vendredi 27 novembre 2015

Les infirmières au fond du gouffre


 

                Dans les alentours de la mi-mars, une vingtaine d’infirmières, de l’Hôpital du Haut-Richelieu en Montérégie, ont refusé de rentrer sur leur quart de travail, pour protester contre le manque de personnels. Chaque année, la situation empire, aujourd’hui, les infirmières n’en peuvent plus. Il y a une accumulation des heures supplémentaires, voir même des horaires obligatoires très chargés de la part de leur employeur. Il manque des effectifs dans les troupes. Il y a même une infirmière qui a déposé sa démission, vu le nombre d’heures exigées. Selon la présidente de la fédération Régine Laurent, si le gouvernement ne met pas en place de nouvelles solutions, il est fort possible qu’il y ait une augmentation de manifestations de ce genre. Le problème lorsque les infirmières de soirs et de nuits ne rentrent pas, ce sont les infirmières de jours qui doivent écoper sur le surplus de charges de travail. Selon madame Laurent, il est évident qu’il faut créer des postes à temps plein pour stabiliser les équipes de travail ainsi que trouver des moyens pour attirer les nouvelles recrues fraichement diplômées. Par exemple, elle mentionne que les primes de travail de fin de semaine n’ont pas été indexées depuis 1989. Or, ceci peut être interprété comme étant un manque de reconnaissance envers la profession, ce qui peut engendrer un manque de valorisation chez les employés.

                Nous pouvons voir, par cet enjeu, à quel point il y a une souffrance au travail. Selon Paul Ricœur, la souffrance est : «sentiment qu’ont les individus d’être impuissant face à leur vie, de ne pas pouvoir se réaliser, c’est une diminution de la puissance d’agir.»[1] De nos jours, via les technologies, les patrons peuvent demander à ses employés, directement, sans préavis, de faire des heures supplémentaires. Il y a une demande urgente d’entrée au travail n’importe quand, c'est-à-dire une flexibilité temporelle. Il pourrait être difficile de refuser, vu un sentiment de devoir d’engendrer des soins à des malades, ou tout simplement de ne pas pouvoir dire non à son patron. Cette pression, c’est ce qu’on peut appeler un risque professionnel lié à l’organisation du temps de travail ou à l’organisation par elle-même.[2]

Toutes ces mauvaises pratiques de gestion du personnel peuvent mener à un stress et de l’anxiété excessive dans la vie d’un individu. Nous pourrions, ici, faire un lien avec la perte de sens des tâches effectuées ainsi que la déshumanisation du modèle productiviste.[3] Autrement dit, la pauvre infirmière pourrait se sentir perdue et non soutenue dans ce système de santé désuet. La performance serait le critère numéro un, au détriment du bien-être des employés. De plus, cette mauvaise gestion a un impact sur l’intensification du travail, c’est-à-dire une demande de plus en plus alarmante de tâches à faire dans un temps donné raccourci. Nous pourrions donc comprendre pourquoi les infirmières auraient une perte d’épanouissement personnel sur leur milieu de travail, ainsi que comprendre leurs motivations à faire la grève. Ce moyen de pression doit être géré par le syndicat, qui fait valoir les intérêts des infirmières, auprès de l'employeur. Comme il est mentionné dans l'article, les infirmières ont accepté de retourner au travail vers 21 heures, mais elles sont au bout du gouffre. Selon Sylvie Jovin, la présidente du syndicat des professionnelles de la santé du Haut-Richelieu, la limite n’est pas très loin d'être atteinte. Il y a une demande pressante de changement sur l'achalandage à l'urgence santé. [4]

C’est l’exemple d’un nouveau management qui serait : «On ne demande plus seulement aux travailleurs de faire leur travail, on leur demande aussi de se donner à fond dans leur travail, en les assurant qu’ainsi ils s’épanouiront, alors qu’en réalité c’est pour maximiser la rentabilité de leur travail. De plus des systèmes d’évaluation personnalisée les mettent en concurrence les uns avec les autres.»[5] Cette phrase de Gaujelac m’amène à penser à  des pistes de solutions. Argenson propose de «se frayer un chemin vers la prise de conscience collective».[6] Chaque administration devrait regarder les réels coûts engendrés par la surcharge de travail. En considérant ces coûts, les patrons pourraient donc s’enligner sur un management dit «plus humain».
 

 
Alexia Senécal
Matricule: 20016561

 




[1] Ricœur Paul (1994). « La souffrance n’est pas la douleur », dans J.-M. Von Kaenel et B. Ajchbaum-Boffety, Souffrances, corps et âme, épreuves partagées, Paris, éditions autrement, p. 58-70.
 
[2] BUÉ Jennifer, COUTROT Thomas, GUIGNON Nicole, SANDRET Nicolas (2008) « Les facteurs de risques psychosociaux au travail. Une approche quantitative par l'enquête Sumer », Revue française des affaires sociales, 2-3, p. 45-70
[3] D’Argenson, P-H.2010. «Souffrance au Travail : ce qui a changé». Le Débat, no.161, p.105-115
[4] Cameron, Daphnée. «D'autres infirmières pourraient refuser d'entrer au travail». La Presse, En ligne, http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201003/12/01-4260274-dautres-infirmieres-pourraient-refuser-dentrer-au-travail.php, (13 mars 2010)
[5] De Gaulejac Vicent (2010) « La NGP Nouvelle gestion paradoxante », Nouvelles pratiques sociales, 22 (2), p. 83-98 et De Gaulejac V. (2011), Travail, les raisons de la colère, Seuil, Paris, 336 p. 
[6] D’Argenson, P-H.2010. «Souffrance au Travail : ce qui a changé». Le Débat, no.161, p.105-115
 

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