14% de professionnels de soutien en
moins à l’éducation des adultes entre 2012 et 2016 : ça « risque de faire mal » prévient Le Devoir[1].
La situation semble désastreuse. On compte deux psychologues pour 183 000
élèves au Québec, un orthophoniste, sept psychoéducateurs pour le même ratio…
On a du mal à concevoir un suivi efficace et de qualité dans ces conditions.
D’autant que ces élèves sont particulièrement vulnérables. 59 %
(cinquante-neuf) d’entre eux ont eu recours à des services spécialisés au cours
de leur secondaire, indique Le Devoir.
Plus du tiers de ces étudiants a rencontré des problèmes de comportement,
d’apprentissage ou d’absentéisme à l’école secondaire et près du quart a aussi admis
avoir des problèmes de toxicomanie, selon le journal. Par ailleurs, le terme
« éducation des adultes » occulte la jeunesse de la population
concernée. En effet, les 16-18 ans sont en forte hausse au sein de ces classes
et ce sont eux qui vivent le plus de stress et qui ont une opinion d’eux-mêmes
plus négative (Nadia Rousseau, Michelle Dumont, 2016).
Marco Fortier, auteur de l’article,
conclue son plaidoyer par ces mots tirés d’un document de travail du CAQ
(Coalition avenir Québec) : « Une
véritable lutte contre le décrochage scolaire commence par une équipe-école
multidisciplinaire, outillée en ressources spécialisées, compétente et bien
soutenue par le personnel de soutien. Nous demandons depuis plusieurs années à
ce que ces équipes soient mises en place le plus rapidement possible. »
Mais lier fondamentalement décrochage scolaire et éducation aux adultes
apparait incomplet et tait une partie de la réalité.
L’éducation aux adultes est un sujet
que Le Devoir se targue de bien
connaître. « De plus en plus d’adultes en difficulté, des enseignants
démunis », Le Devoir du 18 mars
2017, « Quelle vision pour l’éducation aux adultes ? » Le Devoir du 18 septembre 2018,
« L’éducation des adultes, grande absente du débat électoral », Le Devoir du 21 septembre 2018. L’article
qui nous intéresse ne fait donc pas exception. On peut alors s’étonner de
l’absence de mention de la population nouvellement immigrée qui, pourtant,
constitue une part non négligeable et grandissante de la population des classes
d’adultes (Potvin et Leclercq, 2012). En effet, les différentes vagues de
migrants récents, notamment de réfugiés, augmentent la part de jeunes élèves
trop âgés pour réaliser l’entièreté de leur scolarité au secondaire. Ces élèves
cumulent un retard scolaire[2] en
raison de plusieurs facteurs : un parcours migratoire ayant entraîné une scolarité
chaotique, une scolarisation interrompue dans le pays d’origine, une faible
maîtrise du français, entre autres (Potvin, 2014) et, de ce fait, sont
contraints de poursuivre leur cursus aux adultes. Or, ces élèves, qui ont fait
l’expérience de deuils particulièrement douloureux et qui portent de lourds
traumas liés à la guerre, nécessitent un accompagnement conséquent. Il s’agit notamment
de développer leur résilience mais aussi de les accueillir avec bienveillance
et leur apporter le soutien nécessaire, à la fois psychique mais aussi en
matière d’accessibilité pour les blessés physiques (Potvin, 2016). Ils
constituent donc une population tout à fait désavantagée par la réduction de
postes de professionnels d’accompagnement à l’éducation des adultes.
La question de la réussite éducative des élèves adultes
issus de l’immigration est complexe puisque les profils des nouveaux arrivants
diffèrent de ceux des « 2ème génération », nés au Canada dont
au moins un des parents est né à l’étranger. En effet, les élèves de 2ème génération
présentent, le plus souvent, les caractéristiques des décrocheurs scolaires
(Potvin et Leclercq, 2012) et ont parfois fréquenté des classes d’adaptation
scolaire au secondaire. Comme le soulignent Potvin et Leclercq, ces jeunes
nécessitent un accompagnement particulier qui suppose des services en
orthopédagogie et en psychologie notamment. Par ailleurs, la littérature sur le
sujet met en avant qu’ils se trouvent moins encouragés par leurs parents et
moins motivés que les nouveaux arrivants. Il convient donc de mettre en place
une évaluation différenciée des besoins de ces populations dans le but de
cibler les interventions des professionnels.
Si l’enjeu de la réussite scolaire des élèves issus de
l’immigration au secondaire a fait l’objet de recherches multiples (Mc Andrew,
2006 et 2015) notamment en lien avec la question du décrochage scolaire (Lemire,
2011 ; Marcotte, Lachance et Lévesque, 2011 ; Marcotte, 2012 ; Potvin et
Leclercq, 2012 ; Villemagne, 2011), celui de la réussite de cette population à
l’éducation des adultes est moins richement documenté. Cet état de fait semble
se réfléchir dans l’article du Devoir
qui néglige tout un pan de la réalité en mettant l’accent sur le décrochage
scolaire qui concerne principalement les adultes de 2ème génération
et de 3ème génération et plus.
Par Yuliya Kiyashko
[1] Fortier, Marco. Régime minceur dans
l’éducation des adultes, Le Devoir, 29 octobre 2018,
https://www.ledevoir.com/societe/education/540080/regime-minceur-dans-l-education-des-adultes
[2] Selon le MEQ (1998), les élèves immigrants en
situation de grand retard scolaire sont les jeunes qui, à leur arrivée au
Québec, « accusent trois ans de retard ou plus par rapport à la norme
québécoise et doivent être considérés comme étant en difficulté d’intégration
scolaire. Ce sont des élèves qui ont été peu ou non scolarisés, qui ont subi
des interruptions de scolarité dans leur pays d’origine, qui ont connu une
forme de scolarisation fondamentalement différente de celle qui a cours au
Québec » (p. 10).
Dumont, M., Rousseau, N. (2016). Les 16-24 ans à
l'éducation des adultes. Besoins et pistes d'intervention. Montréal, Québec :
Presse de l’Université du Québec.
Lemire, V. (2010). Obstacles à la persévérance scolaire d’adultes ayant des problèmes
d’apprentissage lors de leur passage à l’éducation des adultes. Mémoire en sciences de
l’éducation, option éducation comparée et fondements de l’éducation, Octobre.
Letard, Martine. De plus en plus d’adultes en difficulté, des enseignants démunis, Le Devoir, 18 mars 2017, https://www.ledevoir.com/societe/education/494015/education-des-adultes-de-plus-en-plus-d-adultes-en-difficulte-des-enseignants-demunis
Marcotte, J., Cloutier., R. et Fortin L. (2010). Portrait personnel, familial et scolaire des
jeunes adultes émergents (16-24 ans) accédant aux secteurs adultes du secondaire :
identification des facteurs associés à la persévérance et à l'abandon au sein de ces milieux
scolaires. Rapport scientifique intégral au Fonds québécois de la recherche sur la société
et la culture (FQRSC).
Mc Andrew, M. Armand, F., Bakhshaei, M., Balde, A., Potvin, M. et al. (2014, à paraître).
La réussite éducative des élèves issus de l’immigration : Bilan d’une décennie de
recherches et d’intervention au Québec. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Potvin, M. (2009). Les jeunes de 16-24 ans issus de l'immigration à l'éducation des adultes : cheminement, processus de classements et orientation scolaires (Rapport no 2009-PE-130938). Montréal, Québec : Université du Québec à Montréal. Consulté le 1 novembre 2018, file:///C:/Users/User/Downloads/Rapport%20recherche%20Potvin%20(1).pdf
Potvin, M. et Leclercq, J.-B. (2010). Les jeunes de 16-24 ans issus de l’immigration à
l’éducation des adultes : trajectoires sociales et scolaires et évaluation de deux mesures
de soutien à leur égard. Rapport de recherche à la Direction des services aux
communautés culturelles, Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (DSCC-MELS).
http://bv.cdeacf.ca/EA_PDF/143582.pdf
Stanton-Jean,
Michèle. Quelle vision pour l’éducation des adultes? Le Devoir, 18 septembre 2018, https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/536995/quelle-vision-pour-l-education-des-adultes
Vidal, Majorie et Bernier, Benoit et Lombart, Sonia. L’éducation des adultes, grande absente du débat électoral, Le Devoir, 21 septembre 2018, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/537310/l-education-des-adultes-grande-absente-du-debat-electoral
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