vendredi 5 décembre 2014

Métro, Boulot, Chrono





Phénomène récurrent et populaire en France, la critique de la fonction publique et de ses employés fait l’objet d’une réflexion intéressante par l’auteur de l’article intitulé Métro, boulot, chrono.            
En effet, on y retrouve une analyse pertinente du déplacement de valeurs qui s’est opéré dans la fonction publique, qui plus est dans le secteur des transports ferroviaires dans notre cas. Tout cela permet de comprendre les enjeux autour du syndicalisme et de la perception des employés, des mouvements de grève et de la réception de ceux-ci par la population et les usagers.     
Dans une logique de déconstruction du mouvement ouvrier, l’État a entièrement réorganisé la structure de ces institutions en privilégiant les micro-structures. Cela contraste d’emblée avec l’idée que l’on peut se faire des bastions d’autrefois et induit un remodelage des schèmes d’organisations et de socialisations qui caractérisaient les susnommés bastions. D’un groupe de 60 ouvriers partageant les mêmes horaires (repas, douche, travail…), nous passons à des groupes de 5 ou 6 individus. Le lien entre les travailleurs en est immédiatement affecté, puisque la culture ouvrière et de l’entreprise se transmettaient lors de ces moments privilégiés. Par un savant apport du management caractéristique de la société contemporaine, la redéfinition de la hiérarchie et la création de poste de chef de secteur interchangeable, couplé à la primauté du rendement sur la qualité, l’individuation du travail et des carrières se sont installées de façon latente, sans que les employés ne soient en mesure de répliquer pleinement. Il faut comprendre ici, que les syndicats pourtant puissants dans ce secteur, ont subi de plein fouet la campagne de sape médiatique mise en place par les détracteurs de ceux-ci. Oui, l’opinion publique s’est inscrite dans une logique instituée par une volonté étatique et patronale de fragilisation des structures syndicales, une logique où les problèmes initiaux (à savoir ceux liés à la transformation du travail et à l’organisation de celui-ci, qui touchent directement les usagers et leur sécurité) sont mis en retrait au profit d’une médiatisation des conséquences d’une grève. Combien de fois voyons-nous une interview d’un usager mécontent  lors d’une grève ? Impossible de compter ces interventions sur les doigts de deux mains. En revanche, nous pouvons aisément recenser les interviews des grévistes, puisqu’ils ne sont pas légions. Et quand il y en a, la remise en question du montage et du coupage est malheureusement plus que nécessaire. Bref, ce qu’il faut retenir ici, c’est que nous sommes face à une décrédibilisation totale des mouvements grévistes, sans avoir la possibilité de se faire sa propre opinion. La mise en place d’un service minimum est d’ailleurs le paroxysme de cette dynamique : quid de la grève avec l’assurance d’un service ?

Non, je n’accorde pas du crédit à la grève aveuglément, paralyser les transports peut être excessivement contraignant c’est certain. Mais avoir une vision court- termiste est –il la solution ? Ne pas pouvoir prendre le train pendant une semaine, ou ne plus pouvoir le prendre en toute sécurité ? La réponse à cela est limpide, et évidemment, pouvoir prendre le train en étant certain d’en ressortir en vie prendra le pas si la question se posait.  Nous laissons volontairement la question des conditions de travail pour les employés dans notre réflexion, car la description du phénomène en œuvre dépasse cette question, qui n’en est évidemment pas moins importante.           
Or, l’immédiat l’emporte sur la réflexion, bien aidée par une manipulation des médias de masse en ce sens. Plus que les luttes qui s’exercent au sein de la RATP ou des services publiques, c’est vraiment ce travail de sape qui interpelle : Où se situe l’intérêt sur le long terme, l’intérêt public ? Car si certaines grèves peuvent être remises en cause, faire passer l’ensemble de celles-ci pour une cabale des fonctionnaires voulant à tout prix conserver leur statut –plus si- privilégié, tout cela réserve un lot de surprise que nous ne tarderons pas à découvrir. Qui plus est, la privatisation des secteurs du transport, de la santé ou de l’école est présentée comme le remède à ces « luttes inutiles et couteuses ». Cela parachève cette dynamique basée sur l’efficience économique, et il suffit de regarder l’histoire du réseau ferroviaire britannique pour se rendre compte des conséquences à long terme d’un tel schéma d’organisation.
Finalement, en plus d’enfermer les fonctionnaires dans le rôle de l’enfant gâté en résumant ses revendications à un caprice, on laisse de côté les conséquences plus larges qu’implique la dégradation du savoir-faire et du travail, sous le postulat de la productivité. La bannière du chiffre et du résultat a été hissé, et flotte paisiblement sur le secteur public pendant que les possibilités de s’en offusquer s’amenuisent de jour en jour.

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/11/THIBAULT/50938

Benjamin Cauchois

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