vendredi 19 décembre 2014

Jeux-vidéo en France : entre artisanats et industries

Avec 2,7 milliards d'euros en chiffre d'affaire en 2013 (selon le S.E.L.L), le jeu-vidéo est une industrie culturelle de poids en France (derrière le cinéma et l'édition). Malgré les subventions publiques (principalement du CNC), c'est un secteur encore fragile, où de petite et moyenne entreprise, de moins de 5 ans, doivent affronter de véritable firmes, employant des milliers de personnes à travers le globe. Voyons comment David parvient à tenir tête à Goliath.

En 1972, la compagnie ATARI sort le jeu vidéo des cercles universitaire où il circulait, et le marchandise sous la forme de la borne d'arcade, qui vient s'installer aux côtés des flippers dans les café-bar, puis sous la forme des consoles de salons. 4 ans plus tard, alors que le marché commence à saturer, la WARNER décide de racheter l'entreprise, et la société fait une poussée de croissance, devenant le premier géant du milieu. En 1979, un groupe de programmeurs, mécontant des conditions et du manque de reconnaissances, fait sécession et fonde son propre studio, tout en continuant de développer sur les mêmes machines. ATARI attaque en justice, mais perd, créant un précédent qui ouvre la voie à la concurrence sur console.

En parallèle, la micro-informatique se développe, et la programmation devient accessible aux particuliers. Des individus isolés codent alors des logiciels, dont des jeux, et vont les distribuer via les boutiques spécialisés et les petites annonces. La puissance de calcul augmente, les jeux se complexifient, des cadres normatifs apparaissent, les individus isolés se regroupent en petites entreprises, les budgets augmentent et, l'édition se professionalisant, les développeurs de jeux-vidéo perdent leurs indépendances. 

Aujourd'hui, les géants de l'édition (Ubisoft, Electronic Arts), produisent des jeux à gros budgets (plusieurs millions de dollars), employant plusieurs centaines de personnes à leurs réalisations, mais qui, face aux objectifs de ventes requis, sont poussés, par les mêmes logiques syncrétiques et marchandes que l'industrie cinématographique, à éviter les prises de risques. Incapable de s'affranchir de leurs cadres normatifs (ou genre), tous comme les blockbusters, ces productions (surnommés Triple A) lassent les connaisseurs, qui se tournent à nouveau vers les petits artisans.

Ces derniers, avec Internet, ont trouvé une nouvelle plateforme, de promotion dans un premier temps, puis de distribution. Ils s'empareront très vite des modèles de financement participatif et captent, depuis plus de cinq ans maintenant, l'attention des joueurs avec des jeux comme MineCraft ou FTL. Les ambitions moindres de ces jeux sont compensés, parfois, par des innovations ludiques ou des directions artistiques originales, et les tailles réduites des équipes de développements en font des objets plus intimistes. Devenu objet de la culture de masse, le jeu vidéo y redevient un objet de culture populaire.

Cependant, parce qu'ils nagent avec les gros poissons, ces développeurs indépendants ont souvent du mal à garder la tête hors de l'eau. Nombre d'entre eux travaillent à domicile, financent leurs créations ludiques par une activité tierces (bien souvent, en programmant des logiciels sur appel d'offre), créant sur leurs temps libres, et assument les risques d'un échec commercial. L'indépendance est alors un luxe que seuls les passionnés peuvent s'offrir. Malgré tout, la production indépendante suscite un réel engouement du public, si bien que les gros éditeurs cherchent à en imiter l'apparence, en développant des projets avec des équipes réduites.

Pour maintenir ce vivier de créateurs, le gouvernement français, par l'intermédiaire du CNC, distribue en moyenne trois millions d'euros de subventions chaque année. La commission chargée de l'attribution de ces subventions fait toutefois débats : constituée de professionnel du milieu, près d'un quart du total des aides annuelles serait attribué aux projets des jurés (http://www.gamekult.com/actu/fajv-a-qui-vont-les-aides-au-jeu-video-A128864.html). Par ailleurs, ces aides sont accessibles à l'ensemble des petites et moyennes entreprises vidéo-ludiques et, les projets sous la tutelle d'éditeurs offrant de meilleurs garantis, ne profite que peu à la scène indépendante.

L'ambigüité de l'exception culturelle française, en tant que politique, réside dans sa volonté de protéger des pans de culture des logiques du marché, et dans son incapacité à les préserver des logiques technocratiques.

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