Pensez-vous que le fait d’obtenir des
résultats scolaires au-dessus de la moyenne au secondaire serait corrélé avec
un succès sur le marché du travail ?
Au
premier abord, il semblerait logique de répondre que les deux facteurs sont
corrélés puisque le succès académique pourrait indiquer la présence certains
traits comme la ténacité, la persévérance et la capacité d’analyse qui sont
très utiles sur le marché du travail.
Détrompez-vous ! Même s’il est
vrai que les prodiges de l’école secondaire acquièrent certaines
caractéristiques qui favorisent une meilleure insertion sur le marché du
travail, ils mènent généralement une vie professionnelle «ordinaire». Ce sont
les résultats d’une étude menée par la professeure Karen Arnold de l’Université
de Boston qui a suivi pendant 14 ans un groupe de 81 premiers de classe au
secondaire afin de voir si le succès scolaire se transposait sur le marché du
travail :
«La grande majorité
d’entre eux connaissent un succès professionnel sans éclat. Bien sûr, tous
gagnent bien ou très bien leur vie, mais alors qu’ils étaient des élèves
remarqués au secondaire, plus rien dans leur vie professionnelle ne leur permet
de se distinguer. Parents et professeurs disaient d’eux qu’ils iraient loin un
jour. Pourtant, après 14 ans sur le marché du travail, ils donnent l’impression
de s’être arrêtés à mi-parcours. [1]»
Ainsi,
la plupart des jeunes qui se démarquaient au secondaire grâce à des résultats
scolaires supérieurs à la moyenne ne sortent plus vraiment du lot une fois
rendus sur le marché du travail. De plus, ce constat complète les résultats
d’un sondage réalisé auprès de 700 millionnaires qui montrent que ceux qui
obtiennent de grands succès professionnels sont dans bien des cas des élèves
moyens au secondaire et qui éprouvent parfois des difficultés à l’école. Nous
connaissons tous un philanthrope milliardaire qui abandonné l’école pour mettre
sur pied une entreprise qui correspondait à sa passion…
En
contrepartie, les élèves qui avaient des notes très élevés au secondaire ont
suivi des parcours très prévisibles et ordinaires. En effet, la plupart ont
fréquenté une bonne université, ont obtenu un diplôme dans un programme
exigeant et ont trouvé un emploi dans le domaine des sciences, de
l’administration ou des services professionnels[2]. Pourquoi en est-il ainsi
?
Mme
Arnold nous offre une réponse assez intéressante : «Pour réussir au
secondaire, il faut être généraliste, soit acquérir des connaissances variées
dans un grand nombre de domaines, et savoir s’intégrer dans un environnement
scolaire dont les règles et procédures sont strictes[3]». De ce fait, il n’est pas
étonnant de constater que les étudiants modèles du secondaire suivent un
parcours très prévisible, ordinaire et conformiste qui correspond à la fois aux
attentes parentales, mais également aux normes de la société. Inversement,
ex-étudiants qui réussissent le mieux sur le marché du travail se spécialisent
dans un domaine particulier qui devient en quelque sorte leur passion et vont
souvent à l’encontre des attentes sociales ce qui leur permet d’innover.
Bref, cette
étude montre qu’il n’y a pas une corrélation directe entre le succès scolaire
au secondaire et le succès subséquent sur le marché du travail. Autrement dit,
les notes du secondaire ne prédisent pas l’avenir professionnel d’un individu,
l’apprentissage est une question beaucoup plus complexe que le système de
notation scolaire. Par conséquent, le succès sur le marché du travail implique
une initiative entrepreneuriale individuelle qui déroge souvent des cadres
sociaux formels imposés par les institutions et la famille. Cet article ne
serait pas complet sans une critique des résultats présentés par cette
recherche.
Premièrement,
pour la chercheuse, le fait de connaitre du «succès» ou de bien réussir sa vie
professionnelle est directement associé à la rémunération et au fait de se
lancer en entreprenariat. Dans cette logique, un travail «ordinaire» ne suffit
pas pour «réussir» sur le marché du travail, il faut que l’individu se
responsabilise et prenne l’initiative de se lancer en entreprenariat. Pour
Dardot et Laval, le discours normatif de cette chercheuse s’inscrirait
parfaitement dans la doctrine néo-libérale qui cherche à responsabiliser
l’individu face à son intégration sur le marché du travail. Ainsi, l’individu
qui veut avoir du «succès» dans sa vie professionnelle doit de prendre des
risques, gérer son propre salaire, mais surtout renoncer aux protections que
lui offrirait un emploi «ordinaire». En d’autres mots, la quête du millionnaire
remplace l’ordinaire.
Deuxièmement,
pour la Arnold, la réussite sur le marché du travail s’acquiert par la
spécialisation dans une tâche particulière et non par l’acquisition de
connaissances générales sur divers domaines. En effet, les généralités acquises
au secondaire ne sont pas utiles dans la vie professionnelle puisqu’elles ne
permettent pas de se perfectionner dans une tâche spécifique. Ainsi, tout comme
Ford et Taylor (19e siècle), l’auteure croit que l’efficacité sur le
marché du travail passe par la spécialisation. Un individu qui aurait
internalisé cette logique serait mieux outillé qu’un généraliste.
Au
final, nous voyons bien qu’autant le spécialiste du travail, Mario Charrette,
et la chercheuse Karen Arnold font l’éloge d’une conception néo-libérale du
travail fondée sur la responsabilisation de l’individu, la recherche
d’efficacité et la quête de profits. De nos jours, ce discours normatif
prescriptif provenant «d’experts» devient de plus en plus répandu au sein
divers médias. Par conséquent, la doctrine néo-libérale s’imprègne dans notre
quotidien souvent à notre insu à travers les interactions que l’on entretient
avec les diverses sources d’information. Lorsque la quête de profit devient une
règle absolutiste et que la normalité rime avec communisme, deviendrez-vous un
élève modèle du néolibéralisme?
-
Francis Lavigne Therrien
Source :
Charrette Mario, «Les élèves moyens
réussissent mieux dans leur carrière», Journal Métro, 11 octobre 2017 http://journalmetro.com/opinions/de-bon-conseil/1210221/les-eleves-moyens-reussissent-mieux-dans-leur-carriere/
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