Ce n’est pas la première fois qu’un message glissé
dans un produit parvient aux consommateurs occidentaux et ce ne sera
malheureusement pas la dernière, une note laissée en guise d’appel à l’aide, un
SOS envoyé comme une bouteille à la mer, pour nous ouvrir les yeux sur des
conditions de travail parfaitement inexistantes. Dans cet article, la
journaliste d’enquête, Rossalyn A.Warren retrace le chemin d’une note laissée
par un prisonnier chinois dans un sac à main acheté chez Wal-Mart. Ce genre de
message fait souvent scandale et se répand comme une trainée de poudre sur les
réseaux sociaux puis passe tout aussi rapidement aux oubliettes.
La note mentionne entre autres, que les prisonniers de
la prison de Yingshan travaillent 14 heures par jour, que les pauses ne sont
pas permises, que le temps supplémentaire est chose commune et que les
prisonniers sont battus et mal nourris. La journaliste réussie à retracer, avec
l’aide d’un activiste chinois, la prison dans la ville de Gulin, en posant des
questions aux habitants avoisinants, elle confirme qu’il y a bien du travail
forcé dans la prison de Yingshan qu’il provient majoritairement de l’industrie du
fast fashion et qu’il va même jusqu’à
pousser certain prisonnier au suicide. Là, s’arrête toutefois son enquête sur
le terrain, elle ne peut ni retrouver l’auteur de la note ni entrer dans la
prison, les journalistes étrangers et même chinois sont perçus comme hostiles
par le gouvernement, la liberté d’expression n’est pas une réalité pour les
citoyens chinois, le prisonnier a probablement risqué sa vie pour envoyer ce
message.
La sous-traitance est pratique courante dans l’industrie textile, le
discours y est unanime « les réseaux sont si complexes qu’il est
difficile, voire impossible de retracer l’origine d’une telle note ou même
savoir s’il y a exploitation de la part des sous-traitants » (The true
cost, 2015). Les multinationales font souvent passer ce genre de note comme étant
l’œuvre d’activistes pour ainsi échapper aux demandes d’explications. Enfin,
quand elles sont placées devant les faits, sous les pressions externes, pour ne
pas ternir leur image, elles n’ont d’autre choix que de faire une enquête
interne. Le résultat est souvent le même, les réseaux qui étaient si complexes
le sont un peu moins finalement, le cœur de l’entreprise met un terme à la
relation d’affaires avec le sous-traitant fautif qu’il accuse d’enfreindre les
règles et passe au suivant (et surtout qu’il soit moins cher) jusqu’à la
prochaine dénonciation. Un tel fonctionnement n’a que pour objectif la
réduction des coûts, la disponibilité et la grande compétitivité de cette vaste
force de travail permet à l’industrie de changer de sous-traitant facilement. (Durand,
2004, Young, 2006) Les politiques néolibérales ont permis la création de zones
de libre-échange soustraites au droit du travail et n’existant que pour la production
de biens dédiée à l’exportation. (Federici, 1999) Les politiques locales
supportent rarement leurs travailleurs.euses et les gouvernements y répriment
généralement toute envie d’union. (Young, 2006)
Le travail forcé des prisonniers est accepté et bien
vu par la population chinoise de même que pour la France, le Canada, les
États-Unis et bien d’autres qui le voit comme une forme de réinsertion sociale
enfin, l’art de rendre productif les inutiles de la société. (Bellenchombre,
2006)
Quand est-il du travail des femmes qui représente 80 %
de la force de travail de l’industrie textile? Dans la ville de Bangalore en
Inde par exemple, une enquête révèle que 60 % des femmes sont harcelées ou
menacées de violence, une femme sur quatorze subit de la violence physique et
une femme sur sept est contrainte à des actes sexuels, et ce sur les lieux de
travail résultant d’un rapport de force souvent initié par les superviseurs. (Labour
without liberty, 2018) Elles sont aussi soumises à de longues heures de travail,
elles doivent faire des heures supplémentaires souvent sans compensation et
sont menacées de congédiement si elles ne se soumettent pas à leur employeur,
elles peuvent être enfermées pour terminer leur quota, plusieurs femmes sont
mortes parce qu’elles ne pouvaient fuir l’immeuble lors d’un tremblement de
terre ou d’un incendie. (Labour without liberty 2018, Federici, 1999) Ne
sont-elles pas, elles aussi, prisonnières d’un cercle vicieux moulé par des
rapports de dominations où elles sont au plus bas de la hiérarchie et jetables?
Dans tous les pays (en développements) où elles tentent de s’organiser, elles
sont persécutées. (Federici, 1999) La phrase de Marx prend ici (et encore) tout
son sens « dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas à lui-même, mais
appartient à un autre » (Marx, 1962 : 60)
Quels sont donc les barrières et obstacles au
changement ? Pourquoi continue-t-on à consommer en acceptant l’exploitation? N’est-ce
pas là responsabilité de tous de restructurer ces injustices systémiques?
Agathe Roy
Bibliographie
DURAND, Jean-Pierre. « Les réformes structurelles de
l’entreprise : l’intégration réticulaire et le flux tendu », dans La chaîne invisible, travailler
aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Éditions du Seuil,
Paris, 2004, Pp. 11-18; 175-206.
FEDERICI, Sylvia. « Reproduction and feminist struggle
in the new international division of labor » dans DALLA COSTA, Mariarosa (dir.)
et DALLA COSTA Giovanna Franca (dir.), women
development and labor reproduction: struggles and movements, Trenton,
Africa world press, 1999, p. 103-120.
Clean clothes campaign, Garment labour union and India
committee of the Netherlands. Labour
without liberty. Female migrant
workers in Bangalore’s garment industry, Amsterdam, 2018.
MARX, Karl. « Manuscrits de 1844 », Paris, Éd.
Sociales, 1962.
Ross, M. (producteur), Morgan, A. (réalisateur). (2015).
The true cost [film documentaire].
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