mercredi 11 novembre 2015

Plaidoyer pour un syndicalisme politique

En guise d’actualité cette semaine, nous choisissons de discuter d’un livre paru récemment. Le titre retenu est le suivant : Renouveler le syndicalisme au Québec, Pour changer le Québec. Nous souhaitons ainsi, à la lumière des analyses présentes dans cet ouvrage collectif, cerner les enjeux des négociations présentement en cours ainsi que des mandats de grève votés parallèlement à ces dernières.

En ce moment, les centrales syndicales discutent aux tables de négociation –centrale et sectorielles- tentant par tous les moyens de préserver leurs acquis. De ce qu’il nous est possible de lire et d’entendre dans les médias et de la part de personnes syndiquées, nous distinguons deux éléments centraux. D’une part, l’élite syndicale travaille avec acharnement afin d’obtenir un règlement dans les plus brefs délais, et ce, en dépit d’un nombre réduit de consultations auprès de leurs membres. Ce faisant la situation rend questionnable la démocratie syndicale. D’autre part, les syndicats se restreignent à négocier les conditions de travail, entre autres, le salaire.

D’abord, les organisations entachent leur légitimité en ne consultant que très peu leurs membres. À l’inverse, Nadeau-Dubois stipule que la décentralisation des processus décisionnels serait l’une des clefs de voute pour renouveler le syndicalisme et accroitre significativement la participation. Ensuite, elles diminuent le rapport de force qui s’accentue au fur et à mesure que le temps passe puisque le ralentissement du fonctionnement des institutions peut, non seulement entraîner des contrecoups économiques, mais également, engendrer une décision intempestive de la part du gouvernement. Cette situation pourrait entraîner l’entrée en scène d’autres acteurs, et ainsi, accentuer le rapport de force des syndicats. L’empressement dont font preuve les centrales engendre à notre avis bien plus d’effets délétères que de bénéfices. En effet, si la ratification d’une entente peut permettre aux syndicats une justification de leur rôle à travers l’efficacité dont elles feraient preuve, cette stratégie engendre des conséquences perverses.

D’autre part, les négociations contribuent à l’évacuation de revendications plus large. En se limitant aux modalités salariales telles que le salaire, la retraite, les heures supplémentaires, et autres, l’argumentaire se fonde souvent sur des indicateurs économiques tels que l’augmentation du coût de la vie, la croissance, le chômage, etc. Autant d’indicateurs qui n’éclairent aucunement les réalités extrêmement complexes que vivent les travailleuses et travailleurs au quotidien (Fumagali).

Au fait de notre analyse du contexte actuel et de l’attitude austère du gouvernement Couillard, il nous paraît crucial que les syndicats délaissent un tant soit peu les tables de négociation et optent pour un syndicalisme politique ayant pour but d’élargir les revendications sociales. Nous ne nous étalerons pas sur le sujet, or, il semble primordial de rappeler que le gouvernement en place ne dispose que de peu de légitimité pour appliquer les politiques actuelles. En effet, considérant un taux de participation aux élections provinciales de 71,4%, cela signifie que le gouvernement actuel gouverne avec l’appui de 29,6% des Québécoises et Québécois. En ce sens, la science politique nous enseigne qu’il existe de nombreuses raisons pour soutenir un parti lors d’une élection –vote par tradition, vote stratégique, vote pour un candidat, vote pour le charisme du chef, etc-. De ce fait, nous postulons que les personnes appuyant l’austérité en ce moment sont minoritaires sur le territoire. Notre proposition, à l’instar de celle avancée par une majorité d’auteurEs de renouveler le syndicalisme est d’investir la cause politique plutôt que de négocier strictement les conditions de travail. Pour ce faire, les syndicats doivent agir sur deux fronts.

En premier lieu, ils doivent investir les voies institutionnelles. Tel que le mentionne Amir Khadir, ils doivent collaborer avec les groupes communautaires et les regroupements de la société civile. Un appui populaire concerté envers le parti qui représente le mieux leurs positions, et ce, indépendamment des liens « traditionnels » est nécessaire. L’influence que les syndicats obtiendraient sur la création de politiques sociales serait ainsi considérable. Certains diront que cette prise de position est risquée, notamment parce que le gouvernement est l’employeur d’un haut taux de syndiquéEs. Toutefois, à notre avis c’est cette raison même qui en définit la nécessité.

En second lieu, les instances syndicales devraient être plus revendicatrices dans leurs demandes de réformes de la politique institutionnelle. Ce volet peut bien entendu concerner les institutions publiques, mais surtout, dans le cas du Québec, la revendication doit être celle d’une transformation du mode de scrutin. Tel que le mentionne Milner dans le recueil, le mode de scrutin proportionnel représente plus fidèlement la volonté de la population. Bref, une mobilisation autour d’un enjeu social déterminé rendrait plus susceptible une mobilisation large. Les organisations syndicales ont énormément à gagner d’une politisation des revendications. Concrètement, un appui au mouvement citoyen démocratie nouvelle pourrait constituer un levier potentiel.

Un mode de scrutin proportionnel favoriserait la multiplicité des partis et accroitrait leur rapport de force. Plutôt que de soutenir un parti par défaut, les syndicats pourraient appuyer et collaborer ponctuellement avec les organisations politiques qui défendent des propositions communes. Milner souligne d’ailleurs que la particularité du modèle suédois tient à la collaboration soutenue entre syndicats et partis politiques de gauche.     

Bibliographie

CREVIER, Philippe, Hubert Forcier et Samuel Trépanier (2015). Renouveler le syndicalisme : Pour changer le Québec, Montréal, Écosociété.
Fumagalli, Andrea. 2015. La mise au travail : Nouvelles formes du capitalisme cognitif. Paris. Eterotopia. Rhizome. Pp. 97.

 

 

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