La saison touristique record
que vient de connaître le Québec fut accompagnée d’une pénurie de cuisiniers
dans les établissements de restauration. Mais pourquoi donc ? Ma courte analyse
du discours médiatique ne semble malheureusement mobiliser que le point de vue
des employeurs qui bien sûr demeurent avares de commentaires pour décrire les
conditions précaires auxquelles peuvent
être confrontées certains cuisiniers. Au contraire, ce à quoi je me suis plutôt
buté lors de ma courte revue du discours médiatique expliquant la pénurie
conserve plus des allures de déculpabilisation pour les restaurateurs
accompagnées bien sûr d’un rejet du blâme sur des cuisiniers soi-disant
« irresponsables ».
En entrevue à Radio-Canada[1], il m’a fait rire
d’entendre un restaurateur dire tout bonnement : «il m’arrive souvent de
devoir composer avec des cuisiniers qui m’appellent 20 minutes avant leur quart
de travail pour me dire qu’ils ne rentreront plus ». Deux poids et deux
mesures dans ce cas-ci où l’on sait très bien qu’il est pratique courante et
normalisée dans les restaurants de « couper » du personnel quand
l’achalandage est en deçà de ce qu’il faudrait pour faire travailler x nombre
d’employés. Or, toutefois curieux (ou plutôt pas vraiment quand l’on considère
que l’individu est un être rationnel cherchant à maximiser son profit) d’entendre
un restaurateur blâmer des employés, et ce autrement que pour des motifs reliés
à la compétence, quand ces derniers essaient eux-aussi après tout de profiter à
leur manière de la flexibilité et de la
mobilité qu’offre le marché de l’emploi en restauration.
Parallèlement, afin de contrer
de futures pénuries de cuisiniers, la solution médiatique proposée a du moins
le mérite d’être claire : un partage plus équitable des pourboires entre
le service (l’avant salle) et les cuisiniers. Solution qui, encore une fois,
trouve sans doute un énorme bassin de partisans chez les employeurs, sur qui ne
reposeraient aucunement l’obligation de devoir sortir de leurs poches plus de
capitaux destinés à une meilleure rétribution salariale pour les cuisiniers. Plutôt,
la solution trouverait source dans les compte en banque des employés (les
serveurs en l’occurrence), désormais forcés de partager leur pourboire avec les
cuisiniers.
Si je ne considère pas cette
avenue comme une solution dénuée de sens, ce sur quoi je m’interroge est plutôt
l’attention médiatique attribuée au discours des employeurs qui bien sûr vont
affirmer haut et fort que les serveurs gagnent trop d’argent, bien qu’ils ne
représentent un maigre 9,45$ de l’heure (soit
un dollar en dessous du salaire minimum) d’investissement pour le restaurateur.
Ainsi, pourquoi l’argent devrait sortir de la poche du serveur, et non de celle
de l’employeur? Si je ne possède pas les
compétences en calcul économique pour répondre à une telle question, il reste
toutefois étonnant que cette question n’ait pas été posée aux employeurs dans
la courte revue médiatique que j’ai faite. Quand on sait que plusieurs cuisiniers
au Québec (dont ceux travaillant dans des institutions gastronomiques)
commencent avec un salaire horaire de base précaire (12 ou 13$ de l’heure), on
peut quand même se demander s’il n’est pas possible que l’employeur en donne un
peu plus directement de sa poche au lieu d’hypocritement solliciter celle du
serveur.
Enfin, le restaurateur
québécois, et ce peut-être dans le monde je ne le sais pas, semble jouir d’un
avantage majeur dans le cadre de rapports de pouvoir avec ses cuisiniers.
Effectivement, le métier de cuisinier a longtemps surfé sur une vague sur laquelle il peut être
gratifiant pour celui qui l’occupe d’en retirer une certaine fierté. Or, le
fait qu’il soit plutôt
« cool » d’être cuisinier aurait fait en sorte de faire exploser
l’offre sur le marché du travail pour ce métier. Pourtant, les conditions de travail
et le salaire qui lui sont associé ne vont pas certainement pas de pair avec
cette image qui, comme le prouve cette
pénurie, commence sans doute à ternir. Pour y remédier il faudra sans
doute, et ce dès l’été prochain,
accorder plus de place dans l’espace médiatique au discours des cuisiniers et
non qu’à celui des propriétaires de restaurants.
Ludovic Chaouachi
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