Au moment où le gouvernement Couillard a déposé des offres jugées
“insuffisantes” par la partie syndicale, le Front Commun annonce
la suspension temporaire des journées de grèves annoncées pour les
2 et 3 décembre prochain et dépose une contre-offre qui rapproche
les demandes syndicales de la position patronale. Alors que les
premières offres syndicales, qui visaient à combler les écarts de
rémunération entre le public et le privé, proposaient un rythme
annuel d'augmentation de 4,5%, le tout assorti de mécanismes de
protection contre l'inflation, les nouvelles offres réduisent la
demande syndicale à 2.5% par année. L'objectif derrière cette
détente temporaire serait, selon le Front Commun, de donner une
chance à la négociation et de donner le temps au gouvernement de
présenter une contre-offre qui pourrait être jugée raisonnable par
les organisations de travailleurs.
Depuis
le début du mois d'octobre, le Front Commun, qui regroupe la
majorité des syndicats du secteur public, a tenu plusieurs journées
de grève rotatives sur une base régionale. Ces journées semblent
avoir été un grand succès de mobilisation, et ont provoqué la
première contre-offre patronale depuis 11 mois de négociations.
Mais le conseil du trésor insiste toujours pour qu'une entente
intervienne à l'intérieur des paramètres budgétaires qu'il a
préalablement fixés, alors que les syndiqué-es demandent des
hausses de salaires qui dépassent les demandes patronales, d'où un
blocage sur les questions salariales à la table centrale de
négociation.
Il
semble donc qu'au niveau des clauses salariales, l'écart entre le
gouvernement et la partie syndicale reste important, d'autant plus
que les parties ne s'entendent pas sur l'inclusion de la relativité
salariale dans le cadre de l'actuelle négociation. Le principe de la
relativité salariale, issue d'une entente intervenue en 2011, vise à
procéder à une réévaluation des salaires versés pour les
catégories d'emploi qui n'avaient pas fait l'objet d'une telle
démarche dans le cadre de la loi sur l'équité salariale. Alors que
l'employeur souhaite comptabiliser les sommes versées pour procéder
à ce rattrapage à l'intérieur du cadre budgétaire serré qu'il
impose à la négociation actuelle, le Front Commun, de son côté,
insiste plutôt sur le fait que les coûts liés à l'entente de 2011
constituent un poste budgétaire différent de celui dévolu à la
négociation salariale actuelle.
Un tel blocage n'a rien de surprenant s'il est considéré dans le contexte actuel, mais malheureusement la stratégie du Front Commun semble avoir oublié de prendre acte de la portée politique du conflit. Dans
un des seuls ouvrages d'analyse portant sur le premier Front
Commun québécois (Piotte, Éthier et Reynolds 1975), celui de 1972,
les auteurs soulignaient déjà une des plus importantes spécificités
du syndicalisme dans le secteur public: l'État employeur n'est pas
un patron comme un autre. Il peut, nous le savons bien après quelque
40 ans de lois spéciales, légiférer pour imposer ses conditions,
mais plus encore la négociation autour de la rémunération et des
conditions de travail des employé-es de l'État pose des questions
et soulève des enjeux qui sont directement politiques. Que par
exemple la politique salariale du gouvernement s'inscrive dans un
cadre d'austérité budgétaire destiné à soutenir des baisses
d'impôts pour les plus riches – ce qui est bien un projet
politique, même si celà vise, dans les mots de David Harvey (2005)
à “restaurer le pouvoir des classes dominantes” - c'est une
lapalissade que soulignait encore, pas plus tard que ce matin, le
journaliste économique Gérald Fillion. Tout celà est, somme toute,
assez bien connu.
Ce
qui est probablement le plus désolant, c'est que depuis le temps, la
stratégie syndicale ne semble pas s'être adaptée à cette
spécificité. La politisation des enjeux, inhérente aux
négociations dans le secteur public, ne semble toujours pas être
une priorité stratégique pour les organisations syndicales. Si à
la base, nous le soulignions la semaine passée, les initiatives de
solidarité fusent entre les syndiqué-es et la population, les
appareils syndicaux ne semble avoir ajustés ni leur stratégie ni
leur discours aux possibilités d'alliances qu'ouvrent de telles
actions de collaboration et de solidarité.
Or dans un contexte où
les demandes syndicales s'attaquent directement aux priorités
politiques de l'État, une telle alliance semble incontournable. Elle
est, par-ailleurs, au centre de nombreuses proposition de
renouvellement du syndicalisme qui ont été dévelopées ces
dernières années (pour une proposition concernant le Québec voir
Dupuis 2004). C'est en construisant une coalition plus
vaste, centrée autour de la protection des services publics et
inclusive des diverses personnes y trouvant un intérêt, que le
mouvement syndical pourrait affronter le gouvernement autour d'enjeux
qui sont forcément politisés. La politique, c'est en effet l'art de
construire des alliances, des coalitions, des compromis avec d'autres
secteurs de la population, pour être en mesure, comme le dirait
Antonio Gramsci, de remettre en question l'hégémonie exercée par
l'État sur la société civile. En l'absence d'un tel rapport de
force, le Front Commun n'aura d'autres choix, craignons-nous, que de
diminuer ses demandes et adopter une approche conciliatrice avec le
gouvernement.
En
ce sens, le recul des demandes syndicales exprimé aujourd'hui
n'est-il peut-être que la conséquence logique d'une stratégie qui
oublie, depuis 40 ans, qu'un groupe de travailleurs isolé, même
nombreux, ne peut affronter seul un État qui joui pleinement de sa
légitimité électorale.
Dupuis,
Marie-Josée (2004) Renouveau syndical: proposition de redéfinition
du projet syndical pour une plus grande légitimité des syndicats en
tant que représentants de tous les travailleurs, CRIMT, Montréal.
p. 1-26
Par Mathieu Jean
Harvey,
David. 2005. A brief history of neoliberalism. Oxford ; New
York : Oxford University Press.
Piotte,
Jean-Marc, Diane Éthier, Jean Reynolds. 1975. Les travailleurs
contre l'État bourgeois. Avril et mai 1972. Montréal, les éditions
de l'Aurore.
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