vendredi 27 octobre 2017

La technologie et la fin de l’emploi?

La technologie et la fin de l’emploi?

Depuis quelques années, on sent l’engouement pour les entreprises de grande surface à automatiser les caisses enregistreuses de libre-service : on peut le constater dans certaines épiceries, quincailleries ou dernièrement dans la restauration rapide avec les commandes réalisées sur un écran tactile par le client. L’article tiré du journal Le Devoir relate des inquiétudes « d’experts » (seul Sunil Johal, un professeur en politiques publiques de l’Université de Toronto est mentionné) concernant la perte d’emploi que ces nouvelles technologies peuvent engendrer. Or, cette inquiétude – ou cette réjouissance, c’est selon - ne date pas d’hier. En effet, l’économiste John M. Keynes écrivait en 1931 que le progrès technologique fulgurant constaté au 19e et au début du 20e siècle permettrait aux sociétés de réduire le temps de travail à quelques heures par jour puisque les technologies prendraient le relais. Plus récemment, l’économiste Jeremy Rifkin (1995) reprend l’argument technologique en affirmant que l’automatisation de la production serait dévastatrice pour les emplois industriels et de services (dans les commerces) et annonce ainsi de manière prophétique pas moins que The End of Work!

Comme on peut le constater, cette inquiétude ne date pas d’hier. En effet, la question de l’emploi est chargée politiquement, car on attend des gouvernements qu’ils participent et agissent activement à la création d’emplois : on peut le constater avec les promesses électorales un peu partout en Amérique du Nord, mais aussi en Europe. Bref, dans une lecture qui prêche par la croissance économique sans fin, la perte massive d’emploi est à proscrire, car nuirait à la prospérité d’une société. Cela dit, deux interrogations me viennent à l’esprit face à cette « menace » de perte d’emploi.

Premièrement, selon le philosophe André Gorz (1988), il argumente que dans la logique de la course au profit, le travail n’est pas supprimé : la technologie permet un gain de temps qui sera ensuite réinvesti ailleurs dans une autre fonction productive du travailleur. Ainsi, pour reprendre l’exemple des caisses automatisées, les caissières ne seront plus celles qui effectuent les transactions, mais celles qui vont s’assurer qu’elles fonctionnent correctement, que les clients ne soient pas en train de voler, etc. Le travail est alors déplacé : au lieu de travailler directement sur la marchandise produite, ou dans ce cas-ci échangée, l’employé-e devient un surveillant de machine. Il ajoute à cet effet que l’aliénation est d’autant plus forte – et c’est ce qui m’inquiète - alors que le produit de son travail ne se situe pas dans la marchandise, mais dans l’observation ou la surveillance de celle-ci : le rôle du travailleur passe d’actif à passif. En somme, contrairement aux inquiétudes du professeur de politiques publiques Sunil Johal face à la perte d’emplois, je ne crois pas que les entreprises visent nécessairement à éliminer des emplois qui représentent un coût de production, mais bien à améliorer l’efficacité, la productivité de la force de travail embauchée.

Deuxièmement, cette inquiétude me fait sourciller dans le mesure où l’on veut politiquement sauvegarder ces emplois précaires, faiblement rémunérés, ayant bien souvent de mauvaises conditions de travail. On le voit bien et de multiples exemples de l’actualité le démontrent : la quantité des emplois est bien souvent plus importante dans la lecture économiste traditionnelle que la qualité des emplois offerts. Je suis d’ailleurs toujours surpris de voir les entreprises se plaindre de « pénurie » d’emploi dans les magasins de grande surface et dans la restauration rapide alors que ces derniers sont peu attrayants : les salaires sont au minimum et les quarts de travail longs et pénibles.

Pour conclure, je doute véritablement que le travail est en voie d’être supprimé, il est plutôt déplacé. Dans le cas plus précis des commerces de grande surface, il est plausible de croire que plutôt de voir leur emploi éliminé, les employés seront réaffectés à de nouvelles tâches qui, accompagnées de machines, seront plus productifs et verront probablement une intensification de leur travail. Ainsi, pour que la prophétie keynesienne se réalise – que Gorz partage d’ailleurs - temps de travail réduit, afin que nous puissions passer plus de temps pour soi, ses loisirs, en famille, en amis, il faudra un changement drastique de paradigme économique pour témoigner de la disparition du travail ou de l’emploi.

Bibliographie :
Gorz, André (1988) Métamorphoses du travail : critique de la rationalité écononomique, Folio, Paris, 448 p.
Keynes, J. M. (1931) « Perspectives économiques pour nos petits-enfants », Essais de persuasions, pp. 170-178
Rifkin, J. (1995) The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era, G.P. Putnam’s Sons, New York, 361 p.
Sagan, Aleksandra (2017) « La technologie menace des emplois dans le commerce de détails, selon des experts » Le Devoir En ligne : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/511159/technologie-et-perte-d-emploi (À jour le 25 octobre 2017)


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