Ça y est, on apprenait le mois dernier
que le conflit de la construction s’achève [1] ! La ministre du Travail,
Dominique Vien, a limité l’objet de l’arbitrage aux enjeux de salaires.
Rappelons que, lors de l’imposition de la loi spéciale de cet été, le
Gouvernement s’était accordé le droit de dicter les sujets traités si le
conflit en arbitrage si le conflit devait s’y rendre.
Toutefois, force est d’admettre que cette
grève de cet été reflète bien, d’une part, la cacophonie d’une loi (la loi
R-20, votée en 1968 [3] ; et d’autre part, lorsque l’on s’attarde aux
revendications de l’Association des contracteurs du Québec (ACQ), les transformations
majeures que subit l’organisation du marché du travail aujourd’hui.
Particularités
de la loi R-20
L’industrie de la construction a des
réalités qui lui sont propres. En plus d’être particulièrement sensible aux
aléas de l’économie, son activité fluctue en fonction de la température, du
prix des matériaux, et des saisons. Bref, tout travailleur et travailleuse de
la construction doit jongler – du moins au début de sa carrière – avec la dure
réalité du chômage, par faute d’ouvrage.
Au Québec, c’est la loi R-20 qui régule les
relations de travail de ce secteur. À cet effet, celui-ci est l’un des seuls à
être régis par décret, et donc, de ne pas être souscrit au Code du travail. Ainsi,
il oblige à la fois les syndicats accrédités par ladite loi (FTQ-construction,
le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, le Syndicat
québécois de la construction, la CSD-Construction et la CSN-Construction :
formant l’Allience syndicale) et les contracteurs reconnus (ACQ), à nommer des
représentants-es principaux pour négocier. Toutefois, ses failles sont particulières
et engagent des conséquences délétères sur les travailleuses et travailleurs.
Les
éléphants dans la pièce : les trois grandes failles d’une loi
Premièrement, elle ne prévoit pas
d’article anti-briseur de grève [4], élément non banal lorsque l’on considère –
et c’est le deuxième problème – qu’elle ne prévoit pas une clause de solidarité
entre les travailleurs-euses [5]. Dit autrement, alors qu’ordinairement au
Québec, un mandat de grève engage tout un groupe de syndiqués-ées, dans la
construction, celui-ci est un choix individuel, ce qui provoque inévitablement une
volonté – à juste titre – de « vider les chantiers » par les
travailleurs-euses qui se voient remplacés-ées par des travailleurs-euses en
périphérie.
Troisièmement, comme le remarque Eve-Lyne
Couturier de l’IRIS [6], elle ne prévoit pas la possibilité d’inclure une
clause de rétroactivité dans le cas où la convention collective est signée
après son échéance [7]. C’est l’une des principales failles, d’ailleurs bien
exploitées depuis quelque temps par l’association patronale : l’augmentation
salariale prévue en fonction de l’inflation n’est pas rétroactive à la date
d’échéance de la convention, ce qui fait en sorte que les contracteurs ont tout
intérêt à faire durer le conflit jusqu’à la fin de la saison, de manière à ne
pas devoir couvrir les augmentations salariales [8].
Les évènements du conflit de cet été sont
d’une part explicable par ces trois éléments, soit : l’absence de loi
anti-briseur de grève, un droit de grève individuel, et l’interdiction d’appliquer
une convention collective rétroactivement, ce qui au final, rend le patronat gagnant
d’une grève des travailleurs et travailleuses. Faut le faire ! Mais d’autre
part, il ne fait nul doute que le conflit traduit les réalités d’une société et
de ses institutions en plein changement, et cela en premier lieu à travers le
discours de l’État – devenu gardien de l’économie – et en deuxième lieu, par
les propos tenus par le patronat, revendiquant davantage de flexibilité.
Un
marché du travail en changement : le discours de l’État
«
Je veux juste rappeler à tout le monde que le conflit de la construction – et
c’est pas anodin – coûte à l’économie québécoise 45 millions $ par jour. […]
Moi je souhaite qu’il y ait une entente entre les parties, mais on ne pourra
pas laisser l’économie saigner 45 M$ par jour.
Journaliste :
Est-ce qu’il y aura une loi spéciale ?
On
sera prêt à agir ! [8]
C’est en direct d’Israël que ce curieux
échange entre un journaliste et le Premier ministre Philippe Couillard donnait
le ton à la grève des travailleurs-euses de la construction qui devenait chaque
jour plus probable, les négociations tournant en queue de poisson. Le lundi
suivant, après seulement cinq jours, celle-ci fut votée à l’Assemblée nationale
et la grève des 170 000 travailleurs de la construction prit subitement fin,
pour se transporter en médiation, puis en arbitrage en novembre dernier [9].
L’histoire s’est donc répétée, puisque lors des précédentes négociations en
2013, au moment des renouvellements des conventions collectives[1],
le gouvernement du Parti Québécois était également intervenu, brandissant la
menace d’une loi spéciale avant même que la grève n’eût été commencée [10]. Au
cours des débats entourant l’adoption de la loi spéciale à l’Assemblée
nationale, le Parti libéral et la Coalition avenir Québec, tout comme il avait
été le cas en 2013 par le Parti Québécois, clamaient les dangers de pertes
économiques engendrées par la grève [11].
Bref, en premier lieu, ces huit dernières
années – soit lors de l’échéance des deux dernières conventions collectives – l’État
s’impose dans le débat au nom de la sauvegarde de l’économie. Désormais, plus
question d’autoriser la grève, et ce au nom de la sacro-sainte économie. L’État
prend désormais le parti de l’économie sans se soucier des revendications des
travailleurs-euses.
Ce discours montre bien le changement de
cap de l’État [12]. Car bien que les lois spéciales ont été nombreuse dans cette
industrie, force-nous est d’admettre que le discours mis de l’avant, soit celui
de l’économie, reflète bien le passage vers un État néolibéral régulateur, acteur
dans une mise en compétition des travailleurs-euses entre eux et elles. À ce
premier grand changement relatif au discours du gouvernement s’ajoute un
deuxième grand changement, à savoir les revendications tenues par la partie
patronale, propos inhérents à celui de la flexibilité.
La
recherche de flexibilité du patronat
En début d’année, la partie patronale est
arrivée avec les mêmes revendications sur la table qui, quatre ans auparavant,
avait soulevé les tollés et la colère des travailleurs-euses. L’une de
leurs demandes centrales est ancrée dans le discours de la flexibilité. On cherche à acquérir la possibilité d’imposer aux employés-ées
de travailler le samedi en cas de journée de pluie, à bénéficier d’horaires flexibles
quant aux heures de début et de fin des journées de travail, ainsi que, pour la
plupart des secteurs, des taux horaires et possibilités plus avantageux. Ce qui
attire notre attention, c’est le discours mis de l’avant, c’est-à-dire de la
nécessité de l’incorporation flexibilité dans un marché en compétition, où les
contracteurs doivent être à même de « mieux répondre aux demandes des clients
commerciaux » [13].
On assiste donc à un conflit traduisant ce
tournant politique vers une mise en compétition des entreprises et des travailleurs
entre eux, où la loi agit de manière à défaire la solidarité entre les travailleurs-euses,
notamment en ne prévoyant pas de loi anti-briseur de grève ni application
collective d’un mandat de grève. Également, le discours axé sur la « santé »
économique que tient le Gouvernement, combiné au discours de flexibilité de l’ACQ
reste confiné dans ce grand tournant : au nom de la croissance et de l’efficience,
l’État se permet de mettre fin à une grève votée démocratiquement [14].
Références
[1] Lévesque,
Lia (28 novembre 2017). « Arbitrage dans la construction: syndiqués soulagés,
entrepreneurs déçus », La Presse, consulté
le 17 décembre 2017, en ligne < http://affaires.lapresse.ca/economie/quebec/201711/28/01-5145119-arbitrage-dans-la-construction-syndiques-soulages-entrepreneurs-decus.php>.
[2] http://www.apecq.org/00APECQ/possibilite_travail_pendant-greve_construction-mai-2017
[3] Commission
de la construction du Québec, consulté le 15 décembre 2017. En ligne :
https://www.ccq.org/fr-CA/M_RegimeRelationsTravail/M01_LoiR-20?profil=GrandPublic
[4] [5] [6] [8] Couturier,
Eve-Lyne (2017). IRIS, consulté le 2 décembre, en ligne : <http://iris-recherche.qc.ca/blogue/comprendre-le-conflit-de-travail-en-construction>.
[7]
FTQ-Construction (26 avril 2016). «
La FTQ-Construction propose des solutions pour faciliter le déroulement des
prochaines négociations », consulté le 17 décembre 2017, en ligne : http://ftqconstruction.org/la-ftq-construction-propose-des-solutions-pour-faciliter-le-deroulement-des-prochaines-negociations/
[8]
Gagnon, Marc-André (25 mai 2017). «
Grève dans la construction: Couillard prêt à agir dès lundi », TVA, consulté le
15 décembre 2017, en ligne : http://www.tvanouvelles.ca/2017/05/25/greve-de-la-construction-couillard-lance-un-ultimatum
[9]
Chouinard, Tommy et Martin Croteau (29 mai 2017). « Construction:
un arbitre tranchera à défaut d'entente d'ici le 30 octobre », Radio-Canada, Consulté
le 15 décembre 2017, en ligne : <http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201705/29/01-5102347-construction-un-arbitre-tranchera-a-defaut-dentente-dici-le-30-octobre.php>
[10]
(1er juillet 2013). « Construction : la loi spéciale est
adoptée, retour au travail mardi », consulté le 17 décembre 2017, en ligne :
<http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/621136/construction-greve-loi-speciale>.
[11]
Assemblée nationale du Québec
(29 mai 2017). Séance de l’assemblée,
consulté le 5 novembre 2017, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-assemblee/AudioVideo-72763.html
[12] Clin
d’œil à : Dardot, Pierre et
Christian Laval (2009). La
nouvelle raison du monde : Essai sur la société néolibérale, Éditions La
Découverte, Paris.
[13]
« Les travailleurs de la
construction du Québec se préparent à une grève le 24 mai », Radio-Canada, consulté le 19 décembre
2017, en ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1034177/travailleurs-construction-negociation-menace-greve-24-mai
[14] (11 mai 2017). « Industrie de la construction:
l'Alliance syndicale se dote de mandats de grève », Journal de Montréal, consulté le 17 décembre 2017, en ligne :
< http://www.journaldemontreal.com/2017/05/11/industrie-de-la-construction-lalliance-syndicale-se-dote-de-mandats-de-greve>.