vendredi 16 novembre 2018

Le premier homme sage-femme au Québec ne croit pas utile de modifier le titre


            L’insertion professionnelle d’une femme dans un secteur de travail qualifié de masculin vs l’insertion professionnelle d’un homme dans un secteur de travail qualifié de féminin sont-elles perçues de la même manière en 2018 par notre société? Les professions dîtes féminines sont-elles revalorisées lorsqu’elles sont exercées par des hommes?
            Louis Maltais, 31 ans, est le premier homme au Québec à pratiquer la profession de sage-femme, un métier qui semble être exercé que par des femmes. Il a été attiré par l’approche centrée sur le patient et les liens noués avec ces derniers. En effet, M. Maltais est le premier Québécois à avoir suivi le seul programme de formation universitaire de sage-femme au Québec. L’Association canadienne des sages-femmes a répertorié qu’un seul autre homme sage-femme ayant reçu sa formation au Canada. La demande pour avoir une sage-femme lors de son accouchement est à la hausse. De nombreuses sages-femmes au Canada ont une liste d’attente pour les patientes désirant leur service. Nathalie Pambrun, présidente de l’Association canadienne des sages-femmes, désire que plus de sages-femmes exercent leur métier au Canada quel que soit leur sexe. C’est donc avec une grande joie qu’elle a accueilli M. Maltais dans leurs rangs. L’homme, qui qualifie lui-même la profession de sage-femme comme étant féministe, ne ressent pas le besoin de changer son titre, puisque le terme sage-femme veut dire « avec une femme » en vieil anglais et c’est ce qu’il fait lorsqu’il accompagne ses patientes. M. Maltais, qui est rendu à son 100e accouchement, dit que sa présence a été bien reçue autant par ses collègues que ses patientes. L’homme évalue qu’une femme sur 20 ne souhaite pas sa présence lors de son accouchement et que la plupart d’entre elles sont réceptives et deviennent plus à l’aise avec le temps. Un documentaire s’intitulant « Un homme sage-femme » a été réalisé pour suivre son expérience. Il a permis ce tournage pour partager son expérience avec les gens et les hommes qui souhaiteraient se lancer dans cette profession.
            À ce jour, il est connu que les métiers traditionnellement masculins sont plus valorisés que les métiers traditionnellement féminins. Les professions dîtes féminines sont même valorisées davantage lorsqu’elles sont intégrées par des hommes. Les jeunes hommes sont plus favorisés lors de leur transition école-emploi lorsqu’ils sont issus de formations fortement féminisées[1]. En effet, un homme qui gradue d’un baccalauréat en enseignement au primaire, un infirmier, un secrétaire, etc., aura un avantage en terme d’insertion professionnelle. On peut dire que les employeurs vont « s’arracher » cet homme. Selon une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications en France (CEREQ), la transition école-emploi des femmes se fait plus difficilement que leurs confrères. De plus, les femmes sont davantage pénalisées lorsqu’elles occupent un emploi en dehors du secteur visé par leur formation éducative. La probabilité des hommes d’échapper au chômage, d’avoir un emploi à temps partiel, est plus faible, tandis que celle d’accéder aux échelons socioprofessionnelles plus valorisés et d’avoir un salaire plus élevé est supérieure que celle des femmes.
            L’insertion des femmes dans les milieux masculins est le fruit d’années de politique, de luttes féministes et de revendications. Pourtant, ce n’est pas gagné! L’arrivée des hommes dans les milieux « féminins » semblent revaloriser ces professions, tandis qu’à l’opposé les femmes qui arrivent dans des milieux « masculins » doivent constamment prouver leurs compétences (standard plus élevé que leurs collègues masculins) et sont même sujettes à du sexisme constant tels que des moqueries, et parfois victimes d’harcèlement psychologique et sexuel de la part de leurs collègues et supérieurs masculins. Exemple, une femme qui est opératrice de machinerie lourde se fait coller une étiquette de garçon manqué ou de lesbienne. L’institut de la Statistique du Québec dévoilait en 2015 que les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes dans les entreprises privées. Il y a un paradoxe, car les politiques anti-discrimination encouragent les femmes à postuler pour ces emplois, mais les milieux en hausse du personnel féminin affectent les femmes à des tâches typiquement féminines. Par exemple, en médecine les femmes sont souvent obstétricienne (motricité fine qui est une qualité dite féminine).
            Bref, il reste un long chemin à parcourir avant de qualifier chaque profession d’unisexe, car les divisions sexuelles du travail, les chances d’insertion professionnelles selon le sexe et les inégalités salariales sont toujours d’actualité.

Texte par Amélye Laperrière Fafard

Bibliographie :
SOL2015 – Cours 5 – Discriminations et inégalités sur les marchés du travail, Yanick Noiseux, Automne 2018.


[1] Une formation fortement féminisée est une formation pour laquelle les hommes représentent moins de 35 % des sortants. Leur proportion s'élève en moyenne à 17% des diplômés des formations typiquement féminines.

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