vendredi 30 novembre 2018


Les stratégies d’action dans la grève des employé-e-s de la SAQ : Grévistes VS Patronat

État de situation: Pas de convention collective depuis mars 2017

Lors d’un séminaire concernant la flexibilisation de l’emploi dans le secteur public, le militant syndical Simon de Carufel rappelait que depuis le 31 mars 2017 (20 mois) les employé-e-s syndiqués de la Société des Alcools du Québec sont sans convention collective. Ils accusent l’employeur d’enlever des acquis importants aux employé-e-s. Or,le remaniement des conditions de travail proposé par le patronat précariserait l’emploi à la SAQ. Il est important de considérer que le patronat est l’État et que de surcroît, il possède des outils puissants dans ce type de négociation.

Gradation des moyens de pression des employé-e-s de la SAQ

Les employé-e-s de la SAQ ont utilisé une stratégie de gradation des moyens de pression. D’abord, ils ont simplement arrêté de porter l’uniforme, ils ont mis toutes les étiquettes de vente à l’envers dans les magasins, ils ont installé des collants dans les vitrines. C’est après quelques mois d’impasse, qu’ils ont débrayés, ici et là, sans gros brouhaha.

On peut constater une certaine retenue dans les moyens de pression de ce mouvement de grève. Oui, le syndicat des employé-e-s de la SAQ ont adopté 18 journées de grève rotatives après plusieurs mois de négociation sans débouché. Cependant, les journées de perturbation et d’action directe ne visaient pas encore les journées les plus rentables pour la SAQ. Les services de l’État n’avaient pas été gravement perturbés à la hauteur des moyens des grévistes. C’est lors du début des grandes promotions des fêtes qui débute en novembre que les grévistes ont démontré un aperçu de leur force. 

Ils ont voté pour 3 journées de grèves, soit vendredi, samedi et dimanche. À ce moment, on a pu observer toute une variété de gestes plus radicaux pour faire respecter le mandat de grève et mobiliser la population. Des employé-e-s ont enlevé les indicateurs de pastilles de goûts sur les étalages et ont érigé des piquets de grève imposants. Ils ont même fait du sabotage en aspergeant d’urine animale l’entrée d’une succursale ouverte. Ils ont évidemment invité au boycottage, tapé dans des vitrines, donné des feuillets aux clients et intimidé un photographe. C’est le bordel au Québec selon les médias populaires.

Radicalisme patronal

Alors que les grévistes « tiennent la population québécoise en otage », il ne faut pas omettre les stratégies de pression du patronat.

D’abord, certaines succursales sont restées ouvertes durant les journées de grève. Sans oublier l’adoption d’une injonction autorisée par la Cour supérieure. Celle-ci impose un code de conduite à respecter lors de la mobilisation des grévistes.

Il y a aussi la menace de la loi spéciale qui vient d’être imposée aux employé-e-s de Poste canada en grève. Cette loi vient bâillonner un mouvement alors que le temps des fêtes arrive. On penserait que l’arrivée de Noël serait un argument en faveur d’une stratégie gréviste, mais pas ici au Canada. L’État a le pouvoir d’imposer des lois spéciales qui forcent le retour au travail. Cette loi s’applique sur les services considérés essentiels à l’économie. Pour les employé-e-s de la SAQ, cette loi est une menace évidente qui influence grandement les moyens de pression. Ainsi, la grève perd son rapport de force dans les négociations C’est ce que rapportent Martin Petitclerc et Martin Robert, deux historiens qui ont écrit sur l’histoire de la grève au Québec. «Dans [un contexte où il y a une utilisation fréquente des lois spéciales et une crainte de celle-ci], le droit de grève ressemble de plus en plus à une liberté démocratique en voie de disqualification ».[1] 

En plus, la majorité des employé-e-s non permanent à la SAQ contribue à une division du mouvement syndical. Dans le sens où, les assemblées générales sont plus rares. Les employé-e-s sont dispersés sur le territoire québécois et que la majorité des employé-e-s travaillent très peu. Ils ne sont souvent pas au courant des actions syndicales envisagées, ou ils sont ironiquement trop occupés avec l’école ou leurs deux ou troisièmes emplois. D’ailleurs, le patronat veut réduire le nombre d’heures de travail par employé, afin d’avoir une armée d’employé-e-s non permanent qui seront plus flexible et moins mobilisable pour le syndicat. Simon de Carufel et le syndicat des employé-e-s dénoncent que la diminution des heures de travail engendre une plus grande difficulté à atteindre un statut permanent d’employé-e-s. Ce statut est déjà très long à atteindre. Au moins 70% des employé-e-s actuels n’ont pas un statut permanent. Alors que ce statut est souhaitable, car il permet des avantages sociaux importants. Je pense entre autres au fait d’avoir un horaire stable annoncé plus d’une semaine à l’avance ou des congés payés.

Conclusion

Je suis loin de pouvoir prédire si les moyens de pression utilisés par les employé-e-s de la SAQ mèneront directement à une résolution de conflit favorable pour eux. Néanmoins, selon Simon de Carufel, le syndicat des employé-e-s de la SAQ a l’habitude d’apprendre de ses erreurs et de ses bons coups afin de planifier leurs moyens de pression futurs. Déjà là, c’est encourageant. De plus, il semblerait qu’une nouvelle convention collective soit sur le point d’être conclue.

Le défi auquel fait face cette mobilisation est complexe. C’est complexité n’est pas anodin avec le fait que les employé-e-s de la SAQ sont sans convention collective depuis 20 mois. D’un côté, davantage de radicalisation dans les moyens de pression pourrait intimider le patronat, alors qu’à l’opposé, conserver une image décante en restant plus modéré semble être priorisé. La menace de la loi spéciale pose évidemment un ombrage sur le mouvement. L’État employeur semble avoir un plan solide, ses méthodes sont radicales. Les lois spéciales sont de plus en plus fréquentes, elles sont alors une menace réelle.

Le renversement de cette lourde tendance systématiquement défavorable à la grève, par l’utilisation de la loi d’exception, dépend « de la capacité du mouvement syndical à résister à la prochaine vague de politiques néolibérales […], tout comme celle de contribuer à la transformation de la société dans le sens de la justice sociale. »[2]

Jonatan Lavoie


[1] PETITCLERC, M. ROBERT, M. Grève et paix, Lux Éditeur, Montréal, 2018, p. 169.
[2] Idem, p. 215.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire