le centre d’une vie…) qui structure l’existence des acteurs, des institutions et de la société. La question du stage symbolise en cela les manquements d’une classe dirigeante qui n’est plus en mesure de répondre aux problématiques sociales et économiques qui se posent de nos jours.

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/10/A/50903

Benjamin Cauchois

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