lundi 16 octobre 2017

Les génies du travail : Une moyenne qui frôle l’excellence

Pensez-vous que le fait d’obtenir des résultats scolaires au-dessus de la moyenne au secondaire serait corrélé avec un succès sur le marché du travail ?
Au premier abord, il semblerait logique de répondre que les deux facteurs sont corrélés puisque le succès académique pourrait indiquer la présence certains traits comme la ténacité, la persévérance et la capacité d’analyse qui sont très utiles sur le marché du travail.  Détrompez-vous !  Même s’il est vrai que les prodiges de l’école secondaire acquièrent certaines caractéristiques qui favorisent une meilleure insertion sur le marché du travail, ils mènent généralement une vie professionnelle «ordinaire». Ce sont les résultats d’une étude menée par la professeure Karen Arnold de l’Université de Boston qui a suivi pendant 14 ans un groupe de 81 premiers de classe au secondaire afin de voir si le succès scolaire se transposait sur le marché du travail :
«La grande majorité d’entre eux connaissent un succès professionnel sans éclat. Bien sûr, tous gagnent bien ou très bien leur vie, mais alors qu’ils étaient des élèves remarqués au secondaire, plus rien dans leur vie professionnelle ne leur permet de se distinguer. Parents et professeurs disaient d’eux qu’ils iraient loin un jour. Pourtant, après 14 ans sur le marché du travail, ils donnent l’impression de s’être arrêtés à mi-parcours. [1]»
Ainsi, la plupart des jeunes qui se démarquaient au secondaire grâce à des résultats scolaires supérieurs à la moyenne ne sortent plus vraiment du lot une fois rendus sur le marché du travail. De plus, ce constat complète les résultats d’un sondage réalisé auprès de 700 millionnaires qui montrent que ceux qui obtiennent de grands succès professionnels sont dans bien des cas des élèves moyens au secondaire et qui éprouvent parfois des difficultés à l’école. Nous connaissons tous un philanthrope milliardaire qui abandonné l’école pour mettre sur pied une entreprise qui correspondait à sa passion…

En contrepartie, les élèves qui avaient des notes très élevés au secondaire ont suivi des parcours très prévisibles et ordinaires. En effet, la plupart ont fréquenté une bonne université, ont obtenu un diplôme dans un programme exigeant et ont trouvé un emploi dans le domaine des sciences, de l’administration ou des services professionnels[2]. Pourquoi en est-il ainsi ?
Mme Arnold nous offre une réponse assez intéressante : «Pour réussir au secondaire, il faut être généraliste, soit acquérir des connaissances variées dans un grand nombre de domaines, et savoir s’intégrer dans un environnement scolaire dont les règles et procédures sont strictes[3]». De ce fait, il n’est pas étonnant de constater que les étudiants modèles du secondaire suivent un parcours très prévisible, ordinaire et conformiste qui correspond à la fois aux attentes parentales, mais également aux normes de la société. Inversement, ex-étudiants qui réussissent le mieux sur le marché du travail se spécialisent dans un domaine particulier qui devient en quelque sorte leur passion et vont souvent à l’encontre des attentes sociales ce qui leur permet d’innover.
Bref, cette étude montre qu’il n’y a pas une corrélation directe entre le succès scolaire au secondaire et le succès subséquent sur le marché du travail. Autrement dit, les notes du secondaire ne prédisent pas l’avenir professionnel d’un individu, l’apprentissage est une question beaucoup plus complexe que le système de notation scolaire. Par conséquent, le succès sur le marché du travail implique une initiative entrepreneuriale individuelle qui déroge souvent des cadres sociaux formels imposés par les institutions et la famille. Cet article ne serait pas complet sans une critique des résultats présentés par cette recherche.
Premièrement, pour la chercheuse, le fait de connaitre du «succès» ou de bien réussir sa vie professionnelle est directement associé à la rémunération et au fait de se lancer en entreprenariat. Dans cette logique, un travail «ordinaire» ne suffit pas pour «réussir» sur le marché du travail, il faut que l’individu se responsabilise et prenne l’initiative de se lancer en entreprenariat. Pour Dardot et Laval, le discours normatif de cette chercheuse s’inscrirait parfaitement dans la doctrine néo-libérale qui cherche à responsabiliser l’individu face à son intégration sur le marché du travail. Ainsi, l’individu qui veut avoir du «succès» dans sa vie professionnelle doit de prendre des risques, gérer son propre salaire, mais surtout renoncer aux protections que lui offrirait un emploi «ordinaire». En d’autres mots, la quête du millionnaire remplace l’ordinaire.
Deuxièmement, pour la Arnold, la réussite sur le marché du travail s’acquiert par la spécialisation dans une tâche particulière et non par l’acquisition de connaissances générales sur divers domaines. En effet, les généralités acquises au secondaire ne sont pas utiles dans la vie professionnelle puisqu’elles ne permettent pas de se perfectionner dans une tâche spécifique. Ainsi, tout comme Ford et Taylor (19e siècle), l’auteure croit que l’efficacité sur le marché du travail passe par la spécialisation. Un individu qui aurait internalisé cette logique serait mieux outillé qu’un généraliste.
Au final, nous voyons bien qu’autant le spécialiste du travail, Mario Charrette, et la chercheuse Karen Arnold font l’éloge d’une conception néo-libérale du travail fondée sur la responsabilisation de l’individu, la recherche d’efficacité et la quête de profits. De nos jours, ce discours normatif prescriptif provenant «d’experts» devient de plus en plus répandu au sein divers médias. Par conséquent, la doctrine néo-libérale s’imprègne dans notre quotidien souvent à notre insu à travers les interactions que l’on entretient avec les diverses sources d’information. Lorsque la quête de profit devient une règle absolutiste et que la normalité rime avec communisme, deviendrez-vous un élève modèle du néolibéralisme?

- Francis Lavigne Therrien

Source : Charrette Mario, «Les élèves moyens réussissent mieux dans leur carrière», Journal Métro, 11 octobre 2017 http://journalmetro.com/opinions/de-bon-conseil/1210221/les-eleves-moyens-reussissent-mieux-dans-leur-carriere/



[1] Charrette Mario, «Les élèves moyens réussissent mieux dans leur carrière», Journal Métro, 11 octobre 2017 http://journalmetro.com/opinions/de-bon-conseil/1210221/les-eleves-moyens-reussissent-mieux-dans-leur-carriere/
[2] Idem
[3] Idem

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