mardi 6 novembre 2018

L’immigrant idéal au Québec

Les élections provinciales de 2018 au Québec, ont été marquées par la question sur l’immigration. Le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, devenu Premier Ministre du Québec depuis, a été le principal protagoniste de cette polémique lors de ses sorties médiatiques[1]. Selon lui, un immigrant au Québec doit obligatoirement maîtriser la langue française et s’installer en régions, là où la pénurie de main d’oeuvres est la plus élevée.

“Moins, pour en prendre soin”
Tel a été le slogan de François Legault tout au long de la campagne électorale sur la question de l’immigration. La CAQ a proposé de réduire à 40 000 le nombre d’immigrants admis annuellement au Québec dès 2019. M. Legault a justifié cette proposition par le départ de 26% des immigrants du Québec après 5 ans (16% selon l’Institut du Québec). Il rappelle aussi que le taux de chômage est de 15% chez les immigrants restant. En réalité, le taux de chômage chez les immigrants est passé de 8,1% à 6% entre janvier et août 2018, face à un taux de chômage de 5,6% de la population québécoise en général en août 2018. Il faudrait préciser que le taux de chômage élevé concerne surtout les nouveaux arrivants (moins de cinq ans) chez qui le taux de chômage s’élevait à 14,1 % en 2017.

Test de français et test de valeur
Pour garantir une intégration réussie selon lui, il faudrait imposer un test de français et un test de valeurs pour obtenir le certificat de sélection du Québec, faute de quoi les immigrants seront expulsés après trois années de présence dans la province. Ce que M. Legault semble omettre est que la présence au Québec stipule que l’immigrant a déjà eu son certificat de sélection du Québec. Le recensement de 2016[2] a démontré que 80.6% des immigrants parlent français et que 59.5% proviennent de l’immigration économique ce qui implique une qualification académique et professionnelle.

Nouvelle loi sur l’immigration
La proposition de la CAQ supposerait de changer la loi sur l’immigration qui vient d’être modifiée le 02 août 2018[3]. Cette loi a pour objectif de sélectionner les "meilleurs profils" en fonction des besoins du marché de l’emploi québécois. Cependant, ce que propose la CAQ serait que les immigrants de catégorie économique viennent au Québec avec un statut de travailleurs temporaires pour passer ensuite au bout de trois ans les deux tests pour être éligibles à la résidence permanente.

Qui décide : Québec ou Ottawa?
Il est vrai que l’entente entre le Québec et le Canada, signée en 1991, permet au Québec d’être la seule province pouvant sélectionner une partie des immigrants. Cependant, c’est au niveau fédéral que la décision d'admission est prise. En effet, le Québec doit « recevoir un pourcentage du total des immigrants reçus au Canada égal au pourcentage de sa population par rapport à la population totale du Canada », soit 22,6 %[4].

Discrimination systémique
Malgré la pénurie de main d’œuvre[5] au Québec, les employeurs continuent de pratiquer une discrimination systémique à l’égard des immigrants. Une discrimination au recrutement mais aussi à l’évolution de carrière qui demeure subtile et difficile à prouver. Rappelons que la Consultation sur la discrimination systémique et le racisme[6], à laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avait invité la population et les organismes de la société civile à participer avait été annulée en automne 2017. “Le gouvernement du Québec a organisé plutôt un Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination[7] en décembre 2017. Une démarche principalement axée sur les questions d’immigration, d’emploi et de francisation”. Selon le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, "les données recueillies au cours de la consultation demeurent la propriété exclusive du ministère", ce qui "implique qu’elles ne pourront être utilisées par des organismes comme le CTI en vue d’établir des orientations ou de cibler des interventions appropriées tenant compte des faits observés". 

Dévalorisation des compétences
Même avec une évaluation comparative[8] des diplômes, les études effectuées hors du Québec sont considérés sans valeur.  L’expérience à l’étranger n’est pas valorisée non plus sauf quand il s’agit de domaines où les employeurs québécois n’ont pas de choix que de recruter des immigrants (Technologies de l’information[9] entre autres). Il est à noter aussi que le pays de provenance est déterminant dans le processus de recrutement : un immigrant français par exemple a plus de chance d’avoir un poste à la hauteur de ses compétences qu’un immigrant maghrébin[10] à compétences égales[11]. Les employeurs préfèrent recruter une personne québécoise sans expérience et à moindre diplomation ou même une personne retraitée[12] que d’offrir un poste à un immigrant dont le profil valide les critères de sélection.
Accommodements raisonnables
Le débat sur les accommodements raisonnables[13] et sur la laïcité a refait surface durant la campagne électorale ce qui explique en grande partie la réticence des employeurs envers l’emploi des immigrants. A noter qu’au Québec, 90% des demandes d'accommodements raisonnables concernent le motif de handicap et seulement 4.8% sont relatif à la religion, selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[14]

Illusions du multiculturalisme
D’autre part, les libéraux avec leur discours idéaliste sur le multiculturalisme[15], n’ont rien fait de concret du point de vue législatif pour faciliter l’intégration socio- économique des immigrants. Le travailleur immigrant se retrouve ainsi au milieu d’un débat politique, où il est considéré comme une ressource et non comme une personne qui a le droit de choisir son lieu de résidence et d’occuper un emploi à la hauteur de ses compétences. Le précariat[16] des travailleurs immigrants se manifeste dans la disparité salariale, les conditions de travail difficiles et la dévalorisation des emplois. Ce qui explique que 51% des travailleurs pauvres sont des immigrants[17]

Intégration économique
Une intégration réussie passe d’abord par une intégration économique. L’intégration difficile des immigrants se reflète notamment dans la faible représentation des populations racisées dans les emplois au gouvernement mais aussi dans les divers sphères de la société québécoise (enseignement, santé, justice, médias[18], politique, sûreté,,…). Le travail ne constitue pas seulement une source de revenu mais aussi une valeur sociale et d’estime de soi. L’épanouissement professionnel des immigrants est essentiel pour développer leur sentiment d’appartenance à la société québécoise. Cette frustration professionnelle contribue fortement au sentiment de rejet qui mène souvent au communautarisme ou à l’isolement. S’ajoute à cela le climat social marqué par la montée de l’extrême droite[19] anti-immigration favorisée par les réseaux sociaux[20] qui véhiculent des messages haineux envers les immigrants.

En somme, la question qui s’impose est : « Comment peut-on mettre les compétences des immigrants au service de l’économie québécoise de façon optimale et valoriser leur sentiment d'appartenance et leur engagement envers le développement de leur pays d’accueil ? »

Lamyae Khomsi




[1] Entrevue avec François Legault, Les francs-tireurs, Épisode 512, Télé Québec (à partir de la minute 07:33)
https://zonevideo.telequebec.tv/media/38240/entrevue-avec-francois-legault/les-francs-tireurs
[3] Gazette officielle du Québec, 18 juillet 2018, no 29, pagee 4927- 4955.
[10] Le taux de chômage chez les immigrants originaires du Maghreb est passé de 17,3% les années précédentes, à 11,5% en 2017.
[14]http://www.cdpdj.qc.ca/fr/droits-de-la-personne/responsabilites-employeurs/Pages/accommodement.aspx
[15] Helly, Denise, 2000, Le multiculturalisme canadien : De la promotion des cultures immigrées à la cohésion sociale 1971-19991, Cahiers de l’Urmis, Montréal, Institut National de Recherche Scientifique.
[16] Standing, Guy, 2017, Le Précariat. Les dangers d’une nouvelle classe, Paris, Les Éditions de l’Opportun.
[17] Yerochewski, Carole, 2014, Quand travailler enferme dans la pauvreté et la précarité. Travailleuses et travailleurs pauvres au Québec et dans le monde, Québec, Presses de l’Université du Québec.
[19] Tanner, Samuel; Aurélie Campana, La Nouvelle Droite vous informe, Nouveau Projet (12), Automne 2017, pp. 64-68.
[20]https://www.ledevoir.com/societe/502064/une-galaxie-de-groupuscules-d-extreme-droite-sort-de-l-ombre

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