dimanche 1 octobre 2017

Le travail le dimanche : du volontariat forcé ?

La France est depuis quelques années la destination la plus touristique du monde. En 2015, le tourisme français représentait plus de 7,2% de son PIB. C’est donc dans l’optique de favoriser l’économie et la dynamique touristique du pays, que la loi Macron d’Août 2015 proposa la création de ZTI (Zones Touristiques Internationales). Ces zones, délimitées par arrêtés, sont les quartiers les plus fréquentés par les touristes. Bien que selon certains responsables de syndicats, il y aurait des zones devenues ZTI où il n’y a jamais un seul touriste. Les commerces situés dans ces Zones Touristiques Internationales pourraient désormais ouvrir plus de cinq dimanches par an (limite fixée jusqu’à présent) dans le but de satisfaire une plus grande clientèle.

Cependant cette nouvelle loi ne fait pas l’unanimité auprès des différents acteurs concernés. D’un côté on retrouve les patrons des enseignes et de l’autre les employés menés par les différents syndicats comme la CGT par exemple. Comme dans toutes luttes, chacun à ses propres revendications et ses propres arguments. Claude Boulle, président exécutif de l’Union du grand commerce de centre-ville, sait pertinemment que les touristes qui, en se promenant, tombent sur un commerce fermé, ne vont pas revenir le lendemain pour ce commerce. C’est donc une baisse  du chiffre d’affaire pour ces magasins.

De leur côté, les salariés ne voient pas cette nouvelle loi comme un avantage. Isabelle, Monique et Frédérique, toutes les trois employées au magasin Le Bon Marché, expliquent : « On finit deux jours par semaine à 21 heures, plus les samedis, on n’a jamais de week-ends. ». Or rappelons que depuis la loi du 13 Juillet 1906, le jour de repos hebdomadaire obligatoire est le dimanche. C’est un droit obtenu après un compromis entre laïque et chrétien après la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le repos dominical est ainsi ancré dans les mœurs et les traditions depuis cette date. Que ce soit pour les personnes laïques ou non, le dimanche est très symbolique. Le dimanche est le jour Saint, le jour où l’on va à l’Eglise, mais également le jour on l’on vote. En dehors de l’aspect traditionnel, il y a également l’aspect pratique pour ces employés. Que vont faire les femmes seules avec enfants ? Comment vont-elles les faire garder ?

Sur le papier, la loi parait positive pour le salarié. En effet, la loi stipule que : « Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche […] » et en cas de refus, le salarié est protégé par cette même loi : 

« - Une entreprise ne peut prendre en considération le refus d'une personne de travailler le dimanche pour refuser de l'embaucher.

- Le salarié qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail.

- Le refus de travailler le dimanche pour un salarié ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. »

Mais dans les faits, c’est autre chose. Les employés ont plus l’impression qu’il s’agit de « volontariat forcé » et qu’ils sont manipulés. Si les salariés refusent ce soi-disant « volontariat », les patrons leur mettent la pression et leur font du « chantage sur les congés payés, les horaires, les fermetures de magasin », expliquent Catherine Gaigne. Ou encore « Tu laisses tomber tes collègues ? » rapportent deux vendeuses chez Sephora. Les salariés se sentent coincés et coupables. Cette fausse liberté n’est pas sans rappeler la « liberté de choisir » dont parle Pierre Dardot dans son essai La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale. Dans son ouvrage il cite Bentham « Tout le secret de l’art du pouvoir, est de faire en sorte que l’individu poursuive son intérêt comme si c’était son devoir… » Comme ici avec les employés interrogés dans l’article. On va faire croire au salarié que c’est dans son intérêt et dans son devoir d’agir ainsi, alors qu’en réalité c’est tout le contraire. Une personne aura implanté l’idée dans l’esprit du salarié et pourra ainsi le manipuler.


Comme il y a 100 ou 50 ans, les patrons arrivent encore aujourd’hui à manipuler et orienter le choix de leurs employés grâce à la peur du chômage. Bien que certains se rendent compte de ce chantage, ont-ils pour autant conscience que leur « liberté de choisir » ne leur appartient pas vraiment ? Ce « volontariat forcé » ne peut-il pas être vu comme une sorte d’esclavage moderne ?


Lucie Bouvier


Sources :
-Le Monde, « Travail du dimanche : du « volontariat forcé », selon les syndicats », Jade Grandin de l'Eprevier, le 16 septembre 2015. 

-Le Monde, « Dans les grands magasins, le travail du dimanche dans l’impasse », Cécile Prudhomme, le 28 mai 2016.       http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/05/28/dans-les-grands-magasins-le-travail-du-dimanche-dans-l-impasse_4928145_3234.html

-Le Figaro, « La loi de 1906 sur le repos dominical : un texte de réconciliation », Guillaume Perrault, le 30 septembre 2013.

-Dardot Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. P.300

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