Plus de 54 000
étudiant-e-s postsecondaires seront en grève ce mercredi 21 novembre pour
réclamer « la rémunération de tous les stages à tous les niveaux »
(1). Il s’agit d’un ultimatum avant le déclenchement d’une grève générale
illimité à l’hiver. Assistons-nous au réveil du mouvement étudiant québécois,
en dormance depuis la grève contre l’austérité en 2015?
En fait, cela fait plus de deux
ans que les Campagne Unitaire sur le Travail Étudiant (CUTE), érigées sur les cendres du Printemps 2015, informent et mobilisent sur « les stages non
rémunérés [qui] forment la partie la plus visible de l’exploitation des
étudiant·e·s. » (2).
1. Travail étudiant contre gratuité scolaire
Donc, première spécificité de
cette nouvelle lutte étudiante : elle est orientée vers la notion de travail et non vers la défense
l’autonomie de l’éducation fasse à la marchandisation. Selon cet argumentaire,
les étudiant-e-s seraient des « collègues » des enseignant-e-s,
produisant gratuitement pour elles et eux du savoir (3). Il s’agit donc de
faire de l’activité étudiante une marchandise pouvant être échangé contre un
salaire. Jusqu’à présent, le mouvement étudiant combatif, principalement
organisée autour de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante
(ASSÉ), défendait la gratuité scolaire, c’est-à-dire l’idée que l’éducation
devait rester hors du marché.
En regardant autour de moi, les
études me semblent bien peu vécues comme un travail de production de savoir.
Elles m’apparaissent davantage comme une acquisition de connaissances menant à
un travail productif. J’ose avancer l’hypothèse que ce choix de considérer les
études comme un travail ne vient pas tant d’une réalité largement partagée que
d’un désir de se distancer sur plan théorique de l’ASSÉ. On se rappellera la
grave scission entre « centralisateurs » et
« décentralisateurs » au sein du mouvement étudiant en 2015, surtout
après que le conseil exécutif national de l’ASSÉ ait outre-passé ses mandats en
appelant à reporter la grève, drainant ainsi la mobilisation contre l’austérité
vers le bas.
Quoiqu’il en soit, ces débats
très théoriques ne soulèvent pas beaucoup les passions au sein du mouvement.
Les modes d’organisations, eux, sont des sujets beaucoup plus chauds.
2.
La
gênante inutilité du corporatisme étudiant
D’un côté, nous avons les
organisations étudiantes non-(voir anti)combative, c’est-à-dire celles qui
cherchent à convaincre et influencer les décideurs, comme un lobbyiste, et non
à établir un rapport de force. La principale représentante de ce mode d’action
est surement l’Union étudiante du Québec (UEQ). Ce satellite de la FAÉCUM
criait d’ailleurs victoire en mars dernier lorsque le gouvernement libéral du
Québec avait annoncé une compensation financière pour un des quatre stages en
enseignement. Simon Telles, le président de l’UEQ de l’époque, était « très
heureux que les discussions des dernières semaines aient porté fruit » (4).
Quelques mois plus tard,
surprise, on apprend que cette rémunération sera faite par l’entremise de
l’Aide financière aux études (AFE), ce qui signifie que les personnes ayant de
faibles revenus recevant déjà des bourses ne pourront toucher à cet argent. Bref,
des bourses pour les riches : Simon, futur avocat, a effectivement de quoi
se réjouir!
Malgré tout, rien ne mine
l’enthousiasme niais de l’organisation : « l'UEQ croit que cette
avancée pavera la voie à la rémunération d'autres stages. L'union mise aussi
sur la campagne électorale pour faire entendre ses revendications » (5). Avez-vous
entendu parler des stages durant la campagne? Moi non plus! Il faut croire que leurs
coups de téléphones sont moins puissants qu’ils ne l’affirment.
Il serait toutefois intéressant
de dépasser la critique primaire de ce genre d’organisation pour se demander
pourquoi la stratégie du lobbyisme est si peu efficace?
Au début du XXe
siècle, l’intellectuel anarchiste Pierre Kropotkine distingue deux types de
droits. Il y a d’abord, les droits qui « ont été pris de haute lutte et qui sont assez chers au peuple pour qu’il
s’insurge si on venait à les violer » (6) et les droits « venant d’en
haut et servant la bourgeoisie, qui ne sont qu’un instrument pour maintenir leur pouvoir sur le peuple » (ibid). En ce sens, on sait qu’aucun gouvernement
n’oserait toucher à nouveau aux frais de scolarité, de peur que « le
peuple s’insurge ». Cependant, la rémunération de certains stages ne
relève que de la bonne volonté des dirigeants tant qu’aucun rapport de force
n’est établi.
Kropotkine pourrait ainsi être
une lecture intéressante pour les exécutant de l’UEQ, mais règle général, ce
n’est pas ce que lisent les aspirants professionnels de la politique de
corridors.
3.
Forces
et illusions de l’absence de structure
De l’autre côté, nous avons le
mouvement étudiant combatif. Celui-ci était, comme je le disais plus tôt,
divisé en 2015 entre les partisans de la « centralisation » (du côté
de l’ASSÉ) et de la « décentralisation » (du côté des comités Printemps2015). Aujourd’hui, l’ASSÉ est
désertée par ses associations membres. La lutte actuelle s’organise de manière
décentralisée à partir de comités locaux et régionaux.
Cette décentralisation a comme
objectif premier de démocratiser la lutte étudiante. Cet argument m’apparait
plutôt faible car que le mouvement soit organisé autour d’une organisation
centrale ou non, les militantes et les militants les plus impliqués se prendrons
toujous davantage de décisions.
Ensuite, on peut s’attendre à
ce que d’éventuelles négociations avec le gouvernement risquent soient laborieuse
sans porte-paroles clairement définis, ce qui n’est pas nécessairement négatif
si l’objectif du mouvement est de faire émerger une nouvelle conflictualité.
Toutefois, le gouvernement tentera assurément de profiter de cette situation
pour négocier secteur par secteur et diviser les grévistes. Le respect des
différentes composantes du mouvement et de leurs tactiques hétérogènes sera
ainsi crucial au début de l’hiver pour de futurs appellent à l’unité.
Enfin, l’organisation
décentralisée est également une réponse à la lourdeur procédurale du
militantisme étudiant. L’hyper-formalisme peut rapidement devenir le saboteur
d’un mouvement (7) et un obstacle à l’intégration de nouveaux militant-e-s.
Toutefois, les formalités ont parfois leur utilité, comme celle d’assurer une
place aux femmes dans un milieu militant étudiant fortement masculin. On pense
ici notamment à l’alternance femme-homme des tours de paroles, aux caucus
non-mixtes ou encore à des « congrès Femmes ». Heureusement, la
campagne pour la rémunération des stages est fondamentalement féministe. En
effet, le travail gratuit que représente les stages sont concentrés dans des
domaines dits féminin, notamment dans l’enseignement et le care (8), ce qui risque de quelque peu d’atténuer la prédominance
masculine dans le mouvement.
La communauté
des grévistes : ce qui s’apparente à une conclusion
Voici, résumé brièvement,
l’état du mouvement et quelques défis qu’il devra affronter. Je terminerai par
une petite remarque : On réfléchit souvent la grève comme un moyen
d’infléchir un gouvernement ou une entreprise, mais on oublie qu’il s’agit aussi d’une fin en soi. La grève est un
moment de rupture avec le temps du Capital. Nos corps cessent d’être
synchronisé avec le rythme de de la production capitaliste et nos esprits
peuvent s’adonner à la rencontre des autres et à l’approfondissement de nos
consciences politiques. La manifestation est quant à elle une expérience
communiste, pas entendu comme projet politique, mais plutôt comme expérience
d’appartenance à un collectif politisé et conscient de lui-même. En effet,
« il n’y a jamais de communauté comme entité, mais comme expérience. C’est
celle de la continuité entre les êtres et le monde » (9). En
manifestation, on ne se soucie pas notre intérêt personnel, mais plutôt du bien
du groupe. En ce sens, être en grève c’est, pour un bref instant, vivre
moralement hors du capitalisme.
(6) KROPOTKINE, Pierre, « Les droits politiques, dans L’État – son rôle historique,
Marseille :Le Flibustier, 2009 [1913], p.158
(7) COMITÉ INVISIBLE, Maintenant,
Paris : La Fabrique, 2017, p.56
(9) COMITÉ INVISIBLE, op
cit. p.127
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