lundi 8 décembre 2014

À vos drogues, prêts, partez!


Au cours des dernières décennies, il y a eu de profonds changements dans le marché du travail, ce qui a mené à la flexibilité du travail. Les travailleurs subissent maintenant plus de pressions par leurs patrons, pour permettre une flexibilité des coûts, une flexibilité temporelle et une flexibilité spatiale dans la production. Ainsi, les produits correspondent toujours plus à la demande des consommateurs (Dupuis, 2004). Les entreprises se sont donc adaptées aux évolutions de la demande et elles ont géré différemment les ressources humaines. Les institutions scolaires, elles aussi, doivent s’adapter aux évolutions de la demande et comme l’a déjà dit Guy Breton, recteur de l’Université de Montréal, les cerveaux des étudiants devraient correspondre aux besoins des entreprises.

Les études, comme le travail, incarnent maintenant la réussite et l’accomplissement personnel d’où le besoin, pour certains étudiants, d’améliorer leurs performances cognitives en prenant des smart drugs. C’est ce dont parlent les deux articles qui m’ont attirée, en cette fin de session. Il s’agit de Smart drugs chez les étudiants : symptôme de la société de performance, paru dans le Forum (semaine du 17 novembre 2014) et Dopage mental, paru dans Le Pigeon dissident (novembre 2014). L’usage de produits augmentant les capacités physiques chez les sportifs est un phénomène déjà présent depuis un certain temps, dans nos sociétés. Mais le dopage avec des médicaments psychotropes dans le but d’améliorer les performances scolaires des étudiants est un phénomène récent et grandissant. Ce phénomène, est-il le symptôme d’une société qui valorise trop la performance? C’est dans une recherche, qu’a entrepris Johanne Collin, que la scientifique examine l’influence que peuvent avoir les contextes social, culturel et institutionnel, sur la prise de smart drugs par les étudiants, et tentera de comprendre l’origine du besoin de « superperformance ». Elle affirme que « [ceux qui consomment] sont peut-être le fruit de l’intériorisation de l’idéal néolibéral axé sur l’hyperperformance et la productivité, […] qui caractérise nos sociétés occidentales » (Forum, 2014, 5). En effet, les étudiants se retrouvent de plus en plus sous la pression, la compétition est omniprésente; ils considèrent donc tous les moyens qui peuvent les rendre plus performants. Or, la prise d’amplificateurs cognitifs ou nootropes (smart drugs) permet de rester éveiller longtemps, de rester vigilant et de garder une grande concentration pour pouvoir étudier plus longtemps et améliorer les performances scolaires. (Le pigeon dissident, 2014). Les étudiants sont aussi conscients qu’ils vivront, à la fin de leurs études, des compétitions pour l’emploi. Raison de plus pour performer au maximum et tenter d’atteindre des résultats scolaires parfaits.

De plus, les deux articles tournent autour d’un seul et même débat, celui de l’utilisation de smart drugs uniquement comme traitements médicaux de maladies ou plutôt comme amplificateur du potentiel mental pour mieux performer. Les partisans du recours à ces drogues affirment que cet usage serait avantageux à l’ensemble de la société car il permettrait que tous les individus aient de meilleures chances de réussite et il serait contre-logique d’être défavorable à l’amélioration des facultés humaines. Mais d’autres personnes rejettent l’idée précédente car cette utilisation serait une forme de tricherie et ils soutiennent qu’aucune recherche scientifique, n’ait, à ce jour, démontré exactement l’efficacité de ces produits sur les non-malades, même si les effets indésirables sur les consommateurs semblent bien présents (Forum, 2014 et Le pigeon dissident, 2014).

Bref, l’analyse de la consommation de smart drugs chez les étudiants mérite d’être approfondie. À mon avis, en plus de tous les problèmes évoqués, la consommation de ces produits provoquera de la discrimination entre ceux qui sont capables financièrement, et qui acceptent, de se procurer  la drogue et ceux qui ne le sont pas. J’exagère peut-être en disant que l’université (re)deviendra accessible uniquement à certains étudiants. Il serait quand même important de se questionner sur les effets d’une acceptation potentiellement générale de cette pratique.

Dupuis, Marie-Josée. 2004. Renouveau syndical: proposition de redéfinition du projet syndical pour une plus grande légitimité des syndicats en tant que représentants de tous les travailleurs, CRIMT, Montréal, 29p.

Martin Lasalle. (2014). Smart Drugs chez les étudiants : symptôme de la société de performance?. Forum, semaine du 17 novembre.

Xavier Morand-Bock. (2014). Dopage mental. Le pigeon dissident, volume 38, numéro 4.

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