mardi 3 octobre 2017

Véritable "pénurie" des infirmières?

Des infirmières courtisées jusqu’en France, un geste prématuré selon la FIQ

Dans l’actualité de la dernière semaine, quelques articles de journaux ont été publiés concernant les difficultés rencontrées par certains établissements de santé québécois à recruter des infirmières pour combler leurs postes et que ces derniers se tourneraient vers la France combler le manque de personnel[1]. Étroitement liée au problème, La Presse rapporte que les heures supplémentaires sont aussi en hausse dans une période dite « inhabituelle »[2], c’est-à-dire, à la période extra-estivale dans laquelle les vacances sont terminées. Or, la Fédération Interprofessionnelle en santé du Québec, le syndicat représentant ces infirmières accuse le gouvernement québécois ainsi que les divers établissements de santé de ne pas révéler les vraies données concernant le nombre d’infirmières embauchées et de recruter du personnel à l’étranger « sous couvert de la pénurie ». De plus, selon la FIQ, à l’heure actuelle 50% des infirmières ainsi que 33% des auxiliaires à l’échelle provinciale ont un poste à temps plein[3], ce qui rend la pénurie d’autant plus surprenante. Par ailleurs, on peut noter que le taux d’emploi atypique, soit le temps partiel, le recours aux agences de placement ou le travail sur appel, a progressé de 52,2% dans le secteur de la santé[4], ce qui n’inclut toutefois pas seulement les infirmières, mais aussi les emplois administratifs, ménagers, cuisines ainsi que les préposés aux bénéficiaires.

En prenant en compte les transformations des marchés du travail ainsi que le rôle actif de l’État dans la mise en concurrence des travailleurs-ses[5] – même à l’échelle internationale comme on le voit dans ce cas-ci – il semble que le problème de « pénurie » correspond à la logique de prolifération des statuts atypiques au sein même des employé-es de la fonction publique. Cette pratique, normalisée par les politiques d’embauche des différents paliers de gouvernements au Canada, soit au fédéral, provincial et municipale, force les établissements de santé à se tourner vers une main d’œuvre qualifiée à l’étranger pour combler les heures manquantes. Force est de constater qu’il est paradoxal de la part du gouvernement québécois d’avoir recours à des heures supplémentaires qui coûtent plus cher pour combler une « pénurie » qu’il a lui-même mis en place! De plus, on peut fortement se douter que cette institutionnalisation des heures supplémentaires en tant que pratique normalisée a des conséquences à la fois pour le bien-être des infirmières, mais aussi dans la qualité des soins aux patients. On peut aussi imaginer que ces conditions de travail force les infirmières à déserter leur emploi, vouloir moins d’heures, bref, un désenchantement face à la profession que j’ai pu constater moi-même dans le cadre de mon emploi sur le bloc d’urgence d’un hôpital à Montréal.  

Dans un autre ordre d’idées, il est frappant de constater que c’est la France qu’on se tourne pour aller chercher une main d’œuvre qualifiée, et non vers les pays du Sud global telles qu’on le fait pour la main d’œuvre non-qualifiée. Outre les relations qu’ont la France et le Québec, notamment en ce qui concerne la langue d’usage, la mention quasi-automatique du recours à la France comme bassin de main d’œuvre, met en relief les politiques d’immigrations canadiennes à deux vitesses selon les pays d’origine.  

Ce que l’on constate finalement, c’est que l’on a étiré l’élastique du recours aux heures supplémentaires pour combler la pénurie de main d’œuvre au maximum. Cependant, on constate que cette solution n’est plus envisageable et que les établissements de santé sont forcés de se tourner vers une main d’œuvre internationale pour combler les besoins de main d’oeuvre. Enfin, au lieu d’augmenter les salaires, d’améliorer les conditions de travail et de rendre la profession plus « attrayante », le gouvernement québécois, dans sa logique néolibérale de mise en concurrence des travailleuses et travailleurs, préfère avoir recours à des travailleuses étrangères afin maintenir l’emploi atypique comme pratique normalisée.




[1] Gentile, David (2017) « Des infirmières courtisées jusqu’en France, un geste prématuré selon la FIQ » Radio-Canada En ligne : http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/1058426/infirmieres-recrutement-france-premature-selon-fiq (Mis à jour le 28 septembre 2017)
[2] Lévesque, Lia (2017) « Infirmières : hausse des heures supplémentaires à des périodes inhabituelles » La Presse En ligne : http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201710/01/01-5138347-infirmieres-hausse-des-heures-supplementaires-a-des-periodes-inhabituelles.php (Mis à jour le 1er octobre 2017)
[3] Ibid.
[4] Noiseux,Yanick  (2011) Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec, Presses de l’Université du Québec, Québec, p. 25
[5] Dardot, Pierre et Christian Laval (2009) La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris.

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