jeudi 26 octobre 2017

Pourquoi la pénurie ?

La saison touristique record que vient de connaître le Québec fut accompagnée d’une pénurie de cuisiniers dans les établissements de restauration. Mais pourquoi donc ? Ma courte analyse du discours médiatique ne semble malheureusement mobiliser que le point de vue des employeurs qui bien sûr demeurent avares de commentaires pour décrire les conditions précaires  auxquelles peuvent être confrontées certains cuisiniers. Au contraire, ce à quoi je me suis plutôt buté lors de ma courte revue du discours médiatique expliquant la pénurie conserve plus des allures de déculpabilisation pour les restaurateurs accompagnées bien sûr d’un rejet du blâme sur des cuisiniers soi-disant « irresponsables ».
En entrevue à Radio-Canada[1], il m’a fait rire d’entendre un restaurateur dire tout bonnement : «il m’arrive souvent de devoir composer avec des cuisiniers qui m’appellent 20 minutes avant leur quart de travail pour me dire qu’ils ne rentreront plus ». Deux poids et deux mesures dans ce cas-ci où l’on sait très bien qu’il est pratique courante et normalisée dans les restaurants de « couper » du personnel quand l’achalandage est en deçà de ce qu’il faudrait pour faire travailler x nombre d’employés. Or, toutefois curieux (ou plutôt pas vraiment quand l’on considère que l’individu est un être rationnel cherchant à maximiser son profit) d’entendre un restaurateur blâmer des employés, et ce autrement que pour des motifs reliés à la compétence, quand ces derniers essaient eux-aussi après tout de profiter à leur manière de la flexibilité et  de la mobilité qu’offre le marché de l’emploi en restauration.
Parallèlement, afin de contrer de futures pénuries de cuisiniers, la solution médiatique proposée a du moins le mérite d’être claire : un partage plus équitable des pourboires entre le service (l’avant salle) et les cuisiniers. Solution qui, encore une fois, trouve sans doute un énorme bassin de partisans chez les employeurs, sur qui ne reposeraient aucunement l’obligation de devoir sortir de leurs poches plus de capitaux destinés à une meilleure rétribution salariale pour les cuisiniers. Plutôt, la solution trouverait source dans les compte en banque des employés (les serveurs en l’occurrence), désormais forcés de partager leur pourboire avec les cuisiniers.
Si je ne considère pas cette avenue comme une solution dénuée de sens, ce sur quoi je m’interroge est plutôt l’attention médiatique attribuée au discours des employeurs qui bien sûr vont affirmer haut et fort que les serveurs gagnent trop d’argent, bien qu’ils ne représentent un maigre 9,45$ de l’heure  (soit un dollar en dessous du salaire minimum) d’investissement pour le restaurateur. Ainsi, pourquoi l’argent devrait sortir de la poche du serveur, et non de celle de l’employeur?  Si je ne possède pas les compétences en calcul économique pour répondre à une telle question, il reste toutefois étonnant que cette question n’ait pas été posée aux employeurs dans la courte revue médiatique que j’ai faite. Quand on sait que plusieurs cuisiniers au Québec (dont ceux travaillant dans des institutions gastronomiques) commencent avec un salaire horaire de base précaire (12 ou 13$ de l’heure), on peut quand même se demander s’il n’est pas possible que l’employeur en donne un peu plus directement de sa poche au lieu d’hypocritement solliciter celle du serveur.
Enfin, le restaurateur québécois, et ce peut-être dans le monde je ne le sais pas, semble jouir d’un avantage majeur dans le cadre de rapports de pouvoir avec ses cuisiniers. Effectivement, le métier de cuisinier a longtemps surfé  sur une vague sur laquelle il peut être gratifiant pour celui qui l’occupe d’en retirer une certaine fierté. Or, le fait qu’il soit  plutôt « cool » d’être cuisinier aurait fait en sorte de faire exploser l’offre sur le marché du travail pour ce métier. Pourtant, les conditions de travail et le salaire qui lui sont associé ne vont pas certainement pas de pair avec cette image qui, comme le prouve  cette pénurie, commence sans doute à ternir. Pour y remédier il faudra sans doute,  et ce dès l’été prochain, accorder plus de place dans l’espace médiatique au discours des cuisiniers et non qu’à celui des propriétaires de restaurants.

Ludovic Chaouachi










[1] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1045437/penurie-cuisiniers-restaurants-quebec

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