Le sujet du sommeil (ou plutôt de son manque
ou de sa qualité) est souvent révélateur de la contradiction du monde du travail
moderne. Certains sujets rattachés à la santé ou au bien-être des individus
restent toujours exploités par une dynamique de profit. Prenons ici une capture
d’écran du Journal de Montréal du lundi 16 octobre 2017. Deux articles
suscitent alors mon attention : « Les Québécois s’endorment aux
pilules ? » et « Le manque de sommeil un véritable fléau ».
Premier mouvement : Quand les moutons ne
s’arrêtent jamais de bondir …
L’article
présente (trop) succinctement les résultats du sondage Léger (pour l’émission
J.E. diffusé sur la chaîne TVA) en révélant que « les trois quarts des
Québécois ont de la difficulté à dormir ». Phénomène important donc, qui
ne manque pas d’alerter Pierre Mayer, directeur de la clinique du sommeil du
CHUM sur les dérives sur la santé. Non pas que ce phénomène soit faux, ni que
les risques soient exagérés, bien au contraire[1]. Le manque de sommeil reste un phénomène de
société aux causes et aux incidences multiples qui dépassent la sphère purement
individuelle. Certains auteurs montrent par exemple un effacement progressif de
la différence entre le jour et la nuit (similairement à de nombreuses branches
d’activité où l’emploi de jour s’étire de plus en plus vers la pleine nuit). Pourtant,
et l’article en est une bonne preuve, ce sont les incidences les plus « extrêmes »
qui restent le plus visible : là il s’agit d’un accident de voiture dû à un
endormissement au volant. Tout comme de nombreux problèmes de dépressions (burn
out) ou des dégradations physiques causées par un environnement professionnel
défavorable, le sommeil est également mis à mal par une activité défavorable liée
à l’emploi.
Second mouvement : … À l’arrivée des
pilules de Morphée
Pour
rester efficace dans ce cercle vicieux entre stress au travail, problème de
sommeil et baisse de productivité, il y a une belle solution : les
somnifères. Le second article de ce texte affirme que les prescriptions de
somnifères ont augmenté de 41% durant les cinq dernières années[2]. Selon l’article, ce
serait donc dû à un stress de ne pas être assez performant, ou à cause des
écrans… Bref. Il y existe de nombreux somnifères, mais celle dont les
prescriptions progressent le plus sont les « z » avec des effets
secondaires grandement diminués et mieux tolérés. Toujours selon l’article, le
choix de prendre des somnifères (allant de pair avec le refus de commencer une
thérapie longue) provient d’une volonté de résultats immédiats, parce que
« le patient n’est pas toujours prêt à investir temps et argent », souligne
le médecin de la Cité médicale.
La dynamique de la culpabilisation
Voilà donc succinctement une esquisse de ce que nous avons choisis de
présenter comme un mouvement : dénoncer un mal social grandissant pour
ensuite offrir une solution (les somnifères) déjà validée par les médecins et par
le nombre grandissant de consommateurs. Ce que les articles omettent de
dévoiler, c’est qu’il est prouvé que les troubles du sommeil sont souvent issus
de problèmes liés aux conditions de travail (ou à l’absence d’emploi), et que
les entreprises pharmaceutiques représentent un des plus gros lobbys au monde. Force
est ainsi de constater que, finalement, ces deux articles ne servent qu’à
utiliser la santé et le sommeil des lecteurs pour finalement vendre les
bienfaits (et les effets secondaires absents) des somnifères.
Les articles :
AGENCE QMI, «Le manque de sommeil, un véritable fléau», Le journal de Montréal, 12 octobre 2017
Consulté au http://www.journaldemontreal.com/2017/10/12/le-manque-de-sommeil-un-veritable-fleau, le lundi 16 octobre 2017.
CLOUTIER ELISA, «Les Québécois s’endorment aux pilules», Le journal de Montréal, 13 octobre 2017
Consulté au http://www.journaldemontreal.com/2017/10/13/les-quebecois-sendorment-aux-pilules, le lundi 16 octobre 2017.
Autres liens :
Viguier-Vinson Sophie, «Retrouver le sommeil, une affaire d'État», Sciences Humaines magazine, 09 juin 2016
Consulté au https://www.scienceshumaines.com/retrouver-le-sommeil-une-affaire-d-etat_fr_36475.html, le lundi 16 octobre 2017.
Damien Léger, Jean-Pierre Giordanella, Dalibor Frioux, Thibaut de Saint Pol, Antoine Hardy, Pascale Hebel, «Retrouver le sommeil, une affaire publique», Terra Nova - Think Tank progressiste, 25 avril 2016
Consulté au http://tnova.fr/rapports/retrouver-le-sommeil-une-affaire-publique, le lundi 16 octobre 2017.
[1] Les troubles du sommeil ne cessent
d’augmenter amenant des troubles liés à des dérèglements neurologiques,
« des psychotropes sur-consommés ; risque majoré d’accident vasculaire, de
cancer du sein et de grossesse pathologique par le travail de nuit qui bouscule
les rythmes physiologiques ; sans parler des 33 % d’accidents de voiture
mortels engendrés par la somnolence » (Viguier-Vinson, 2016).[2] « Les spécialistes et
psychologues interrogés par Le Journal ne sont pas étonnés par
cette augmentation des prescriptions, que peuvent expliquer un rythme de vie
effréné, l’anxiété de la performance au travail ou un manque d'équilibre entre
travail et loisirs, mais aussi les téléphones, tablettes ou autres que l'on
consulte avant d’aller au lit. »
Aucun commentaire:
Publier un commentaire