La conquête
de la génération Y des postes de directions dans l’économie numérique
mondialisé saura-t-elle dépasser la rencontre conflictuelle avec les
travailleurs antérieurs ? Un sondage du recruteur en ligne Career Builder, révélait ainsi qu’en
2014, 38% des employés disaient travailler pour un chef plus jeune. Leurs
compétences leur assurent des ascensions rapides dans un contexte d’e-commerce
et d’expansion du numérique à toujours plus de secteurs économiques.
Les
nouvelles générations sont-elles alors bien outillées pour travailler avec des
employés plus âgés ? Sans grande surprise, l’acclimatation est souvent
difficile des deux côtés. Le jeune chef doit apprendre à ne pas laisser
l’inégalité des compétences le distancer. Gestion de l’open-space, nouvelles
techniques de management et jargons, nouvelles techniques de travail, internationalisation
des réseaux sont un ensemble de savoir-faire pouvant créer des décalages avec
leurs nouveaux collaborateurs. Certaines compétences pédagogiques peuvent donc
leur faire défaut, c’est ce qu’identifie le Professeur Peter Cappelli de
l’université de Wharton en Pennsylvanie. Mal préparés, les jeunes dirigeants
peuvent se placer en experts autoritaires, éloignant par leurs remarques
l’employé plus âgé.
Pour le
Professeur Cappelli, il serait judicieux d’imiter le modèle militaire, soit
enseigner aux jeunes chefs à orienter l’action ou définir la stratégie et à
laisser leurs partenaires le choix du moyen pour y parvenir. L’important serait
de faire valoir l’expérience comme compétence plus que de la subordonner aux
nouvelles techniques de travail portées par le chef. L’indépendance dans le
choix de la méthode sortirait en partie l’employé plus âgés de la position
difficile d’infériorité et d’obéissance total à un chef plus jeune au ton
didactique. Pour illustré cette démarche nous est présentée, l’expérience de
l’entrepreneur trentenaire Dominik Stein
(Verts Mediterranean Grill)
partant à 21 ans d’un entêtement et d’une volonté de tout faire par lui-même
dans son premier grill, pour aboutir aujourd’hui à admettre qu’il est
nécessaire de déléguer pour faire naître un sentiment d’inclusion chez ses
cadres. Cette expérience est suivie du témoignage de Valentino Lanoce, un de
leurs employés de 55 ans, impressionné par leurs innovations « idées fraîches », occupant un poste
de cadre actif dans l’entreprise de ses employeurs.
La
psychologue Jessica Foster travaillant à RHR
International (une entreprise américaine aidant les seniors à adapter leurs
entreprises où leurs carrières) conclut l’article en mettant en avant le
« scepticisme » que
rencontre les jeunes chefs : « Même
les gens gentils de prime abord pensent qu’ils devraient être à leur poste. Les
jeunes doivent montrer qu’ils ont de réelles qualités ».
J’aimerais
terminer en mettant l’accent sur un point important, chaque entrée d’un
ensemble de personnes sur le monde du travail est étudiée sous l’angle de la
compétition. Celle des jeunes soulève la question de la lutte de la compétence
dans un contexte où la maîtrise du numérique est inévitable pour être
compétitif. Les anciens travailleurs ont donc l’angoisse d’être déclassés, de
ne pouvoir s’adapter et de voir l’expérience acquise durant des années de
travail se révéler fondamentalement insuffisante. L’émergence d’un ensemble de
patrons plus jeunes qu’eux devient une humiliation puisque vécu comme une
preuve que le monde du travail ne salue pas à leur juste valeur les années
passées au travail. Les nouveaux travailleurs eux doivent faire face ainsi à un
contexte de personnes opposées à l’expression de leurs nouvelles compétences et
volonté puisqu’elles sont vécues comme une remise en cause du modèle. Ce qui
les pousse inconsciemment à se raidir sur leurs positions, cherchant dans
l’autorité excessive une légitimité à occuper leurs nouvelles places de pouvoir
et se heurtant au décalage de compétence de leurs employés plus anciens
(précisément l’exemple de cas du professeur Cappelli). Le néo-libéralisme a
formé une société où la diversité de compétences et d’ambitions ne peut s’exprimer
que par leurs confrontations. Il faut se tailler une place, s’imposer, faire
respecter sa position de chef. Bref au nom de l’individualisme systémique et de
la compétitivité, il faut considérer dans le secteur économique que ce que l’on
apprend et ce que l’on veut faire implique une lutte féroce contre ceux qui le
faisaient avant soi précédemment.
Par: Gabriel Thibeau
Source: Le Monde économique : Management la génération Y prend les
commandes de Caroline Talbot
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