vendredi 19 décembre 2014

M.Net, précarité d’emploi et travail médiatique

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Nous apprenions récemment que la chaîne de télévision Musique Plus, récemment rachetée par la compagnie V média, abandonnait plusieurs de ses émissions originales, principalement des émissions quotidiennes ou hebdomadaires portant sur divers domaines de l’actualité technologique et musicale.
Si la disparition de la plupart de ces émissions est passée sans grand émoi, ce n’est pas le cas de M.Net, une émission portant sur les jeux vidéo et les nouvelles technologies animée par Denis Talbot, une tête phare de la station de télévision depuis maintenant 25 ans.

Les enjeux en termes médiatiques et culturels ont déjà été nommés de fond en comble dans plusieurs médias et sous plusieurs formes. En effet, on peut se désoler de voir disparaître les dernières émissions de contenu original à une chaîne qui a longtemps été connu pour son originalité et son audace. Néanmoins, nous nous intéresserons ici à l’angle de l’emploi, qui n’a juste qu’ici pas vraiment été traité.

En effet, il nous semble impossible de ne pas voir là l’exemple d’une énorme précarité inhérente au secteur culturel. L’animateur, Denis Talbot, après avoir travaillé pendant 25 ans à la même station (et 16 ans pour la même émission) n’a ainsi gagné aucune sécurité d’emploi au vu du temps passé à cet emploi, pouvant ainsi être congédié à deux semaines d’avis, soit selon les normes minimales d’emploi.  On retrouve la même chose pour les chroniqueurs qui font partie de l’émission, accumulant eux aussi plusieurs années d’expérience, qui, pire encore, ne se sont même pas vu remettre une lettre de renvoi en main propre, mais ont appris la nouvelle par l’intermédiaire de l’animateur vedette. Il nous semble assez particulier de voir qu’un chroniqueur ou un animateur puisse être renvoyé de cette manière, sans même avoir à fournir d’autre raison que le fait que la chaîne souhaite réorienter sa programmation.

Il nous semble d’ailleurs assez marquant de voir là un lien avec le collectif ICI Précaire, dont la situation représente en quelques sortes le contraire. En effet, alors qu’à Musique Plus il ne se retrouve aucun syndicat permettant de défendre les journalistes et les chroniques, la société d’état Radio-Canada dispose de règlements en béton empêchant la mise à pied de qui que ce soit pour quelque raison que ce soit. La trop grande rigidité du système syndical et des conventions collective a poussé la compagnie a créer des statuts subalternes, sans aucune protection sociale, que le syndicat a largement délaissé, pour se concentrer sur les employés à temps-plein.

La mise en parallèle de ces deux situations permet bien de voir premièrement que la sécurité d’emploi n’est pas inhérente à certains secteurs du marché du travail, mais est bien le produit d’une construction politique. En effet, affirmer que le secteur des médias et de la culture serait « par définition » instable et soumis à la méritocratie, par exemple, revient à naturaliser un état de fait qui est complètement construit par des rapports de forces entre employeurs et salariés. Le fait qu’un employeur puisse renvoyer son employé après 25 ans de service sans autre préavis qu’un deux semaines pour terminer la saison n’est pas une situation « normale », mais est bel et bien le résultat d’un rapport de force. La même situation, par exemple, ne serait simplement pas possible à Radio-Canada, qui œuvre pourtant dans le même secteur.

Bien entendu, il existe certains statuts à Radio-Canada qui permettent de renvoyer des travailleurs facilement, surtout lorsqu’ils sont des « correspondants », des « consultants » ou des « surnuméraires ». Néanmoins, nous souhaitons faire ressortir le caractère fondamentalement construit des relations de travail, même dans le secteur médiatique.

Il nous semble aussi pertinent de questionner les idées d’ICI Précaires, qui souhaitent mettre fin à la rigidité syndicale de leur milieu. En effet, le cas de M.Net montre bien que baser la sécurité d’emploi sur une base de méritocratie permet le renvoi facile et sans raison de travailleurs qui ne sont simplement « plus d’actualité » pour l’employeur. Cela est d’autant plus vrai dans le secteur médiatique, où les questions de vedettariat, de branding et de mode rendent particulièrement instable la sécurité d’emploi.

Source: Benoit Gagnon, "Comment j'ai appris la fin de M.Net", [En Ligne] http://branchez-vous.com/2014/12/01/comment-jai-appris-la-fin-de-m-net/

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