Actuellement, les États-Unis font partie des pays les plus
travaillants du monde, avec un total de 300 heures de travail de plus
par année en moyenne que leurs camarades européens. Pourtant,
Nathan Schneider nous rappelle dans son aWho stole the four
hour workday? qu'il fut un temps
ou les mouvements syndicaux américains (mais aussi internationaux)
militaient pour quelque chose qui semblerait aujourd'hui absurde, une
journée de travail de quatre heures. Dans son article, le
journaliste retrace l'histoire de ce mouvement anti-travailliste, qui
prend ses racine à la fondation même des États-Unis, et qui est
tombé dans l'oubli après la Seconde Guerre Mondiale.
rticle
Il commence par rappeler que l'idée qu'avec le progrès
technologique, la durée du travail réduirait graduellement n'est
pas neuve : Benjamin Franklin prédisait plus de temps libre
pour l'avenir, grâce aux nouvelles machines et en 1930, John Maynard
Keynes, père du modèle de l'interventionnisme étatique, écrit
« Economic possibilities for our Grandchildren »,
ou il prédit qu'en l’an 2030, la technologie sera
si développée que chacun n'aura qu'à travailler environ
quinze heures par semaine pour produire tout ce dont la société a
besoin. Pourtant, l'auteur pose ce constat paradoxal à savoir que en
effet, depuis les années cinquante, la productivité a plus que
doublé au pays, alors qu'on travaille toujours autant, et on qu'on
constate une stagnation sur le plan des salaires. Comment se fait-il
que cette diminution du travail ne se soit alors jamais produite?
Avant de tenter de répondre à cette question, il serait bon de
regarder plus en détails ce que proposaient les ouvriers à l'époque
ou cette lutte était encore d'actualité. Schneider nous dit que
c'est dans les années 30 que les demandes pour une journée de
travail écourtée se font plus fortes, après la victoire du
mouvement syndical ayant permis de fixer le maximum d'heures de
travail à huit heures par jour. Menés de l'avant par les
International Workers of the World, les défenseurs de cette idée
demandaient une hausse des salaires permettant à chacun de vivre
décemment (quoique simplement) en travaillant quatre heures. Suivant
leur logique, on réglerait le problème du chômage (chaque ouvrier
qui travaillerait huit heures « partagerait » sa journée
avec un autre ouvrier sans emploi), le problème de la pollution
(selon eux, cela entraînerait une réduction de la production, et
donc de la pollution), chacun aurait plus de temps pour soi et sa
famille, et les maladies et morts reliés au travail diminueraient.
L'auteur fait ensuite appel à Benjamin Kline Hunnicutt, historien à
l'Université d'Iowa et spécialiste de la question afin de dater le
déraillement de ce mouvement. Celui-ci affirme que c'est une
concertation de la part des géants de l'industrie qui auraient
convaincu Roosevelt de le stopper.
En effet, il bloque le Black-Connery Bill de
1937, qui visait à faire passer la semaine de travail à
trente heures et qui avait pourtant été approuvé par le congrès.
C'est par la suite qu'il fixe l'objectif du plein-emploi, qui cherche
à normaliser la journée de travail de 8 heures dans le but de
relancer l'économie en crise. Suite à la deuxième Guerre Mondiale
et dans un contexte de Guerre Froide, les revendications des
travailleurs et du syndicalisme en général (associés au mouvement
communiste) qui désirent diminuer leurs journée de travail seront
progressivement écartées. C'est
durant cette période, qu'on remarque une augmentation de la
productivité où, selon les auteurs, ce serait les propriétaires
qui s'approprieraient la majorité des gains issus de cette hausse.
Il
est également intéressant de rappeler, dans cet ordre d'idée, ce
que Hunnicutt appelle un renversement du sens du rêve
américain.
Historiquement, le rêve américain a déjà été d'avoir plus de
temps pour soi comme le prêchaient les premiers arrivants aux
États-Unis, les puritains, avec leur Sabbat (jour de repos) et leur
simplicité volontaire, ou encore la liberté d'errer typiquement
américaine vantée par Walt Whitman, l'un des plus grands poètes de
l'histoire du pays. On voit bien qu'autrefois, les fondateurs de la
nation envisageaient leur pays comme un lieu ou l'on serait libre du
travail, que ce soit pour se consacrer à notre devoir pieux, ou pour
errer dans les grandes terres sauvages de l'Amérique. Un idéal de
simplicité prévalait, ou celle-ci était gage de liberté.
Aujourd'hui, le rêve américain est devenu une injonction toujours
plus forte à travailler, entreprendre, produire, et on a érigé la
consommation en devoir patriotique.
À la lecture de ce texte, j'ai immédiatement pensé au célèbre
pamphlet intitulé Le
Droit à la Paresse,
du
révolutionnaire communiste (et gendre de Karl Marx) Paul Lafargue.
Avec une prose incendiaire, l'auteur nous parle de
cette « étrange folie qui possède les classes ouvrières […]
la passion moribonde du travail] ». Il érige la paresse en
vertu, et il cite à l'appui les plus grands penseurs de la Grèce
Antique, le Christ (qui prêchait la paresse et la contemplation) et
Dieu lui-même (qui, après six jours, cru bon de se reposer). Pour
lui, le travail est la « cause de la dégénérescence
intellectuelle, de la déformation organique ».
Sur le plan économique, il décrit les conséquences de cette
injonction au travail comme la source de « crises industrielles
de surproduction », de chômage, d'une lutte toujours plus
farouche pour les miettes offertes aux ouvriers voulant désespérément
travailler, de nouvelles façons toujours plus astucieuses et
dévastatrices pour la bourgeoisie d'écouler leurs stocks (ouverture
de nouveaux marchés dans les pays non-industrialisés, prouesses
financières afin de trouver une utilité à cette abondance de
capitaux), bref, « la transformation de la machine
libératrice en instrument d'asservissement ». On retrouve
le même constat paradoxal qu'au début; « la productivité
appauvrit ». Déjà à l'époque, on réalise que « la
productivité de l'ouvrier défie toute consommation ».
Dans une société qui produit plus qu'elle ne pourra jamais en
consommer, et ou pourtant une bonne partie de la population vit en
dessous de standards de vie « humains », ou chaque jour
l'aliénation au travail mine chacun de nous, et ou chaque jour nous
sommes de plus en plus confrontés aux absurdités qui parsèment
notre système (crises incessantes, ou encore les Bullshit Jobs
dont parle Graeber, qui ne sont qu'en fait une tentative désespérée
de continuer à justifier cette idéologie travailliste qui se meurt
d'elle-même), cette idée de mettre à profit les miracles de la
technologie pour permettre à tous de respirer un brin, de vivre
(autant au sens figuré que littéral), apparaît-elle si
saugrenue?
Qui nous dit ce que l'on pourrait faire avec tout ce temps? À sa
naissance, on envisageait l'éducation libérale comme une façon de
préparer les gens à bien se servir de leur temps libre, mais comme
on peut le constater, l'éducation qui nous est fournie ressemble de
plus en plus à un programme de préparation à l'emploi. Sans voir
cette solution un peu utopique comme la panacée des maux modernes,
il semble qu'elle apporterait une réponse plutôt satisfaisante afin
de renouveler le discours contestataire.
Par Thomas Bourdon
http://www.vice.com/read/who-stole-the-four-hour-workday-0000406-v21n8
LAFARGUE, Paul. Le
droit à la paresse, Paris,
Mille et une Nuit, 1997
L’article sur La Résistance Paresseuse de Thomas Bourdon nous rappelle à quel point l’histoire de la syndicalisation est épineuse et périlleuse. On fait un pas à en avant pour reculer de deux pas.
RépondreEffacerJe suis de l’avis de l’auteur de l’article que les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas. Les enjeux sur le marché de l’emploi; travail atypique, sous-traitance, technologie, et bien d’autres font appel à la diminution de la qualité de vie, des emplois temps plein, la stagnation sur le plan des salaires, augmentation des effets négatifs du travail sur la santé mentale, etc.
Le travail suggère constamment la division entre la production et l’apport physique de l’humain.
Je rêve qu’on jour où la vapeur se renverse pour le bien-être de l’être humain. Après tout, sans lui que serait le monde. Quelle reconnaissance lui attribue-t-on à ce dernier ?
Bravo Thomas pour la rédaction de ton blog.