dimanche 30 septembre 2018

Worker centers: horizon d'une praxis révolutonnaire


*Par endroit, le masculin est utilisé pour alléger le texte.

Lors de la conférence d’ouverture du colloque « Le travail qui rend pauvre », le 27 septembre dernier, Janice Fine a tenté de donner au colloque un ton optimiste à travers une présentation des modalités d’organisation des travailleurs et travailleuses, ciblant notamment les « worker centers ». Cette dernière, dont les premières manifestations datent aux années 1980, porte, selon Fine, un potentiel important dans la mesure où c’est une forme d’organisation de travailleurs précaires qui n’étaient pas organisés auparavant, pour des raisons de machisme (les travailleurs précaires étant disproportionnellement des femmes) et de marxisme (les travailleurs précaires longtemps considérés comme lumpenproletariat, agents du réactionnisme).

Fine explique que ce qui caractérise les worker centers sont 1) leurs raisons d’être hétérogènes (ethnicité, religion, immigration) et 2) la combinaison spécifique des approches utilisées. D’abord, les centres visent à fournir des services pour contrecarrer la vulnérabilité extrême des immigrants, notamment en termes de représentation légale pour récupérer des salaires non-payés mais aussi en termes d’accès à l’éducation, aux cliniques ou aux institutions financières. Ensuite, les centres font de la recherche et publient des pièces décrivant les conditions de travail dans les industries de travail précaire, afin de présenter des arguments dans la lutte des lobbys gouvernementaux. Enfin, les centres ont bien sûr aussi une vocation d’organiser et de développer le leadership parmi les travailleurs et travailleuses, afin que ces dernières prennent part dans les revendications de changement économique et politique.

Quoique la conférencière ait présenté une croissance du phénomène des worker centers (notamment par l’apparition de fédérations nationales de ces centres, qui peuvent aider les centres plus nouveaux, et par la montée de centres très grands), surtout dans la mesure où il semble y avoir une corrélation entre la proportion de la population née à l’étranger et le nombre de ces centres, elle a aussi présenté quelques défis importants pour ces organisations : 1) leur financement ne provient pas des membres, mais de sources extérieures comme les fondations ou autres entreprises de philanthropie semblables; 2) la plupart des centres sont dans des États qui ont la plus grande quantité de population immigrante ET dont le leadership politique est occupé par le parti Démocrate; 3) dans un contexte de main-d’oeuvre globalement mobilisable, il est très difficile de translater l’appartenance à un centre par-delà les frontières régionales (les États dans le cas des États-Unis) ou nationales.

Avant tout autre chose, il est important de souligner que le contexte des évènements présent diffère beaucoup de celui de la période fordiste. Si, auparavant, l’État « s’engageait dans une stratégie d’encadrement de la main-d’oeuvre et des populations au nom de la solidarité nationale »1, notamment dans le cadre d’une lutte économique et idéologique avec le bloc communiste, aujourd’hui l’État se sert de son pouvoir de coercition et de son monopole de la violence légitime pour dépasser les conditions qui autrefois constituaient le statut salarial2. Que ce soit la création par législation des programmes de travail migrant, fonctionnant comme des mises en échec des hausses de salaires pouvant être causées par la pénurie de la main-d’oeuvre3; ou les décisions judiciaires de Cours Suprêmes qui refusent aux travailleurs agricoles le droit à la négociation collective4 et qui annulent des précédents vieux de plusieurs décennies pour interdire aux syndicats d’obliger ceux couverts par ses conventions collectives de cotiser aux syndicats en question5; ou l’application par la branche exécutive des ajustements structurels imposés par les organisations internationales comme la Banque Mondiale ou le FMI; par tous ces moyens et de tous les côtés, l’État agit activement pour imposer au marché du travail des normes de flexibilisation et de précarisation6 : restriction et activation dans les politiques de l’emploi (Assurance-emploi, aide sociale), élargissement des programmes de travail migrant temporaire, favorisation, par le biais de mesures fiscales, le maintien en emploi des travailleurs pauvres, réduction de l’avantage économique des services (de garde) subventionnés pour favoriser l’essor des services non-subventionnés, etc.

Toutes ces politiques ont comme objectif de mettre en compétition les travailleurs entre eux, afin qu’ils acceptent des conditions d’emploi encore pires : par exemple, les éducatrices en garderie non-subventionnée ne peuvent pas bénéficier des meilleurs salaires, des régimes de retraite et des mesures d’équité salariale de certaines conventions collectives des éducatrices de CPE.

L’existence et l’évolution des worker centers est prometteuse : mais, dans ce contexte, peut-elle faire face aux pressions systématiques de la gestion néolibérale? Ces pressions se manifestent non seulement dans la matérialité de la vie quotidienne (salaire, pension, chômage, besoins) mais dans l’appareillage idéologique mobilisé dans les médias, le droit, à l’école, les mœurs et même la science. Ces centres semblent avoir la capacité d’apporter du soutien matériel (malgré les limites étayées ci-haut), mais, tant et aussi longtemps que c’est par l’invocation de processus étatiques classiques de la démocratie libérale (cours de justice, démocratie représentative, « intérêt public »7) que les institutions (worker centers, syndicats) et les « personnalités » (comme Bourdieu) tiendront à défendre les travailleurs, c’est peine perdue.

Les processus de disciplinarisation idéologique dont relève cette « nouvelle rationalité »8 ossifient une maïeutique dont les vecteurs divers (institutions de la démocratie libérale) doivent toujours aboutir au même résultat : l’être humain uni-dimensionnel, le consommateur9. Tant et aussi longtemps que la classe des travailleurs, précaires ou non, ne se prévaut pas d’une praxis révolutionnaire qui puisse retravailler la correspondance de structures sociales dont le coeur est la forme marchandise10, tant et aussi longtemps que cette praxis ne se met en branle à une échelle globale (nous avons vu où ont mené les échecs de cela au 20e siècle), toute victoire sera à la Pyrrhus.

Cette praxis se cultive, discrètement et patiemment. Il faut la cultiver et l’apprivoiser, car « pour qu’un peuple pût goûter les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d’État, il faudrait que l’effet put devenir la cause, que l’esprit social qui doit être l’ouvrage de l’institution présidât à l’institution même, et que les hommes fussent avant les loix ce qu’ils doivent être par elles »11.


1 NOISEUX, Yanick. « Mondialisation, travail atypique et précarisation : le travail migrant temporaire au Québec », Recherches sociographiques, 2012, p. 392.

2 Cf. CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale: une chronique du salariat, collection Folio essais, Paris, Gallimard, 1995.

3 Cf. NOISEUX, Op. cit.

4 SOUSSI, Sid A. « Les flux du travail migrant temporaire et la précarisation de l’emploi : une nouvelle figure de la division internationale du travail », REMEST, vol. 8, no. 2, 2013, p. 161.

5 LIPTAK, Adam. « Supreme Court Ruling Delivers a Sharp Blow to Labor Unions », The New York Times, 27 juin 2018. En ligne au : <https://www.nytimes.com/2018/06/27/us/politics/supreme-court-unions-organized-labor.html>, consulté le 30 septembre 2018.

6 Cf. BOUCHER, M.-P. et NOISEUX, Y. « Austérité, flexibilité et précarité au Québec : La fuite en avant », Le Travail, n. 81, 2018.

7 Cf. BOURDIEU, Pierre. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde Diplomatique, mars 1998, Paris. En ligne au: <https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609>, consulté le 30 septembre 2018.

8 Cf. DARDOT, P. et LAVAL, C. La nouvelle raison du monde: essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.

9 Cf. MARCUSE, Herbert. L’homme unidimensionnel, Paris, Éd. de Minuit, 1968.

10 Cf. MARX, Karl. « La marchandise » dans Le Capital, Vol. 1, Bibliothèque de la Pléïade, Paris, Gallimard, 1963.

11 ROUSSEAU, Jean-Jacques. Du Contrat Social, Marc Michel Rey, 1762, Livre II, Chapitre 7.

mardi 25 septembre 2018

La beauté… un critère d’emploi ?


Dans un article paru dans le journal Le parisien, Olivier Lejeune se questionne sur les méthodes de recrutements de plusieurs employeurs. En résumé, il nous informe que de nombreux individus ont des difficultés à se trouver un emploi à cause de leur apparence physique. En effet, dans les cas des personnes qui sont le plus touchés, on retrouve les femmes. Celles-ci affirment que l’apparence physique des femmes est très valorisée au travail. Elles ressentent d’ailleurs plus de pression par rapport aux hommes à se conformer aux normes sociales de beautés. De plus, la plupart des individus qui sont victimes de ces méthodes de recrutement ne dénoncent pas la situation.
Les individus sur les panneaux publicitaires, les vedettes de cinéma, les gens de la télévision et les personnalités populaires ont tous quelque chose en commun : la beauté. À quelques exceptions près, un idéal de beauté est projeté constamment. Les gens sont donc souvent conditionnés à être attirés vers une personne concordant aux standards de beauté.

Plusieurs études ont prouvé que le fait d’être beau était avantageux et gagnant dans la vie professionnelle. Dans un autre article de Pauline Pelissier, "Un joli physique octroie un bonus au travail" elle nous témoigne que les plus beaux ont plus de chance d’avoir un bonus au travail que ceux avec un physique ingrat. Ceci insinue que la beauté peut influencer la réussite professionnelle d’un employé qui n’a pas les critères de beautés nécessaires aux yeux de son employeur.

De plus, Olivier Lejeune exprime que non seulement la beauté physique compte pour les recruteurs, mais on y retrouve d’autres critères qui sont rapprochés :« La corpulence mais aussi l’origine ethnique, réelle ou supposée, la religion, réelle ou supposée, liées à des signes physiques distinctifs, les codes d’apparence… ». [Lejeune, 2018] Ceci démontre que la discrimination des individus par leur apparence est de nos jours encore répandue. Le milieu de travail se passe d’individus qui sont qualifiés et qui ont le désir de travailler, en raison de leur apparence physique. Cette façon de faire est complètement absurde et illogique. Malgré l'accroissement des lois et l’existence de Syndicats, ce phénomène de discrimination envers les individus existe encore de nos jours et continue de se surpasser en dépit de la diversification culturelle dans les pays développés.
Dans notre société hypermoderne, les critères de beautés véhiculés par la culture d’appartenance amènent les gens à se conformer afin d’être valorisés. L’apparence physique d’un individu est cependant un aspect extérieur qui l’influencera tout au cours de sa vie, soit positivement ou négativement.
Le secteur tertiaire est un milieu de travail qui est capitale dans notre société de consommateurs, donc il existe de nombreux emplois à combler dans ce domaine. Cependant, selon les recruteurs la réussite de l’entreprise dépend de la beauté de son personnel et non pas de ses qualifications en lien avec le travail.

Enfin, il devrait y avoir un processus de sélection qui valorise toutes sortes de personnes dans toutes les entreprises. Qu’elle soit grosse, petite ou moyenne, elle doit avoir sa place dans son milieu de travail, essentiellement dans les milieux de travail relié au service à la clientèle.

Par Liza Azouaou

Bibliographie :
LEJEUNE, OLIVIER. Discrimination physique à l’embauche : « Il faut encourager les victimes à parler !». Le parisien, 2018.
En ligne au : http://www.leparisien.fr/economie/discrimination-physique-a-l-embauche-il-faut-encourager-les-victimes-a-parler-23-06-2018-7789122.php

PELISSIER, PAULINE. Prime à la beauté : "Un joli physique octroie un bonus au travail", Grazia, 2018. En ligne au : https://www.grazia.fr/news-et-societe/societe/prime-a-la-beaute-un-joli-physique-octroie-un-bonus-au-travail-881487

Amener les jeunes à leur plein potentiel ou intégrer les besoins de l’entreprise ?



Nous entendons souvent parler de pénurie de main-d’œuvre, des baby-boomers qui partent à la retraite et de la baisse du nombre d’enfants dans les familles québécoises, depuis quelques années déjà. À entendre cela par-ci et par-là, on pourrait s’imaginer facilement que toute cette boucle est bien évidente et que nous devons effectivement faire face à des solutions pour combler cette pénurie de la main-d’œuvre. Le gouvernement du Québec estime que dans la prochaine décennie, il y aura environ un total de 1,3 million d’emplois à combler, mais qui sont exactement les individus qui combleront ces emplois et de quels emplois on parle exactement ? À la lumière de cet article, il semblerait qu’il faut miser principalement sur l’intégration des jeunes au travail.

La situation actuelle et la place des jeunes dans la population active

En mai dernier, le gouvernement de Philippe Couillard a lancé la stratégie nationale sur la main-d’œuvre 2018-2023. Dans ce rapport, il est estimé que d’ici quelques années, le 54% des postes à combler seront pris en charge par les jeunes[4]. Si nous regardons la situation de chômage actuel pour la population québécoise, les données fournies, en mars dernier, par Statistique Canada s’élevé à un taux de chômage de seulement 5,6% [5]. Ce qui est un très petit pourcentage des personnes qui se trouvent au chômage. Par contre pour Alexandre Soulières, directeur général de la RCJEQ (Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec), le chômage des jeunes de québécois(e)s, qui s’élevait à 10,1% en juillet dernier, semblerait être un pourcentage inquiétant[4]. Selon lui la stratégie nationale sur la main-d’œuvre devrait appuyer davantage les Carrefour Jeunesse-Emploi [4].  

La stratégie d’intégration de l’emploi des jeunes

Le discours de l’inclusion des populations marginalisées dans le milieu laboral est un beau projet souvent énoncé par les partis politiques libéraux. Malheureusement, se sont très souvent que des discours, car évidement l’inclusion sociale est loin d’être la priorité numéro un des grosses entreprises. Le directeur général de la RCJEQ et ancien conseiller politique du premier ministre incarne un même discours semblable sur l’inclusion des jeunes. Le vieillissement de la population est selon lui une opportunité en or pour que les jeunes puissent « choisir le poste qui leur correspond et ainsi se réaliser et s’épanouir »[4]. La fameuse liberté du choix. Une personne en réinsertion sociale a-t-elle énormément de choix ou bien n’a-t-elle plus autant de choix de réintégrer le marché de l’emploi ? La culpabilité et la responsabilisation de sa condition de sans-emploi pèsent bien plus que le fameux choix de s’épanouir au sein d’une entreprise [2]. Mais, pour que ces jeunes puissent un être des futurs employés disciplinés, il faut bien qu’ils soient initiés aux réalités de celles-ci. Monsieur Soulières, semble avoir tout prévu. Dans ses carrefours jeunesse-emploi, ils y offrent une formation entrepreneuriat, dont un des buts est que les jeunes puissent se familiariser avec les valeurs, les nécessités du marché et les compétences que les jeunes doivent adopter face aux entreprises. Ce rêve d’être entrepreneur est en plein cœur de la gestion néolibérale de l’entreprise. En sachant que tous ne deviendront pas entrepreneurs, ils les auront du moins initiés à l’individualisation des performances au travail. Ces futurs employés pourront maintenant être prêts pour la course aux avantages salariale. [1] [2].  Au sujet des compétences, l’article en conclut qu’il semble important que les jeunes soient amenés à un développement de leurs « compétences transversales, celles qui seront transférables d’une entreprise à une autre, d’un poste à un autre, d’un métier à un autre »[4].

Les emplois des retraités ou les emplois du futur ?

Et alors les emplois ? Quels sont les emplois que ces jeunes et que la future génération occuperait ? Ça ne semble pas très clair. En fait, comme l’article fait référence, un rapport de Economic Forum indiquerait que « 65 % des enfants qui entrent au primaire aujourd’hui occuperont plus tard un emploi qui n’existe pas encore actuellement » [4]. Il est certain que beaucoup de changements s’opèrent dans le marché de l’emploi, et ce principalement par la technologie de l’automatisation de certaines tâches qui touche une variété d’emplois [3]. Les emplois les plus grandement touchés sont les individus moins formés. Peut-on penser que l’approche « des compétences transversales », « transférables d’une entreprise à une autre » serait peut-être trop généraliste pour ce qui attend les jeunes dans un futur non lointain ? Il faudrait peut-être songer à une éducation sur la formation des nouvelles aires d’emploi [3].  

 Par Salomé Aristizabal

[1] BOURDIEU, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p.11.

[2] Darot et Laval. 2009. « Discipline (3) : la géstion négolibérale de l’entreprise », dans La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp 309-314.

[3]DESROSIERS, Éric. « La formation sera la clé face à l’automatisation », Le Devoir, 24 mars 2018. https://www.ledevoir.com/economie/523537/automatisation


[4] ROULOT-GANZMANN, Hélène. « Amener les jeunes à leur plein potentiel », Le Devoir, 22 septembre 2018.  https://www.ledevoir.com/economie/537137/amener-les-jeunes-a-leur-plein-potentiel

[5] Statistique Canada. 2018. « Taux de chômage selon la province, mars 2018 ». https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/180406/cg-a003-fra.htm

Plein emploi et pénurie de main-d'oeuvre: critique et contradiction

*Par endroit, le masculin est utilisé pour alléger le texte.

Plein emploi et pénurie de main-d’oeuvre. Termes formant le noyau du diagnostic qu’on nous fait représenter déjà depuis quelque temps et qui revient régulièrement, notamment le 22 septembre dernier1. Si nous prenons un moment pour considérer ces deux termes, leurs significations respectives s’obscurcissent.

Par plein emploi, on s’attend à comprendre qu’il s’agit d’un taux de chômage très faible. Et en effet, le Québec, à un taux de 5,6%2, se porte immensément mieux que d’autres pays comme la Grèce, qui affichent un taux de plus de 19%3. Quoiqu’on puisse questionner s’il est pertinent de considérer qu’un territoire est en plein emploi malgré que plus d’un vingtième de sa population soit en recherche d’emploi, c’est historiquement et comparativement un très bas taux.

Tenons en esprit ce plein emploi, et interrogeons la notion de pénurie de main-d’oeuvre. À la lumière de notre paragraphe précédent, cette notion se révèle opaque : s’il y a « près de 600 000 travailleurs sans emploi »4, comment peut-il y avoir pénurie, si pénurie signifie « manque de »? Après tout, on vient de voir que 5,6% de la population active (environ 300 000 personnes) cherche activement à vendre sa force de travail à un propriétaire des moyens de production!

Quoique nous pensions qu’une partie de cette situation s’explique par la distance séparant travailleurs (disons Montréal) et emploi (disons Val-d’Or), nous pensons que cette seule explication est largement insuffisante, car le gouvernement planifie une mobilisation importante, évaluée à 1,3 milliards sur cinq ans5 pour essayer de pallier cette « pénurie », et il fait appel notamment aux politiques favorisant la main-d’oeuvre immigrante.

Plein emploi et pénurie de main-d’oeuvre. Or, comme on l’a vu, plein emploi signifie qu’il reste des centaines de milliers de personnes en recherche d’emploi; malgré cela, on manque de main-d’oeuvre, nous dit-on du même souffle. Nous sommes devant une contradiction. Puisque nous sommes de l’école qui considère que la formulation d’une contradiction contient en elle-même les conditions de son dépassement, nous souhaitons retourner à un examen plus précis de la notion de plein emploi.

Si nous avons précédemment discuté de la notion de plein emploi, nous désirons maintenant nous attarder sur l’autre versant, le plein emploi. Nous pouvons dire qu’un emploi a plusieurs modalités, qualitatives et quantitatives : temps plein/temps partiel; contrat à durée déterminée / indéterminée; pension à cotisation déterminée / prestation déterminée; rapport productivité-salaire; valeur des avantages sociaux; degré de contrôle sur le processus de production; etc.

Ces modalités ne sont pas exhaustives et ne peuvent l’être : l’emploi est un phénomène social, c’est-à-dire un processus tributaire de l’ensemble des institutions sociales et de leur dimension historique. Or, l’ensemble actuel des institutions sociales subit une importante pression de la part de ceux qui ont le pouvoir d’imposer leur volonté : ayant acquis leur pouvoir à travers la victoire dans la compétition, ils ont du même coup contribué à « l’institution pratique d’un monde darwinien de la lutte de tous contre tous […] qui trouve [ses] ressorts […] dans l’insécurité, la souffrance et le stress »6 produits par la précarisation et la menace permanente du chômage.

Ce phénomène général s’est concrétisé, au Québec notamment : la part du travail à temps partiel a doublé, le travail autonome a cru de 50% et le nombre de personnes cumulant des emplois a triplé7. En d’autres mots, la qualité des emplois a, en général, fortement diminué au cours des dernières décennies. Quoique ce changement puisse être attribué à une inertie dans certains domaines législatifs, l’État a néanmoins joué un rôle clé dans ce changement, mettant « en place un ensemble de dispositifs institutionnels favorisant la mise en concurrence des travailleurs et travailleuses »8.

Nous sommes là témoins d’une inversion impressionnante : l’État, faisant appel aux théories mettant en garde contre un gouvernement trop actif devenu Frankenstein, agit activement pour créer la compétition et la division entre travailleurs. À la lumière de ce développement, nous pouvons lire un passage de Milton Friedman comme un véritable appel à l’unité des classes travaillantes : « The free man will ask neither what his country can do for him nor what he can do for his country. He will ask rather ‘What can I and my compatriots do through governement?’ »9

Ainsi, à travers cet examen plus précis de la notion d’emploi, nous semblons arriver au constat qu’il n’y a pas contradiction entre plein emploi et pénurie de la main-d’oeuvre dans la mesure où il semble naturel que l’emploi est une institution sociale dont un des fondements est la menace du chômage. On ne peut pas employer tout le monde, puisque les employeurs perdraient le pouvoir de coercition (menace du chômage) à travers duquel ils s’approprient une partie du travail des autres (plus-value). La notion de pénurie de main-d’oeuvre semblerait impliquer que les employeurs se fassent compétition entre eux pour offrir des meilleurs conditions de travail pour obtenir des employés. Or, on voit que les conditions de travail s’appauvrissent et que les gouvernements instituent des politiques d’immigration pour pallier le manque de travailleurs : pas question pour les propriétaires des moyens de production de se faire compétition entre eux. Rappelons-nous des mots de Marx et Engels : « Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »10

En somme, ce billet nous semble devoir aboutir à une invitation pour tous les travailleurs de faire preuve d’esprit critique : c’est notamment à travers la dissipation des signes hyperréels11, c’est-à-dire des notions qui ne représentent aucune réalité, qu’ils et elles formeront les conditions de leur émancipation. En effet, la contradiction ne se réalise pas entre ceux qui n’ont pas d’emplois et ceux qui en ont, mais entre ceux qui ont la propriété des moyens de production et ceux qui n’ont à vendre que leur force de travail.

1 ALARIE, Marie-Hélène. « Pénurie de main-d’oeuvre? », Le Devoir, 22 septembre 2018. En ligne au : <https://www.ledevoir.com/economie/537141/penurie-de-main-d-oeuvre>, consulté le 25 septembre 2018.

2 INSTITUT DE STATISTIQUE DU QUÉBEC. « L’emploi et le taux de chômage restent stables en août 2018 », 7 septembre 2018. En ligne au : <http://stat.gouv.qc.ca/salle-presse/communique/communique-presse-2018/septembre/sept1807.html>, consulté le 25 septembre 2018.
 
3 TRADING ECONOMICS. « Grèce - Taux de chômage ». En ligne au : <https://fr.tradingeconomics.com/greece/unemployment-rate>, consulté le 25 septembre 2018.

4 ALARIE, Op. cit.

5 Ibid.

6 BOURDIEU, Pierre. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde Diplomatique, mars 1998, Paris. En ligne au: <https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609>, consulté le 25 septembre 2018.

7 BOUCHER, M.-P. et NOISEUX, Y. « Austérité, flexibilité et précarité au Québec : La fuite en avant », Le Travail, n. 81, 2018, pp. 121-122.

8 Ibid., p. 123.

9 FRIEDMAN, Milton. Capitalism and Freedom, The University of Chicago Press, Chicago, 2002 [1962], p. 2.

10 ENGELS, F. et MARX, K. Le manifeste du parti communiste, 1847, chapitre 1.

11 BAUDRILLARD, Jean. Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 1981.

lundi 24 septembre 2018

La disparité au travail


Le service des soins en santé est l’une des plus grandes problématiques au Québec. L’attente, la qualité et l’accès aux soins font de cet enjeu, une priorité pour les québécois. Il s’agit d’un enjeu électoral important ou tous s’entendent pour dire que les infirmiers n’ont pas assez de responsabilités et pourraient soigner davantage de patients. Certaines interventions médicales ne leur sont présentement pas autorisées malgré leur niveau d’étude. Dans l’article présenté ci-dessous, on évoque que les médecins de famille et les médecins spécialistes sont nettement mieux rémunérés ici qu’en France. Pourtant, en France, l’accessibilité aux médecins est beaucoup plus efficace. Au Québec, il y a 242 médecins pour 100 000 habitants. Comparativement à la France, où pour 100 000 habitants il y a 337 médecins. La moyenne de l’Europe est de 370 médecins pour 100 000 habitants. À l’intérieur des frontières de l’Europe, le Québec se classerait à l’avant dernier rang tout juste devant la Pologne. En 2011, le salaire des médecins de famille et des médecins spécialistes doublait celui des français. On a pensé que la crise du système de santé était du au salaire des médecins uniquement. Une vision d’ensemble aurait probablement favorisé une meilleure analyse. De ce fait les médecins ont des salaires supérieurs avec un environnement de travail qui laisse à désirer. L’écart de salaire des médecins avec les autres fonctionnaires doit probablement se faire ressentir. La gestion des patients n’est pas efficace. La charge de travail s’accroit et le personnel tout entier est épuisé. Des conditions de travails semblables ne favorisent pas l’efficacité de l’ensemble du système.

La justification serait liée au désir d’avoir une parité de rémunération semblable entre les provinces canadiennes. Une rémunération trop basse justifierait les médecins d’émigrer ailleurs au Canada. Cela dit, les médecins français ont prouvé le contraire. Malgré que je trouve important qu’il y ait une parité entre les provinces, en comparant le salaire des médecins aux autres provinces, celle-ci s’hisse au troisième rang les mieux rémunérés. On peut dire que l’objectif a été plus que surpassé. Il est de rappeler que la province québécoise est la plus imposée du Canada et que les médecins veulent travailler ici quand même. Dans aucun article il a été mention de ce paramètre. L’augmentation des salaires n’est donc pas une variable permettant un lieu de travail sain. En s’appuyant sur un autre article réalisé par Radio-Canada, on réalise que le salaire des autres fonctionnaires n’augmente pas aussi rapidement. Ce décalage rend injuste la rémunération des médecins québécois. Cette rémunération élevée devait permettre une meilleure  offre des soins reçus par les citoyens. Au contraire, les médecins ont une productivité moindre qu’auparavant. Selon radio-Canada, une des raisons notable pourrait être due au vieillissement de la population nécessitant ainsi des soins davantage particuliers. L’explication demeure tout de même floue. L’article à, selon moi, voulu trouver une raison concrète sans chercher plus loin. Répartir les tâches permettrait un milieu de travail équilibré. Le travail serait mieux partagé favorisant l’entre-aide et la solidarité entre les membres du corps de la santé.

Le budget alloué aux infirmiers s’est apprécié de 41% entre 2006 et 2015. Cette augmentation n’est pas équitable quand on observe la hausse du budget alloué aux médecins explosant de 106%. Dans cette même période, la rémunération des médecins s’accroit de 71%, contrairement à celui des infirmiers qui augmente de 24%. À titre informatif, celui de l’ensemble des fonctionnaires s’accentue de 21% au Québec. Une trop grande augmentation du budget octroyé aux médecins, en si peu de temps, a peut-être joué un rôle quant à notre système de santé qui ne répond pas aux attentes des citoyens. Une progression plus lente et plus juste avec les autres secteurs aurait peut-être favorisé une stabilité au sein du système de santé. Une part trop importante du budget  a été concentrée à un seul endroit délaissant les médecins à eux-mêmes. Un investissement à un seul endroit ne permet pas de créer un levier assez puissant pour remettre une fonction publique à l’ordre. Surtout quand l’investissement ne touche qu’une petite partie du système de santé.

Pour ma part, il serait important de mieux valoriser l’emploi des infirmiers et infirmières du Québec en augmentant leurs responsabilités. Cette action aura pour but de désengorger les hôpitaux, d’offrir de meilleurs soins et surtout de diminuer l’inégalité entre les médecins et les infirmiers. Tout en tenant compte des autres provinces,  une diminution de l’écart des rémunérations entre les médecins et tous les membres du personnel de la santé permettrait d’accroitre l’offre de santé et ainsi réduire le temps d’attente des patients ayant des problèmes nécessitant obligatoirement l’expertise d’un membre du personnel. L’abolissement des primes accordées aux médecins pourrait, à lui seul, augmenter le salaire des infirmiers de manière considérable.

Par Florence Dagenais






Le système de santé québécois : l’argent au détriment de la santé




La réforme du système de santé au Québec en 2015 a fait des ravages. C’est à ce moment, avec son implantation, que « débute la plus grande entreprise de privation du système public de santé et de services sociaux québécois. »[1]La réforme du ministre Barrette a eu un effet boule de neige sur le système de la santé et la gravité des conséquences ne cesse de croître. Les usagers, ainsi que les individus y travaillant se trouvent considérablement affectés, voir même en danger.

Le syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a publié le 20 septembre 2018 un article dénoncent le danger qui plane sur les Centres de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme (CRDITSA)[2]. Autrement dit, une problématique grave est présente dans ces centres, autant pour le personnel que pour les usagers. Un manque criant de ressources, autant humaine qu’économique, ainsi qu’une désorganisation institutionnelle grandissante place les travailleurs de ces centres dans des conditions extrêmes. Les situations d’augmentation des congés de maladies, de travailleurs qualifiés qui démissionnent, voir même deviennent invalident ne sont pas surprenante et anodine avec la réforme engendrée par se cher ministre Barrette. Des individus qui sont peu, ou aucunement expérimentés prennent les commandes, sans personnel de référence la plupart du temps, ce qui entraine des répercussions immenses. Les patients de ces centres ont besoins d’encadrement et de soins particuliers, ce qui signifie que les travailleurs doivent leur consacrer du temps, or, ils n’en ont pas. Le manque de personnels, le nombre d’heures supplémentaires effectué par les employés, ainsi que l’augmentation de la pression venant des usagées constituent un cocktail explosif pour les salariés des CRDITSA.

Le SCFP n’est pas le premier syndicat à s’indigner devant de telles conditions de travail. La fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) dénonce elle aussi des conditions semblables. De plus, depuis l’implantation de la réforme, un nombre important de publication défile autant dans les journaux que sur les réseaux sociaux et dénonce une problématique semblable que ceux évoqués par le SCFP. On peut penser, entre autres, à un message, publié via Facebook, d’une jeune infirmière à la fin janvier 2018. [3]Vraisemblablement troublée par ses conditions de travail, elle livre un message poignant dans lequel elle s’adresse ironiquement au ministre de la santé. Les propos tenu par cette jeune infirmière sont devenus viral et ont touché un nombre considérable de Québécois. La jeune femme va même jusqu’à remettre son métier en question vu la gravité de la situation : « Je suis brisée par mon métier, j’ai honte de la pauvreté des soins que je prodigue dans la mesure du possible. Mon système de santé est malade et mourrant. »[4]. La conclusion de son message résume parfaitement ce que vivent beaucoup de professionnels de la santé : « Je pense pas être la seule qui est démolie par la réalité des soins infirmiers, on a même pu le temps de soigner. Les employés tombent comme des mouches. Le mal est physique et mental. Mais hey, la réforme est un succès. »[5]

Travaillant moi-même dans le système de la santé, les propos tenus par cette jeune femme, ainsi que le SCFP ne sont en rien exagéré. L’intensification du travail engendré par la réforme crée une réelle souffrance au travail, trop souvent ignoré par les cadres.  Ceci est dû, entre autre, à la centralisation des centres de santé et de services sociaux, ou ceux qui dirigent les départements ont une très vague idée des réels besoins sur le terrain. Dans sa définition moderne, le travail se veut vecteur de liberté et d’émancipation. Or, lorsque le travail mène ses employés vers la maladie, l’émancipation et la liberté n’est pas tellement envisageable. J’ai de la difficulté à comprendre le paradoxe. Comment peut-ont considéré comme normal un système de santé qui transforme ses travailleurs, qui constitue le noyau central de ce même système, en usagées ?

Malgré l’amélioration considérable des milieux de travail depuis la révolution industrielle, entre autre avec les lois du Travail et les syndicats, de grandes lacunes sont toujours présentes et certains secteurs d’activités sont d’avantages affectés. Sur le plan politique, l’évolution d’un État-providence vers un État-néolibéral n’est pas anodine à la situation. Le détachement émotionnel dans un modèle purement rationnel et orienter sur le profit et la production peut avoir des conséquences désastreuses sur la population. Dans une société ou l’économie prime sur toute les sphères, y compris sur la santé, qui elle, constitue un élément central à la vie humaine, un questionnement sur les priorités et les valeurs s’impose, surtout dans une société présentement en période électoral.

Par Bianca Deschênes




[1] Coalition Solidarité Santé, La réforme Barrette : une énième réforme pour réduire le système public de santé et de services sociaux au profit du privé, 2017, En ligne au http://www.cssante.com/node/508, page consulté le 21 septembre 2018.
[2] Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), Personnel et clientèle autiste ou déficiente intellectuelle en danger dans les CRDI, 20 septembre 2018, En ligne au http://scfp.qc.ca/personnel-et-clientele-autiste-ou-deficiente-intellectuelle-en-danger-dans-les-crdi/, page consulté le 20 septembre 2018
[3] Touzin, Caroline, Le cri du cœur d’une jeune infirmière devient viral, 30 janvier 2018, En ligne au http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201801/30/01-5151988-le-cri-du-coeur-dune-jeune-infirmiere-devient-viral.php, page consulté le 22 septembre 2018
[4] Ricard, Émilie, La réforme du système de la santé est un succès, 29 janvier 2018, En ligne au https://www.facebook.com/emilie.ricard.7/posts/10156149686128966, page consulté le 22 septembre 2018
[5] Ibid.