dimanche 7 décembre 2014

Démantèlement de l’État : les infirmières veulent de meilleures conditions de travail


Dans un contexte de restrictions budgétaires, les revendications pour de meilleures conditions de travail sont parfois difficiles à véhiculer. En ce sens, la FIQ lance un cri du cœur dans un article de Régys Caron paru dans le Journal de Montréal le 11 novembre dernier. On saisit le message de la présidente. Les infirmières québécoises « se disent prêtes à se battre pour améliorer leurs conditions de travail »[1]. Pour appuyer son argument, Mme Laurent affirme que la FIQ « assiste à un démantèlement de l’État » (Id.). De toute évidence, « la FIQ demande que le réseau de la santé permett[e] aux infirmières d’exercer toutes les compétences notamment de poser certains actes médicaux qui permettraient à son avis de mieux soigner les patients et de réaliser des économies » (Id.). Qu’est-ce qui ralentit le travail ? C’est la loi 90. Adoptée il y a près de 10 ans, elle autorise les infirmières à poser certains gestes qui auparavant étaient réservés aux médecins. Mme Laurent raconte que « les établissements et les médecins persistent encore à […] refuser qu’on fasse de meilleures prises en charge, par exemple de prescrire des médicaments de laboratoire de routine » (Id.). Madame Laurent ajoute que l’application de cette loi permettrait de « réduire le temps d’atten[te des] patients » (Id.). Cela permettrait de libérer les médecins pour accomplir des actes médicaux plus importants et génèreraient des économies pour l’État. On comprend bien que l’État-régulateur sert de tremplin pour la précarisation du travail atypique. Mme Laurent expose qu’il est nécessaire de « rendre publiques les demandes sectorielles de cette organisation syndicale en vue d[u] renouvellement des conventions collectives des employés de l’État » (Id.). L’extension d’une convention collective ne devrait pas s’appliquer seulement à un secteur d’activité, mais à l’ensemble des travailleurs Québécois.
 
La FIQ formule diverses propositions afin d’améliorer le système de santé. Tout d’abord, il faut augmenter la qualité des soins afin d’être capable de prodiguer des soins sécuritaires. Mais encore, il faut soutenir et maintenir des conditions humaines dans des environnements de travail sains et plus humains. Ensuite, la FIQ a fait des « revendications sectorielles [qui sont] regroupées sous quatre grands thèmes : la diminution de la charge de travail, la diminution de la précarité d’emploi, la bonification des conditions de travail, notamment dans une perspective d'attraction-rétention, la reconnaissance et la valorisation de la formation »[2]. Mme Laurent conclu que c’est « à travers [leurs] revendications, [qu’ils] f[ont] la preuve de [leur] bonne foi et de [leur] engagement à apporter des solutions, parce que [leur] lutte, c’est celle de l’accès  à des soins de qualité dans un cadre sécuritaire pour la population québécoise » (Id.). Finalement, il faut que les professionnelles de soins puissent exercer l’entièreté de leurs champs de compétences. 
 
Le contexte québécois permet d’identifier les transformations des ou du  marchés du travail et de mettre en valeur « l’hypothèse de Durand (2004) sur la centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail dans l’après-fordisme »[3]. Cette dynamique tient en haleine « la fragmentation et la segmentation des marchés du travail, dans la prolifération du travail atypique, la hiérarchisation des rapports de travail sur la base du sexe et de l’âge ainsi que la précarisation et l’individualisation croissante des relations de travail, qui tendent à se remarchandiser » (Id.). Dans ce sens, on peut lire dans le Journal de Montréal que le ministre de la Santé Gaétan Barrette dit être en discussion avec les médecins pour qu’ils permettent l’application de la loi 90. Il dit que les « médecins devront faire plus d’efforts pour que ça s’applique. Ça permettrait aux infirmières des poser des diagnostics, faire des prescriptions et de réaliser des économies substantielles »[4]. D’une part, il y a matière à réflexion en ce qui concerne la hiérarchisation des rapports de travail sur la base du sexe et, d’autre part, sur l’individualisation croissante des relations de travail. Dans ce cas-ci, l’industrie de la santé est représentée comme étant à l’échelle de la différence entre les hommes et les femmes, le pouvoir et le statut, voire le rapport de travail entre entre les médecins et les infirmières. La surreprésentation des femmes « illustre bien la nouvelle configuration hiérarchique marquant le système d’emploi »[5]. Qui plus est, l’individualisation croissante des relations de travail porte l’idée que les travaux demandant de gros efforts physiques sont réservés aux hommes. Il semble qu’on met à l’écart les professionnelles des soins dans la décision de l’application de la loi 90, et pourtant, ils observent, vivent et subissent, et cela, tous les jours, l’organisation du travail et des soins. 

Le combat se poursuit, le 23 novembre dernier, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) a lancé le coup d’envoi de la campagne publicitaire sur la valorisation du travail des professionnelles en soins œuvrant dans le réseau de la santé au Québec. La FIQ a utilisé le thème « Ça suffit. Laissez-nous soigner ». Dans une des publicités, on entend la présidente de la FIQ, Régine Laurent, dire : « prodiguer des soins sécuritaires et de qualité c’est notre lutte et votre droit. Ce que nous voulons c’est pouvoir soigner dans des conditions humaines. Ce que nous désirons c’est pouvoir exercer l’entièreté de nos compétences. Améliorer les conditions de travail et d’exercice des professionnelles en soins. C’est améliorer notre système de santé. C’est ce que nous souhaitons rappeler aux Québécoises et aux Québécois ». L’auteur-compositeur-interprète Vincent Vallières s’associe à la campagne publicitaire et souligne que les « infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes de la FIQ se donnent corps et âmes pour nous soigner à chaque jour »[6]. 

Catherine Bradette


[1] CARON, Régys, « Les infirmières vont se battre pour leurs conditions de travail » Journal de Montréal, le 11 novembre 2014, p. 28.
[2] La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), « Dépôt des demandes sectorielles de la FIQ – « De meilleures conditions de travail et d’exercice pour les professionnelles en soins pour des soins sécuritaires pour les patient-e-s », mise à jour le 10 novembre 2014,
˂
http://www.fiqsante.qc.ca/fr/contents/communiques/depot-des-demandes-sectorielles-de-la-fiq-de-meilleures-conditions-de-travail-et-dexercice-pour-les-professionnelles-en-soins-pour-des-soins-securitaires-pour-les-patient-e-s.html ˃, consulté le 12 novembre 2014.
[3] NOISEUX, Yanick. 2014. « Transformation du travail et innovations syndicales au Québec », Montréal : Presses de l’Université du Québec, p. 40.
[4] CARON, Régys. Loc. cit., p. 28.
[5] NOISEUX, Yanick. Op. cit., p. 45.
[6] La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), « Ça suffit. Laissez-nous soigner : la FIQ lance une vaste campagne de valorisation des professionnelles en soins », mise à jour le 23 novembre 2014, ˂ http://www.fiqsante.qc.ca/fr/contents/communiques/ca-suffit-laissez-nous-soigner-la-fiq-lance-une-vaste-campagne-de-valorisation-des-professionnelles-en-soins.html ˃, consulté le 23 novembre 2014.

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