lundi 17 septembre 2018

Aller chercher un emploi de l'autre côté de la rue

« Je traverse la rue, je vous trouve [un travail] »




C'est ainsi que Macron répondait à un chômeur formé en horticulture, lui suggérant d'aller chercher un travail dans les cafés et restaurants. Cette réponse, déjà largement commentée, n'a rien pour surprendre alors que, en France comme au Québec, la pénurie de main-d’œuvre fait désormais l'actualité de manière récurrente, allant jusqu'à « se tailler une place de choix » dans la campagne électorale cet automne.

Et problématique criante (ou criée) oblige, tous y vont de leur pourquoi (ça arrive) et comment (la réglée) : un chercheur de l'IEDM met en cause « la "disparition" des jeunes au Québec » et la faiblesse du marché de l'emploi, en Gaspésie on se questionne si on ne doit pas repousser la rentrée scolaire après la période touristique, le PLQ mise notamment sur l'immigration et la rétention de main d’œuvre, tandis que Lauzon (dont les affinités avec la gauche sont de plus en plus questionnables) parle d'une fumisterie patronale qui viserait justement à encourager le gouvernement à financer « […] la venue massive de migrants permanents et de travailleurs étrangers temporaires [...] » permettant au patronat de baisser le salaire des travailleurs et travailleuses « ordinaires ».

À travers les différentes prises de position et les débats qui s'en suivent, on peut en venir à se demander sur quoi porte le débat et quel est l'enjeu de la pénurie de main-d’œuvre. À ce titre, l'IRIS rappelle qu'il existe plusieurs façons de définir ce concept et que ces définitions ne renvoient pas aux mêmes enjeux. Ainsi, on peut définir la pénurie comme étant simplement un déficit dans le calcul demande/offre d'emploi ou encore inclure dans la définition l'importance de l'impact économique durable sur les entreprises. On peut distinguer les emplois spécialisés (comme pour la pénurie d'infirmières) des emplois non spécialisés (comme le travail agricole qui a déjà été abordé à plusieurs reprises sur ce blogue, par exemple ici et ici).

Après ce jeu de définitions, les chiffres semblent aussi interprétables : l'ISQ nous parle de 272 500 personnes au chômage (taux de 6,1%) en 2017 et Statistique Canada recense plus de 92 000 emplois à pourvoir (2,6%) à la fin 2017 (en hausse continuelle)… on est loin d'un déficit. Pourtant, pour l'économiste vedette de la SRC, « On manque sérieusement de travailleurs! »

« Il y a 2,9 % de postes vacants au pays et 2,6 % au Québec, selon Statistique Canada, qui précise aussi que le salaire horaire moyen de ces emplois est de 20,10 $. De plus, 7 postes sur 10 sont à temps plein. » Gérald Fillion

Et si, ce qui semble de moins en moins à une pénurie, touche plusieurs domaines d'emplois, à l'échelle du pays certains mastodontes sortent du lot : 43 000 postes dans le commerce de détail, 53 000 dans l'hébergement et la restauration, 52 000 en santé, etc. Alors que les deux premiers domaines (les « hôtelleries, cafés et restauration » de Macron) regroupent souvent des emplois « non spécialisés », ce n'est pas le cas du 3e. Pourtant tous trois (et plusieurs autres d'ailleurs) ont un point en commun : offrir des emplois dont la qualité laisse à désirer.

Tandis que le commerce de détail et l'hébergement/restauration sont réputés pour leurs horaires atypiques, le temps partiel / temporaire ainsi que les mauvais salaires, ils n'ont pas tant à envier aux travailleuses et travailleurs de la santé au Québec, dont les conditions de travail ont fait les manchettes à plusieurs reprises cette année, un récent sondage de la FSSS-CSN venant soutenir cette représentation. Sans invalider le fait qu'il arrive que des emplois de qualité ne trouvent pas preneurs, ce qui précède semble soutenir que plutôt qu'à une main-d’œuvre non disponible, nous avons souvent affaire – et pour de bonnes raisons – à une main d’œuvre non disposée; non disposée à (ré)intégrer le marché du travail à n'importe quel prix, n'en déplaise à certains idéologues du capital.
Dit autrement, plutôt que d'encourager un chômeur à abandonner sa « vocation » (ou à tout le moins sa profession de choix dans laquelle il peut espérer se développer) pour se trouver une « jobbine » de l'autre côté de la rue, Macron tout comme les chefs des principaux partis du Québec devraient peut être repenser notre rapport, comme individus et société, au travail. Alors que l'incohérence entre diktat du développement économique et nécessité de protéger l'environnement se fait de plus en plus sentir, il semble de moins en moins réaliste de maintenir l'idéal productiviste que nous continuons de mettre de l'avant où trouver un emploi et répondre aux besoins du marché prime sur les intérêts des individus.


Aucun commentaire:

Publier un commentaire