mercredi 11 novembre 2015

« On est moins bien traités que les employés qu’on supervise »

Le plan récemment dévoilé par l’administration Coderre quant à la réforme des conditions de travail de ses cadres municipaux s’insère parfaitement dans le climat d’austérité par le gouvernement libéral.  Les nouvelles modalités déclarées unilatéralement par le directeur général Alain Marcoux représentent une dégradation des conditions matérielles à tous les égards : hausse des heures hebdomadaires travaillées, réduction des prestations d’invalidité, diminution des paiements pour congés de maladie et surtout rachat imposé des heures supplémentaires amassées.  Cette dernière mesure est particulièrement décriée par les centaines d’individus touchés-es car elle représente une barrière de taille pour l’entrée à la retraite pour plusieurs d’entre eux.  Pour les milliers d’heures accumulées au long d’une carrière stable à l’emploi de la ville de Montréal, ils et elles n’auront droit qu’à un montant réparti sur deux ans plutôt qu’une préretraite depuis longtemps préparée. 

            Les réactions des cadres, position détenant typiquement la main haute au sein des hiérarchies professionnelles, laisse entendre une manifestation certaine des mutations globales du travail telle que décelées par Jean-Pierre Durand dans son ouvrage intitulé La chaîne invisible, travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire.  Il y décrit comment la grande entreprise occidentale moderne opère une centrifugation de ses fonctions pour que ne demeurent au cœur de l’entreprise que les postes créatifs difficilement remplacés par une sous-traitance à faible coût.  L’externalisation en plusieurs niveaux des autres branches de ses activités s’accomplit en raison des impératifs de la compétition internationale, exigeant une réduction maximale de la masse salariale annuelle.  Si l’administration publique de la ville de Montréal ne suit pas intégralement ce modèle plus présent chez l’entreprise privée, on assiste néanmoins à une interaction malaisée entre le cœur de l’organisation et sa périphérie, alors que la frontière les séparant apparaît plus perméable que ne le croyaient ses membres privilégiés-es.  Ayant profité de conditions nettement supérieures à la moyenne québécoise tout en s’épargnant les méandres d’une carrière fragmentée, l’ascendance perçue comme naturelle pour leur position au cœur n’est plus assurée pour ces fonctionnaires.  C’est là un coup plus profond encore que l’exigence d’une flexibilité fonctionnelle mentionnée par Durand. 


            La grogne des cadres se voit teintée d’une certaine ironie au regard de leur rapport au syndicalisme de leurs subordonnés-es.  Alors que la syndicalisation connaît des troubles importants des suites de cette même segmentation des organisations, les cadres se montrent ici envieux-ses du rapport de force détenu.  Leur propre organisation ne possédant pas ce statut, leur levier d’action collectif possède un faible potentiel de contrainte et risque de se montrer incapable de négocier avec succès les propositions du directeur général.  

Aucun commentaire:

Publier un commentaire