mercredi 4 octobre 2017

Le nouveau visage de l’esclavage au cœur des fermes canadiennes


Deux hommes originaires du Guatemala ont été arrêtés le 18 septembre dernier puis détenus au Centre de surveillance de l’immigration à Laval. Placido Morales Reyes et David Rojas Morales, ainsi qu’une quinzaine de personnes l’an dernier affirment avoir été exploités par l’agence Les progrès Inc. Le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) soutient que ces individus arrêtés il y a trois semaines ont été « victimes du trafic de main-d’œuvre », et que les vrais contrevenants sont leurs employeurs et l’agence de placement Les Progrès. En changeant d’employeur et moyennant un paiement de près de 5000 dollars, cette agence leur aurait promis des permis de travail, un meilleur salaire, voir la résidence permanente, qu’ils n’allaient pourtant jamais obtenir. Rappelons que les permis de travail temporaires en milieu agricole sont rattachés à un seul employeur. En quittant cet employeur, les travailleurs se mettent dans une situation d’illégalité et disposent de peu d’options pour régulariser leur statut. Pour Viviana Medina Velazquez, une organisatrice communautaire du CTI, « Ces travailleurs ont été exploités dès le départ [...] Ils sont venus ici pour travailler et n’avaient d’autres choix que de subir des conditions de quasi-esclavage pour payer leurs dettes et nourrir leurs familles restées au Guatemala. »

-          Les flux migratoires contemporains : entre exploitation et privation de droits


Selon la Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), la tendance actuelle concernant le phénomène migratoire concernerait davantage l’encadrement de la mobilité plutôt que celle de l’immigration permanente. A ce titre, les migrants ne bénéficieraient pas des mêmes droits que les résidents permanents en matière d’emploi. Embauchés temporairement, les travailleurs migrants, tout comme d’autres travailleurs précarisés permettent de faire face à la pénurie de main d’œuvre dans certains domaines comme l’agriculture ou l’industrie dans lesquels les lois du travail sont en marge de celles appliquées usuellement. Ainsi, certaines catégories d’emplois comme le travail saisonnier sont réservés à ces travailleurs temporaires. Cette dynamique permet de satisfaire les idéaux contemporains de flexibilité, en concourant également à la prolifération des emplois atypiques. Cet effet vient alors réaménager le paysage du travail par l’effet de centrifugation, c’est-à-dire la segmentation des marchés du cœur vers les périphéries. Ce modèle doit être pensé en référence aux inégalités d’accès à l’emploi, donc à travers les problématiques du genre, de l’ethnicité et de l’âge. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une fois de plus, ce sont les individus ayant peu d’accès à l’information qui se retrouveront dans ce type de programme. Souvent désyndicalisés, ces travailleurs ont peu d’emprise sur les modalités d’intégration, sur les régimes d’assurance ou même les procédures juridiques qui accompagnent ce type d’emplois. Mis à l’écart par la barrière de la langue, ils leur est difficile de penser leur intégration ou d’intervenir pour se défendre face à des procédures abusives telles que celles évoquées dans cet article.

-          L’ouverture d’une brèche face à ces problématiques : le pouvoir des syndicats



Face à la répétition de ce type d’injustices, des groupes de lutte se mettent en place. Le TUAC (Travailleurs et Travailleuses Unis de l'Alimentation et du Commerce) lutte par exemple pour que les mexicains travaillant au Canada puissent se syndiquer sans être « mis sur liste noire » par le gouvernement mexicain, leur empêchant ainsi de revenir sur le territoire canadien. Ce cas, débattu en 2011 démontre l’une des nombreuses injustices avec lesquelles doivent faire face les travailleurs étrangers. Parallèlement, il illustre le pouvoir réel des syndicats, des associations et des groupes de personnes face aux procédures préjudiciables des gouvernements ou des entreprises.   

Mélissa Moriceau
Sources 
TUAC, "Halte à l'exclusion de travailleurs migrants !" consulté sur http://www.tuac.ca/index.php?Itemid=342&lang=fr

René Saint Louis, "Les travailleurs guatémaltèques arrêtés sont les vraies victimes, dit un organisme", Radio Canada, mis à jour le 15 novembre 2016, consulté sur http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1000133/travailleurs-guatemala-arretes-victoriaville-organismes-defense, consulté le 4 novembre 2017

Sarah R. Champagne, « Des travailleurs agricoles guatémaltèques disent avoir perdu des milliers de dollars », Le Devoir,  mis à jour le 3 novembre 2017, consulté sur http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/509457/une-agence-sous-enquete-et-poursuivie-par-17-travailleurs-toujours-en-activite, consulté le 4 novembre 2017

Yanick Noiseux, « Mondialisation, travail et précarisation : Le travail migrant temporaire au cœur de la dynamique de centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail », Recherches sociographiques, 2012



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