Faire du Uber le
soir pour payer les factures, compter sur l'aide sociale de l'État
pour se soigner et pour manger, ne gagner que 770$ par mois tout en
ayant aucune assurance d'avoir un emploi le prochain trimestre, c'est
désormais une réalité de plus en plus présente à laquelle
doivent faire face les chargés de cours et les professeurs adjoint
des principales universités américaines. Alors que dans certaines
universités leur nombre a triplé durant la décennie 2000, les
enseignants universitaires au statut précaire ont vu durant la même
période leur conditions d'emploi se dégrader et leur perspectives
d'avenir fondre comme neige au soleil.
L'emploi d'une
main-d'oeuvre enseignante dépourvue d'un poste de professeur
titulaire par les principales universités privées américaines a
créé une spirale d'appauvrissement et de précarisation qui touche
une part de plus en plus importante des enseignants. Mais cette vague
a été aussi accompagnée par un mouvement de syndicalisation des
enseignants précaires qui a tranquillement gagné une bonne partie
du pays. À Chicago, une des villes universitaires les plus
importantes des États-Unis, la municipalité estime que près de 20%
des 6500 enseignants précaires doivent recourir à l'aide sociale
pour boucler leurs fins de mois, alors que l'instabilité du marché
du travail, souligne Matthew Hoffman, “ne laisse que peu d'espoir
d'obtenir un emploi qui puisse devenir une carrière”.
Hoffman est un des
membres du comité organisateur de la campagne Faculty Foward de
l'Union Internationale des employé-es de service (SEIU). La campagne
cherche à prendre en compte les facteurs stratégiques qui
peuvent permettre au syndicat de faire pression de manière plus
efficace sur des universités ciblées pour la place qu'elles
occupent dans la structure de l'industrie universitaire de la ville.
Cette démarche, qui s'inspire d'un modèle d'organisation visant à
maximiser les gains syndicaux (Juravich, 2007), tente depuis le début
2015 de faire des gains auprès des université de Chicago et de
Loyola, dans l'espoir que les standards fixés lors des conventions
collectives avec ces universités plus prestigieuses puissent servir
à imposer certaines normes salariales et contractuelles aux autres
universités de la ville.
Cette stratégie, suivie avec succès par les syndicats d'enseignants précaires à Washington et Boston, a permis aux professeurs adjoints et aux chargés de cours de gagner un meilleur salaire et d'avoir des garanties quand à leur sécurité d'emploi. De même, la campagne s'est ouverte aux “clients” des universités et à la communauté environnante en cherchant à mobiliser les étudiant-es sur les campus, et a fait pression avec succès sur le conseil municipal pour que celui-ci appuie le droit à la syndicalisation des enseignants précaires. De cette manière, la campagne cherche à construire des alliances avec la société civile, la communauté et les élus pour s'assurer d'une plus grande légitimité.
Cette stratégie, suivie avec succès par les syndicats d'enseignants précaires à Washington et Boston, a permis aux professeurs adjoints et aux chargés de cours de gagner un meilleur salaire et d'avoir des garanties quand à leur sécurité d'emploi. De même, la campagne s'est ouverte aux “clients” des universités et à la communauté environnante en cherchant à mobiliser les étudiant-es sur les campus, et a fait pression avec succès sur le conseil municipal pour que celui-ci appuie le droit à la syndicalisation des enseignants précaires. De cette manière, la campagne cherche à construire des alliances avec la société civile, la communauté et les élus pour s'assurer d'une plus grande légitimité.
Les responsables de
la campagne Faculty Foward décrivent leur mouvement comme une
réaction contre la “corporatisation” des universités qui, selon
plusieurs, est en train de transformer en profondeur la réalité du
travail d'universitaire. En effet, alors que s'instaure une espèce de
centrifugation de l'emploi (Durand 2004) qui relègue une bonne
partie du personnel enseignant dans une zone périphérique de
l'emploi, la compétition devient féroce, les salaires baissent et
la précarité s'institutionalise.
Même si l'horizon
d'un emploi de professeur titulaire s'éloigne au fur et à mesure
que progresse la néolibéralisation des universités, les
professeurs titulaires- avec leurs emplois garantis et leurs salaires
élevés – restent dans une position plus stable qui demeure
souvent le symbole de la réussite à atteindre. Mais certains signes
montrent que même pour ces emplois qui sont au coeur de
l'enseignement et de la recherche universitaires, la précarité et
la compétition sont en train d'éroder les conditions de travail. De
plus en plus, les professeurs sont considérés comme des
entrepreneurs qui doivent rapporter des fonds de recherche à leurs
universités, et se livrent à un jeu malsain où publier, être cité
le plus possible et bien paraître aux yeux des organismes
subventionnaires devient une condition pour survivre dans un milieu
hautement compétitif, souligne Ola
Söderström, professeur de géographie sociale et culturelle
à l'Université de Neuchâtel (Söderström
2015).
La pression exercée
par ces impératifs compétitifs ne mine pas seulement la mission de
recherche fondamentale de l'université – après tout faire une
découverte majeure demande du temps et de la persévérance, ce qui
n'est pas toujours compatible avec le rythme effréné de publication
exigé par les employeurs – mais a aussi des effets importants sur
la santé des professeurs. L'allongement de la journée de travail,
le stress intense subit par les chercheurs a des conséquences
psychologiques et physiques importantes. Le cas de Stefan Grimm,
professeur à la faculté de médecine de l’Imperial College de
Londres – considérée comme une des meilleurs universités du
monde – constitue à cet égard un cri du coeur au moins autant
qu'un sérieux avertissement. Dans un email découvert après son
suicide, le professeur a en effet écrit: « Ceci n’est plus
une université mais un business avec un tout petit groupe au sommet
de la hiérarchie qui profite (…), alors que les autres sont
pressés comme des citrons pour obtenir de l’argent ».
Mathieu Jean
Durand, Jean-Pierre.
2004. « Introduction » et « Fragmentation des marchés du travail
et mobilisation des salariés »,
dans La chaîne invisible, travailler aujourd’hui : flux tendu et
servitude volontaire, Éditions
du Seuil, Paris. Pp. 11-18; 175-206.
Gurley, Lauren.
2015. « Teach Classes in the Morning, Drive Uber at Night: Why
Chicago Adjuncts Are Demanding a Union ». En ligne.
<http://inthesetimes.com/working/entry/18543/adjunct-organizing-union-university-of-chicago-loyola-seiu-faculty-forward>.
Consulté le 4 novembre 2015.
Juravich, Tom. 2007.
« Beating Global Capital : A Framework and Method for Union
Strategic Corporate Research
and Campaigns », dans Global Unions : Challenging Transnational Capital Through
Cross-Border Campaign (dir. K. Brofenbrenner), Cornell University
Press, Ithaca. Pp. 16-39.
(Traduction en français par la CSN)
Söderström, Ola.
2015 « La loi du nouveau marché académique ». Villes
en mouvement. En ligne.
<http://blogs.letemps.ch/ola-soederstroem/2015/11/01/la-loi-du-nouveau-marche-academique/>.
Consulté le 4 novembre 2015.
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