« Je traverse la rue, je vous trouve [un travail] »
C'est ainsi que
Macron répondait à un chômeur formé en horticulture, lui
suggérant d'aller chercher un travail dans les cafés et
restaurants. Cette réponse, déjà largement commentée, n'a rien
pour surprendre alors que, en France comme au Québec, la pénurie de
main-d’œuvre fait désormais l'actualité de manière récurrente,
allant jusqu'à « se tailler une place de choix » dans la campagne
électorale cet automne.
Et problématique
criante (ou criée) oblige, tous y vont de leur pourquoi (ça arrive)
et comment (la réglée) : un chercheur de l'IEDM met en cause
« la "disparition" des jeunes au Québec » et la faiblesse du
marché de l'emploi, en Gaspésie on se questionne si on ne doit pas
repousser la rentrée scolaire après la période touristique, le PLQ mise notamment sur
l'immigration et la rétention de main d’œuvre, tandis que Lauzon
(dont les affinités avec la gauche sont de plus en plus questionnables) parle d'une fumisterie
patronale qui viserait justement à encourager le gouvernement à
financer « […] la venue massive de migrants permanents et de
travailleurs étrangers temporaires [...] » permettant au
patronat de baisser le salaire des travailleurs et travailleuses
« ordinaires ».
À travers les
différentes prises de position et les débats qui s'en suivent, on
peut en venir à se demander sur quoi porte le débat et quel est
l'enjeu de la pénurie de main-d’œuvre. À ce titre, l'IRIS rappelle qu'il
existe plusieurs façons de définir ce concept et que ces
définitions ne renvoient pas aux mêmes enjeux. Ainsi, on peut
définir la pénurie comme étant simplement un déficit dans le
calcul demande/offre d'emploi ou encore inclure dans la définition
l'importance de l'impact économique durable sur les entreprises. On
peut distinguer les emplois spécialisés (comme pour la pénurie d'infirmières) des emplois non
spécialisés (comme le travail agricole qui a déjà été abordé à
plusieurs reprises sur ce blogue, par exemple ici et ici).
Après ce jeu de
définitions, les chiffres semblent aussi interprétables : l'ISQ nous parle de 272 500 personnes au chômage (taux de 6,1%) en 2017 et
Statistique Canada recense plus de 92 000 emplois à pourvoir (2,6%) à la fin 2017
(en hausse continuelle)… on est loin d'un déficit. Pourtant, pour
l'économiste vedette de la SRC,
« On manque sérieusement de travailleurs! »
« Il y a 2,9 % de postes vacants au pays et 2,6 % au Québec, selon Statistique Canada, qui précise aussi que le salaire horaire moyen de ces emplois est de 20,10 $. De plus, 7 postes sur 10 sont à temps plein. » Gérald Fillion
Et si, ce qui semble
de moins en moins à une pénurie, touche plusieurs domaines d'emplois, à l'échelle du
pays certains mastodontes sortent du lot : 43 000 postes
dans le commerce de détail, 53 000 dans l'hébergement et la
restauration, 52 000 en santé, etc. Alors que les deux premiers
domaines (les « hôtelleries, cafés et restauration » de
Macron) regroupent souvent des emplois « non spécialisés »,
ce n'est pas le cas du 3e. Pourtant tous trois (et
plusieurs autres d'ailleurs) ont un point en commun : offrir des
emplois dont la qualité laisse à désirer.
Tandis que le commerce de
détail et l'hébergement/restauration sont réputés pour leurs
horaires atypiques, le temps partiel / temporaire ainsi que les
mauvais salaires, ils n'ont pas tant à envier aux travailleuses et
travailleurs de la santé au Québec, dont les conditions de travail
ont fait les manchettes à plusieurs reprises cette année, un récent
sondage de la FSSS-CSN venant soutenir cette représentation. Sans invalider le fait qu'il
arrive que des emplois de qualité ne trouvent pas preneurs, ce qui
précède semble soutenir que plutôt qu'à une main-d’œuvre non
disponible, nous avons souvent affaire – et pour de bonnes raisons
– à une main d’œuvre non disposée; non disposée à
(ré)intégrer le marché du travail à n'importe quel prix, n'en
déplaise à certains idéologues du capital.
Dit autrement,
plutôt que d'encourager un chômeur à abandonner sa « vocation » (ou à tout le moins sa profession de choix dans laquelle il peut
espérer se développer) pour se trouver une « jobbine »
de l'autre côté de la rue, Macron tout comme les chefs des
principaux partis du Québec devraient peut être repenser notre
rapport, comme individus et société, au travail. Alors que
l'incohérence entre diktat du développement économique et
nécessité de protéger l'environnement se fait de plus en plus
sentir, il semble de moins en moins réaliste de maintenir l'idéal
productiviste que nous continuons de mettre de l'avant où trouver un
emploi et répondre aux besoins du marché prime sur les intérêts
des individus.
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