vendredi 5 décembre 2014

LEGO : Vers la fin d'un modèle






Lego, entreprise danoise de jouet et actuellement numéro 1 mondiale du secteur, a longtemps bénéficié d’une réputation très solide en terme de qualité des conditions de travail, comme beaucoup d’entreprises du segment, à l’image de Playmobil par exemple.
Cependant, l’aspect familial souvent présent dans les grandes entités s’est estompé au rythme de l’entrée dans la quête du profit et de l’efficience maximale. BNP Paribas, Michelin, Peugeot, Renault… Les noms d’entreprises sont nombreux à pouvoir faire partie de cette liste. Le cas de Lego n’est donc pas isolé, mais il illustre on ne peut mieux ce phénomène de migration d’un esprit vers un autre, puisque l’image policée de cette entreprise ne correspond pas vraiment à celle que l’on peut se faire d’une entreprise à la poursuite du profit.

Ayant obtenu des résultats exceptionnels, Lego impose désormais une pression conséquente sur ses employés afin de maintenir le niveau de performance, à minima, voire pour l’augmenter dans le meilleur des cas. Encore une fois, la productivité se retrouve au centre du problème : son augmentation ne peut se faire que dans une certaine limite, et au delà de celle-ci, il est indéniable que les conditions de travail se dégradent, et pourvoient immédiatement à une situation de stress ou de mise sous pression conséquente.
Le principe de l’évaluation et de bonus viennent soutenir cette dynamique de renforcement de la productivité, qui joue largement en défaveur du bien-être des employés : pour obtenir un bonus, soit une sanction positive de sa productivité, les employés sont évalués et récompensés en fonction des résultats qu’ils ont réussis à fournir. Le principe en lui-même comprend une violence symbolique relativement forte, à l’image de celle que Bourdieu décrit dans ses travaux sur la méritocratie.

Mais au delà de la dégradation des conditions de travail, la disparition de « l’esprit d’entreprise » interpelle doublement : comment une entreprise qui a construit son succès sur des valeurs très familiales, tant au niveau des produits que de leur conception, peut saborder ce schéma d’organisation qui a réussi à les amener au sommet ?  
Les logiques du profit sont les sirènes dévastatrices qui font entrer les entreprises dans la brèche. Les résultats et la rentabilité deviennent les piliers de la réussite, faisant oublier que la base du succès provient bel et bien du « travail » et des conditions qui influencent directement celui-ci. Le passage de l’ère industrielle à l’ère financière a contribué à l’aggravement des conditions de travail, dans un nouveau genre : le stress, la flexibilité ou la séparation de plus en plus fine de la sphère professionnelle et privée sont des conséquences indissociables de ce changement. Sans surprise, on retrouve cela chez Lego, qui pourtant faisait figure d’entreprise consciencieuse sur ce point, comme en témoignait la réputation de cette dernière. Si ce n’est pas surprenant, cela n’en reste pas moins une source d’interrogation et d’inquiétude : si les entreprises où les conditions de travail ont toujours été correctes remettent en cause leur modèle qui a permis de bâtir leur succès, qu’est ce que cela signifie ? L’impossibilité d’échapper à l’efficience extrême ? La volonté d’entrer dans une nouvelle ère d’organisation du travail ? Nous pourrions poser encore des dizaines de questions comme celle-ci, sans jamais comprendre ce qui rationnellement (entendre objectivement) pousse les dirigeants à revoir leurs structures en les rationnalisant (subjectivement) sans autres préoccupations que celle du « coût » dans le cas des entreprises comme Lego.

           
http://www.courrierinternational.com/article/2014/10/21/trop-de-stress-au-paradis-de-lego

Benjamin Cauchois

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