mardi 17 octobre 2017

Les maux de l'emploi

 « Le travail c’est la santé »
Cash Investigation est une émission qui présente les enquêtes dénonçant -toujours avec dérision- certaines facettes du « monde merveilleux des affaires » s’attèle aujourd’hui aux facettes peu éthiques du monde du travail. Dans un monde où les pratiques managériales des plus grandes entreprises contemporaines vendent comme philosophie une responsabilisation des salariés concernant leurs heures de travail dans un cadre de travail ouvert et adapté aux besoins de chacun, d’autres entreprises délaissent totalement les conditions de travail de leurs employés. L’émission présentée en bas de cet article cherche à exposer au grand jour les pratiques de deux entreprises. Nous nous concentrerons ici particulièrement sur le cas de Lidl, laissant à la curiosité du lecteur le cas de l’opérateur téléphonique Free. 
Lidl est une entreprise de grande distribution d’origine allemande, présente dans 26 pays d’Europe, possédant 7 839 magasins en 2014 en France. Fondée sur une volonté minimaliste de hard-discount, Lidl offre aux clients des produits à des prix très attractifs. Vous devinez évidemment que cette initiative n’a de populaire que sa philosophie puisqu’elle se transforme à travers une « nécessité » de réduire les coûts de production pour gagner une marge sur les produits vendus. À travers une infiltration presque ethnographique, un des journalistes s’est immiscé dans un des entrepôts de l’entreprise. Sa tâche est alors de prendre les palettes de produits demandées, de les mettre sur le transporteur, et de décharger le tout à l’endroit demandé. Ce processus déjà rébarbatif s’opérationnalise grâce à un micro-casque porté en tout temps, qui permet aux employés d’entendre une voix robotisée énonçant les numéros des produits et les emplacements désignés. Le robot qui est à l’autre bout du fil ne comprend que certains ordres préprogrammés : « Ok », « répéter » etc.
« Je crois que j’ai rêvé du boulot »
Le problème dans cette volonté d’élimination des rapports humains dans un emploi déjà rébarbatif, c’est la déshumanisation des employés. Lorsqu’un salarié dit une phrase qui sort des phrases reconnues par le logiciel derrière son casque d’écoute (comme pour saluer un collègue), la voix lui répond systématiquement « chiffres contrôle faux ». Sans cesse, tout au long de la journée, le salarié ne peut prononcer que 47 mots. La chercheuse à l’INRS développe alors sur les effets de déshumanisation ou de robotisation liés à la présence omniprésente de la machine. Au total, 3 600 mots sont prononcés quotidiennement dans une conversation à sens unique, pour augmenter d’environ 15% la production de chaque salarié.
« Pour quel travaille on vous paye ?! »
Les ordres donnés sont donc destinés à l’employés qui doit prendre le nombre de boite demandé, dans l’allée demandée, et le déposer à l’endroit indiqué. Ce sont des produits majoritairement alimentaires, comme des caisses de sauce tomates, des caisses cannettes… Officiellement, l’entreprise ne fixe aucun objectif de productivité. Derrière les caméras, les gérants de chaque entrepôt exigent une cadence de 250 colis portés par heure. Sauf que ces colis pèsent lourd. Au total, environ 8 tonnes portées par jour par chaque salarié. L’ergonome Alain Garrigou confirme que cette cadence n’a rien de bon pour la santé : tendinite, problèmes articulaires, arthrose avancée etc. Ces maladies reconnues comme des maladies professionnelles amènent un niveau d’usure important, qui se déclenche rapidement.
« C’est une machine à fabriquer des chômeurs de longue durée » 
Voilà donc une facette cachée par les prix bas de l’entreprise (et le reportage montre également les conditions de travail des employés en magasins qui ne peuvent avoir de pause, qui deviennent polyvalente lorsqu’il n’y a plus de clients en caisse…). La performance. Voilà donc la clé du succès ? À l’heure où le néo-libéralisme ne cesse de séduire les techniques managériales au profit d’une productivité accrue, d’une flexibilité sans relâche et d’une place grandissante des machines comme outils de travail, ce système productif ne pense-t-il finalement pas les salariés comme simple outil de production ? Dans ce cas, ne doit-il pas un minimum les préserver ? Certes, l’armée de réserve prête à prendre un emploi « à n’importe quel prix » ne diminue sûrement pas en nombre. Imaginons alors hypothétiquement l’inverse, et que le nombre de salarié apte à travailler s’estompe peu à peu. Ce monde, entre science-fiction et réalité, s’effondrerait de lui-même pour finalement comprendre que, comme les ressources terrestres, les ressources humaines restent limitées. Et donc à préserver.



Alizé Houdelinckx


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