Les stratégies d’action dans la
grève des employé-e-s de la SAQ : Grévistes VS Patronat
État de situation: Pas de convention
collective depuis mars 2017
Lors d’un séminaire concernant la flexibilisation de
l’emploi dans le secteur public, le militant syndical Simon de Carufel
rappelait que depuis le 31 mars 2017 (20 mois) les employé-e-s syndiqués de la
Société des Alcools du Québec sont sans convention collective. Ils accusent
l’employeur d’enlever des acquis importants aux employé-e-s. Or,le remaniement
des conditions de travail proposé par le patronat précariserait l’emploi à la
SAQ. Il est important de considérer que le patronat est l’État et que de
surcroît, il possède des outils puissants dans ce type de négociation.
Gradation des moyens de pression des
employé-e-s de la SAQ
Les
employé-e-s de la SAQ ont utilisé une stratégie de gradation des moyens de
pression. D’abord, ils ont simplement arrêté de porter l’uniforme, ils ont mis
toutes les étiquettes de vente à l’envers dans les magasins, ils ont installé
des collants dans les vitrines. C’est après quelques mois d’impasse, qu’ils ont
débrayés, ici et là, sans gros brouhaha.
On
peut constater une certaine retenue dans les moyens de pression de ce mouvement
de grève. Oui, le syndicat des employé-e-s de la SAQ ont adopté 18 journées de
grève rotatives après plusieurs mois de négociation sans débouché. Cependant,
les journées de perturbation et d’action directe ne visaient pas encore les
journées les plus rentables pour la SAQ. Les services de l’État n’avaient pas
été gravement perturbés à la hauteur des moyens des grévistes. C’est lors du
début des grandes promotions des fêtes qui débute en novembre que les grévistes
ont démontré un aperçu de leur force.
Ils ont voté pour 3 journées de grèves,
soit vendredi, samedi et dimanche. À ce moment, on a pu observer toute une
variété de gestes plus radicaux pour faire respecter le mandat de grève et
mobiliser la population. Des employé-e-s ont enlevé les indicateurs de
pastilles de goûts sur les étalages et ont érigé des piquets de grève
imposants. Ils ont même fait du sabotage en aspergeant d’urine animale l’entrée
d’une succursale ouverte. Ils ont évidemment invité au boycottage, tapé dans
des vitrines, donné des feuillets aux clients et intimidé un photographe. C’est
le bordel au Québec selon les médias populaires.
Radicalisme patronal
Alors
que les grévistes « tiennent la population québécoise en otage », il ne faut
pas omettre les stratégies de pression du patronat.
D’abord,
certaines succursales sont restées ouvertes durant les journées de grève. Sans
oublier l’adoption d’une injonction autorisée par la Cour supérieure. Celle-ci
impose un code de conduite à respecter lors de la mobilisation des grévistes.
Il y
a aussi la menace de la loi spéciale qui vient d’être imposée aux employé-e-s
de Poste canada en grève. Cette loi
vient bâillonner un mouvement alors que le temps des fêtes arrive. On penserait
que l’arrivée de Noël serait un argument en faveur d’une stratégie gréviste,
mais pas ici au Canada. L’État a le pouvoir d’imposer des lois spéciales qui
forcent le retour au travail. Cette loi s’applique sur les services considérés
essentiels à l’économie. Pour les employé-e-s de la SAQ, cette loi est une
menace évidente qui influence grandement les moyens de pression. Ainsi, la
grève perd son rapport de force dans les négociations C’est ce que rapportent
Martin Petitclerc et Martin Robert, deux historiens qui ont écrit sur
l’histoire de la grève au Québec. «Dans [un contexte où il y a une utilisation
fréquente des lois spéciales et une crainte de celle-ci], le droit de grève
ressemble de plus en plus à une liberté démocratique en voie de
disqualification ».[1]
En
plus, la majorité des employé-e-s non permanent à la SAQ contribue à une division
du mouvement syndical. Dans le sens où, les assemblées générales sont plus
rares. Les employé-e-s sont dispersés sur le territoire québécois et que la
majorité des employé-e-s travaillent très peu. Ils ne sont souvent pas au
courant des actions syndicales envisagées, ou ils sont ironiquement trop
occupés avec l’école ou leurs deux ou troisièmes emplois. D’ailleurs, le
patronat veut réduire le nombre d’heures de travail par employé, afin d’avoir
une armée d’employé-e-s non permanent qui seront plus flexible et moins mobilisable
pour le syndicat. Simon de Carufel et le syndicat des employé-e-s dénoncent que
la diminution des heures de travail engendre une plus grande difficulté à
atteindre un statut permanent d’employé-e-s. Ce statut est déjà très long à
atteindre. Au moins 70% des employé-e-s actuels n’ont pas un statut permanent. Alors
que ce statut est souhaitable, car il permet des avantages sociaux importants.
Je pense entre autres au fait d’avoir un horaire stable annoncé plus d’une
semaine à l’avance ou des congés payés.
Conclusion
Je
suis loin de pouvoir prédire si les moyens de pression utilisés par les
employé-e-s de la SAQ mèneront directement à une résolution de conflit
favorable pour eux. Néanmoins, selon Simon de Carufel, le syndicat des employé-e-s
de la SAQ a l’habitude d’apprendre de ses erreurs et de ses bons coups afin de
planifier leurs moyens de pression futurs. Déjà là, c’est encourageant. De plus,
il semblerait qu’une nouvelle convention collective soit sur le point d’être
conclue.
Le
défi auquel fait face cette mobilisation est complexe. C’est complexité n’est
pas anodin avec le fait que les employé-e-s de la SAQ sont sans convention
collective depuis 20 mois. D’un côté, davantage de radicalisation dans les
moyens de pression pourrait intimider le patronat, alors qu’à l’opposé, conserver
une image décante en restant plus modéré semble être priorisé. La menace de la
loi spéciale pose évidemment un ombrage sur le mouvement. L’État employeur
semble avoir un plan solide, ses méthodes sont radicales. Les lois spéciales
sont de plus en plus fréquentes, elles sont alors une menace réelle.
Le renversement de cette lourde tendance systématiquement
défavorable à la grève, par l’utilisation de la loi d’exception, dépend « de la
capacité du mouvement syndical à résister à la prochaine vague de politiques
néolibérales […], tout comme celle de contribuer à la transformation de la
société dans le sens de la justice sociale. »[2]
Jonatan Lavoie