dimanche 23 septembre 2018

Entre pratique de la précarité et précarisation de la pratique, La protection des employés de la restauration au Québec :



            En restauration, « tu passes à travers des moments pas agréables, mais après, t’as l’impression d’avoir survécu à une épreuve ». Pour Stéphane Larue, auteur du Plongeur, travailler dans un restaurant représente une expérience unique, pour lui, devenir plongeur lui a permis de passer du côté visible et magique à l’univers « sombre » de la cuisine…

            Le secteur de la restauration est à la fois intriguant et trépidant, de par la diversité de sa main d’oeuvre, ou encore, les différents types de restaurants que nous pouvons y trouver. Mais c’est aussi un milieu opaque et incertain dans lequel les employés sont peu protégés.
Il faut savoir que l’industrie de la restauration représente quelques 230 000 travailleurs au Québec. Ces derniers cumulent en moyenne 24 heures de travail par semaine soit un nombre d’heure bien en deçà des 35 heures réglementaires pour être à temps plein. Par ailleurs, le salaire moyen ne dépasse les 15$ que trop rarement. Encore une fois, ce chiffre est bien en dessous du salaire moyen au Québec. Or, ces éléments ne font que symboliser « l’épée de Damoclès au-dessus de la tête des travailleurs » précaires qui survivent dans ce milieu.
Le serveur, soumis à l’arbitraire du client qui pourrait doubler son salaire, n’est qu’un pion dans l’échiquier. Le chef représente quant à lui, une autorité certaine, toute puissante, issue d’une tradition française où la hiérarchie est omniprésente. Dans ce véritable « système militaire », les conditions de travail sont rigoureuses : Des horaires atypiques, des salaires faibles et inégaux, une pression et un stress énorme. Le coup de feu annonce le début des hostilités et l’équipe ne fait alors plus qu’une face aux assauts des commandes qui arrivent. Dans ce contexte où tout le monde se bat pour la satisfaction du client, les relations interpersonnelles sont compliquées et les conflits sont nombreux.
Cette précarité vécue par les salariés est aussi une réalité pour les administrations des restaurants. Cette dernière s’exprime à travers une multitude de facteurs comme une concurrence féroce, des taxes et des loyers élevées, etc. Ainsi, « après seulement cinq ans d’exploitation, c’est plus de 71 % d’entre elles qui auront fermé leurs portes ». Dans certaines TPE, le chef qui est aussi le patron doit s’adapter, se « flexibiliser » pour résister à la concurrence. Il adopte alors différentes stratégies. En réduisant les effectifs, le rythme de travail s’accélère. Pour rester compétitifs, les techniques de vente changent (livraison de plat préparé à travers des services comme Deliveroo, Foodora, UberEats, etc.). Finalement, la rentabilité à court terme prend le dessus sur les différentes logiques de reconnaissance du travail.
Cette dévalorisation systématique du travail (conditions de travail difficile, précarité de l’emploi et rapports sociaux inégalitaires) provoque un turn-over énorme. Au Québec, en restauration, c’est « un travailleur sur deux » qui veut changer d’entreprise. Il n’est alors pas étonnant de voir que le taux de syndicalisation en restauration fait partie des plus faibles (10,3 % des travailleurs sont syndiqués). Pourquoi être protégé alors qu’on sait qu’on ne restera pas longtemps en emploi ? Par ailleurs, comme le rappelle Philippe Bernoux :
« Des salariés peu motivés n’ont plus de comportements innovateurs. Ils subissent, sans s’impliquer, ce qui dans le contexte de concurrence actuelle où l’entreprise doit inventer de nouvelles manières de produire et de nouveaux produits, mène à l’échec. »
            Finalement, le sort des travailleurs en restauration doit-il dépendre d’un système archaïque où le chef ou le superviseur représentent une figure d’autorité arbitraire ? Cet été, deux chaînes de restauration rapide à Montréal (Frites Alors ! et Aux vivres) ont créé leurs syndicats et sont désormais protégés par des conventions collectives. Cette avancée à l’initiative des employés force l’employeur à négocier par « l’entremise des représentants ». Ils ont ainsi mis fin à un système dans lequel chacun se débrouille de son côté, où « chacun négocie son salaire et ses conditions ». Le cadre légal et institutionnel du syndicat permet donc de réduire l’arbitraire patronal et de protéger les employés à plus long terme.
            Pour conclure, la diversité des types d’établissements de restauration (bistrot, chaîne, gastronomique, familiale etc.) présente une diversité des cultures et façons d’organiser son entreprise. Or, si la solidarité est présente en restauration, le roulement important rend difficile la mise en place d’une équité de traitement entre les employés. La syndicalisation pourrait donc, grâce aux conventions collectives, protéger les individus de manière égale, équitable et dans la durée. Mais ce changement structurel dépend d’un changement de culture au sein de la restauration. Et si pour Emma Glorioso-Deraiche, « ça passe par les gens qui sont là présentement », au regard des événements de cet été, la situation pourrait vite changer. À suivre donc.

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