dimanche 4 novembre 2018

Les travailleurs et travailleuses pauvres aujourd’hui : Panorama mondial


Dans le cadre de la troisième édition du Colloque international du GIREPS sous le thème "Le travail qui rend pauvre : actions publiques, résistances et dialogues Nord-Sud", organisé du 27 au 29 septembre 2018, une table ronde a réuni des chercheurs(ses) des quatre coins de la planète pour faire le point sur les grandes tendances de l’action publique et les défis liés à l’organisation collective des travailleurs et travailleuses pauvres.

Animateur : Cheolki Yoon, CTTI Montréal.

Panélistes :
  •      Rodolfo Elbert, CONICET-U. Buenos Aires, Argentine.
  •      Liana Carleial, UFPR-Curitiba, Brésil.
  •      Youssef Sadik, U. Mohamed V, Rabat, Maroc.
  •      Jamie Woodcock, U. of Oxford, Royaume-Uni.
  •      Nik Theodore, U. of Illinois, Champaign, États-Unis.
  •      Varsha Ayyar, TISS-Mumbai, Bombay, Inde.

L'animateur a posé trois questions aux panélistes :
  1. La pauvreté dans votre région ?
  2. L’action publique mise en place ?
  3. Les mouvements de résistance entrepris ?
Brésil, par Liana Carleial
1- Au Brésil, la pauvreté est un problème complexe. La pauvreté s’élargit du niveau individuel au niveau familial. Le manque d’accès à l’éducation et à la santé entrave l’accès aux opportunités d’emploi avec un salaire décent. Le salaire minimal est passé à 6$ l’heure en juin 2018. Le taux de pauvreté est passé de 28% en 2003 à 8.3% en 2014. Cependant, suite au coup d’État en 2016, le taux de pauvreté a augmenté de 50%.
2- Entre 2003 et 2014, la politique d’emploi a réussi à garantir 22 millions d’emplois. L’initiative « la bourse- famille » mis en place par l’office des travailleurs, a permis aux familles pauvres d’envoyer leurs enfants à l’école. Les salaires ont été revu à la hausse de 84% et les retraités ainsi que les personnes handicapées ont bénéficié de prestations continues. L’accès à l’université pour les communautés défavorisées (indiens, noirs, pauvres) a contribué à la diminution des inégalités sociales.
3-  En 1987, les travailleurs se sont retrouvés sans toit suite à la vente des bâtiments vides par l’État à des entreprises de gestion privées. Les syndicats élitistes n’ont rien apporté au mouvement syndical solidaire. Les réformes du travail ont causé une grande souffrance sociale au Brésil. Les municipalités ont créé un système de soutien solidaire. Les églises catholiques ont initié un mouvement de d’aide à la recherche de l’emploi dans les banlieues. Dans les prochains mois, un retour à la démocratie est pressenti favorisant une politique de lutte contre la pauvreté t une baisse des inégalités sociales.

Inde, par Varsha Ayyar
1- Le système de caste en Inde provoque une grande précarité chez les classes sociales défroissées qui n’ont pas accès aux emplois bien rémunéré. S’ajoute à cela les conditions de vie et de travail marquée par une informalité qui a fait surgir le concept de dignité humaine dans les années 90. Le secteur informel se caractérise par une absence totale de sécurité sociale avec aucune possibilité de dialogue avec le patronat. On parle ici d’une « invisibilité de la force de travail » où les ouvriers n’ont aucune possibilité de revendications.
2- La régulation de l’emploi concerne uniquement la classe moyenne qui travaille principalement dans le secteur public. En 2017, suite aux protestations étudiantes, un mouvement de justice social a vu le jour revendiquant une loi anti-corruption. D’autres mouvements d’identité culturelle et de féminisme dans le secteur industriel ont appelé à l’amélioration des conditions de travail dans le secteur informel.
3- Seulement 7% des travailleurs sont organisés et cela concerne uniquement le secteur public. Il n’y a pas de voix pour les travailleurs du secteur informel en raison du système de caste et des spécificités linguistiques et identitaires en Inde marqué par un système patriarcal d’hindou-fascisme. Les conflits sociaux sont étouffés. Les prochaines élections en 2018 redonnent un peu d’espoir à la population avec les candidats indépendants soutenus par les travailleurs d’origine musulmane.

Maroc, par Youssef Sadik
1- Un travailleur pauvre au Maroc, est un travailleur qui ne peut pas subvenir à ses besoins élémentaires lui garantissant sa dignité. Les grandes villes connaissent un réel paradoxe. Les quartiers modernes affichant une évolution économique où la productivité rime avec l’utilisation excessive des ressources. D’un autre côté, les quartiers pauvres sont marqués par une grande pauvreté où les salaires stagnent face un coût de vie en constante augmentation.
2- Près le printemps arabe, le discours concernant le travail des jeunes a changé. Cependant, aucun résultat concret n’a été noté depuis. Le chômage des jeunes diplômés continue d’être négligé par le gouvernement malgré les nombreuses manifestations qui se déroulent quasiment chaque semaine devant le parlement depuis les années 90. S’ajoute à cela la précarité des conditions de vie dans les régions rurales et dans le secteur informel. En 1993, le centre d’intégration à l’emploi mis en place n’a pas pu résoudre ce problème qui demeure d’envergure économique et structurelle. En 2000, l’ANAPEC[1] a été créé pour jouer le rôle d’intermédiaire entre les jeunes et les employeurs. En 2011, deux mesures ont été entreprises : un contrat de formation en stage d’intégration avec un salaire de 270$ par mois, et le statut de jeune entrepreneur a été établi. Et enfin, la CGEM[2], a proposé vingt mesures dont la diminution de la taxe sur l’emploi, que l’État n’a pas soutenu.
3- Face à une absence totale de protection des travailleurs pauvres, l’État se désengage de la relation employeur-employé. L’offre de la main d’œuvre demeure très élevée sans pour autant résoudre le problème de la précarité ce qui pousse les jeunes à migrer clandestinement en Espagne pour travailler dans l’agriculture et dans l’industrie. La migration clandestine devient la seule échappatoire pour ces jeunes, face à la hausse du capitalisme de l’État et l’absence de toute protection sociale. Le taux de syndicalisme est en baisse en raison du manque de confiance des travailleurs en l’action collective. 

Angleterre, par Jamie Woodcock
1- Le salaire minimum en Angleterre est de 13$CA l’heure. Avec la crise économique de 2008, le coût du logement et du transport qui ont augmenté, le travail autonome est devenu une solution qui permet un niveau de vie standard avec un salaire de 18.5$CA l’heure.
2- La crise financière de 2008 a engendré une augmentation de la pauvreté. En effet, 60% de la population pauvre travaille. Une situation qui obligeait les travailleurs à avoir recours aux banques alimentaires.
3- Le travail demeure un travail. Qu’il soit formel ou non, les travailleurs les moins payés (réceptionnistes, agents de sécurité, …) estiment avoir le droit de s’organiser pour revendiquer leurs droits. Les petits syndicats s’avèrent plus efficaces que les grands.

Argentine, par Rodolfo Elbert
1- Le Fond monétaire international a initié des actions internes pour sortir de la crise de 2001. L’emploi en Argentine se divise en secteur formel et secteur informel. Ce dernier concerne surtout les catégories pauvres de la société, à savoir, les femmes, les jeunes et les immigrants.
2- Le changement du régime politique en 2016 a engendré une extrême pauvreté. Les travailleurs non autorisés au secteur formel se sont constitué en coopératives sans l’aide de l’État ni des syndicats.
3- Le mouvement de résistance est principalement porté par la confédération nationale des travailleurs populaires qui a été créée en 2011. Son aspect politique plus que militant est principalement expliqué par son financement par le gouvernement, d’où la limitation de ses actions. De plus, l’influence de l’église catholique (le Pape François d’origine argentine), notamment dans le débat sur l’avortement avec les mouvements de gauche ont mené à une grève générale plus tard.

États-Unis, par Nick Theodore
1- La récession aux États-Unis a engendré une perte massive d’emplois et la baisse des salaires. Le travail standard ne permet de garantir la sécurité financière des familles.
2- La loi des travailleurs domestiques à New York qui garantit le paiement des heures supplémentaires et d’un jour de congé par semaine, 3 jours de congé payé par an et un salaire minimum par semaine s’est élargie à des revendications de protection sociales plus larges. En effet, les lois municipales visent un renforcement de la protection des travailleurs domestiques sur un plan stratégique local.
3- Plusieurs mouvements se sont enchaînés aux États-Unis : les travailleurs domestiques, le immigrants (mexicains), les personnes victimes d’harcèlement sexuel (Me too), les victimes d’armes à feu (Life matters), les personnes d’origines afro-américaines victimes de brutalité policière (Black life matters), …

Au vue des différentes présentations, il est évident que la problématique du travail qui rend pauvre touche aussi bien les travailleurs dans les pays du Nord que ceux du Sud. Le désengagement de l’État et l’inefficacité syndicale demeurent un réel frein à la résolution des inégalités sociales. Cependant, dans les pays du Nord, les revendications ont plus de chance d’être atteintes en raison du climat politique plus favorable en comparaison avec celui des pays du Sud où les travailleurs pauvres n'ont aucune voix dans un contexte politique marqué souvent par un despotisme et une liberté d'expression quasi inexistante.

Le concept de « dignité » a été repris par plusieurs panélistes. Une dignité autrefois liée au statut de citoyen actif et productif dans sa société. Aujourd’hui, travailler ne garantit plus la dignité puisque le salaire gagné ne permet plus de subvenir aux besoins de base. S’ajoute à cela les conditions de travail précaires qui plongent les travailleurs dans une aliénation (Marx, 1844) les éloignant de toute possibilité d’évolution socio-économique.

Lamyae Khomsi






[1] L'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) est un établissement public administratif marocain placé sous la tutelle de l'État. https://anapec.org

[2] La Confédération Générale des Entreprises au Maroc (CGEM) est le représentant du secteur privé auprès des pouvoirs publics et des institutionnels. http://www.cgem.ma/


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