lundi 2 novembre 2015

Règlementer ou marginaliser? La zone grise



Règlementer ou marginaliser? La zone grise 

               Au mois d’août dernier, un événement historique met de l’avant un sujet qui a longtemps été au centre de controverses, même encore aujourd’hui.  En effet, le 11 août 2015, un vote important au sein du conseil international d’Amnesty International (AI) a lieu, qui vise la décriminalisation de la prostitution, pour ainsi la considérer comme un travail comme les autres, ce qui permettrait, selon AI, de favoriser plusieurs mesures mises en place afin de protéger les «droits fondamentaux des personnes vulnérables que sont les travailleuses et travailleurs du sexe», comme le mentionne Yolande Cohen dans son article : «Un vote historique en faveur de la décriminalisation de la prostitution?»  Celle-ci s’interroge sur l’influence qu’aurais une telle décision sur  les revendications de ces travailleurs du sexe, qui sont aujourd’hui très marginalisés.

            Cette décision contribue-t-elle a réellement à protéger les droits de ces personnes qui vivent en vendant leur corps comme des esclaves? Seront-elles considérées comme des humains à part entière? D’un côté, il s’agit d’un commerce librement consentis, entre adultes où se sont majoritairement des hommes achètent le corps de femmes. D’un autre côté, ce n’était peut-être pas un choix pour ces femmes d’exercer ce travail, mais une nécessité, afin de pouvoir subvenir à leurs besoins. De plus, plusieurs d’entre eux s’initient à cette profession alors qu’ils sont toujours dans leur minorité, donc facilement influençables ou encore pour satisfaire leurs besoins de toxicomanie.

         En criminalisant la prostitution, en plus de marginaliser davantage ces personnes, ont les pousses à exercer ce travail, qui est souvent nécessaire pour eux,  dans des conditions plus dangereuses dans lesquels il est difficile de s’en sortir. En effet, elles sont souvent sous l’emprise de proxénètes qui ont de fortes influences sur ces jeunes femmes. On peut s’imaginer retourner dans le temps au début de la révolution industrielle où les femmes et les enfants travaillaient dans de mauvaises conditions, souvent très dangereuses, pour des salaires de misère. 

               En décriminalisant la prostitution, on peut établir des règles fixes, des endroits sécuritaires et protéger les droits de ces femmes et empêcher ou rendre plus difficile l’enrôlement des mineurs dans cette profession. Cela me fait sentir perplexe de savoir que toutes ces choses que l’on croyait acquis depuis longtemps avec les mouvements syndicalistes suivant la révolution industrielle, font encore partie de l’actualité, même dans les pays occidentaux dans des régimes dites libres et égalitaire, énormément d’individus se trouvent dans des positions précaires, commes beaucoup de ces femmes.

            Plusieurs vont dire que décriminaliser la prostitution revient à dévaloriser la place de la femme dans la société. Il faut aussi comprendre que la prostitution existe depuis plusieurs siècles, aussi loin que nous pouvons remonter dans l’histoire de l’humanité et que ce soit illégale ou non, ces activités vont toujours persister. Autant alors règlementer ce milieu afin de protéger le doit de ces femmes et de commencer a les considérés comme des individus, des travailleurs à part entière.

              Qui est alors à blâmer et à pénaliser? Celles qui fournissent les services de prostitution où ceux qui en bénéficient? Aujourd’hui encore, la ligne est encore très mince entre ce qui peut être considéré illégale voir immorale et ce qui est accepté. Nous sommes encore loin de sortir de cette zone grise, malgré le vote d’Amnistie internationale.

Laurie Lampron

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 Un vote historique en faveur de la décriminalisation de la prostitution?
15 août 2015 span class="splitter">|</span | Actualités en société
Yolande Cohen - Respectivement professeure au Département d’histoire de l’UQAM et étudiante à la maîtrise au Département d’histoire de l’UQAM
Margot Blanchard

Le 11 août dernier, le conseil international d’Amnesty International (AI) a confirmé sa volonté de proposer la décriminalisation totale de la prostitution. Dans le sillage d’autres grandes agences internationales UNAIDS, WHO, Human Rights Watch, The Lancet, GAATW, AI adopte une position qui considère la prostitution comme un travail.

Ce vote est soutenu par l’ensemble des milieux protravail du sexe (TDS) : que ce soit le Stella québécois, le Strass français et la grande plateforme internationale, le NSWP (Global Network of Sex Work Protects) qui ont félicité l’AI. Longuement murie, cette décision de l’AI est cohérente avec son action en faveur d’une protection des droits fondamentaux des personnes vulnérables que sont les travailleuses et travailleurs du sexe. Cela fait donc du 11 août 2015 une journée historique pour l’AI. La reconnaissance conférée par cette organisation internationale contribuera-t-elle à changer le regard que l’on porte sur leurs revendications, encore marginalisées ? Rien n’est moins sûr, car les féministes restent profondément divisées sur cette question, comme en témoigne la polémique suscitée par cette décision.

Il importe ainsi d’interpréter ce vote à la lumière des combats séculaires des féministes sur la question de la prostitution. Cette nouvelle posture pro-TDS marque un changement radical dans l’orientation historique des grandes organisations internationales, historiquement favorables aux recommandations abolitionnistes.

Une perte d’influence des milieux abolitionnistes ?

Depuis sa fondation au début du XXe siècle, la Société des Nations et à sa suite l’ONU ont adopté le modèle plutôt « abolitionniste », établi sur l’argumentaire féministe qui fait de la prostitution et de la traite des femmes (dite des Blanches) un esclavagisme sexuel mondialisé. Ces milieux abolitionnistes, habitués à compter ce genre d’organisme parmi leurs alliés, ont donc très fortement riposté, même avant le vote du 11 août.

Deux réactions ont été organisées : une française, sous la forme d’une tribune publiée le 8 août dans Libération, et signée entre autres par les Femen, Osez le féminisme et l’Amicale du Nid. Et le 22 juillet, une lettre ouverte rassemblant des représentantes d’associations abolitionnistes (internationales et nationales) et des célébrités de toutes générations et connotées « féministes » : Meryl Streep, Kate Winslet, Anne Hathaway et Lena Dunham (jeune féministe américaine, créatrice de la série Girls, considérée comme « la » voix féministe de la nouvelle génération).

Cette critique très médiatisée repose sur la rhétorique abolitionniste classique habituellement adressée au mouvement TDS et désormais à Amnesty International. L’organisation est décrite comme la nouvelle protectrice des clients, des proxénètes et du système d’esclavagisme sexuel : « La réputation qu’a Amnistie de défendre les droits de tous les individus serait sévèrement ternie, de façon irréparable, si [l’organisme] adopte une politique qui prend le parti des acheteurs de sexe, des proxénètes et d’autres exploiteurs plutôt que celui des exploitées. »

La critique y est particulièrement intense au Canada et en France, deux pays qui ont adopté des législations qui criminalisent la prostitution, sur le modèle suédois. Dominent dans ces deux pays des mouvements féministes acquis à la cause abolitionniste, qui avaient réussi à imposer leur vision dans leur pays mais qui subissent avec ce vote un revers à l’échelle transnationale.

En adoptant la position en faveur des travailleurs et travailleuses du sexe, AI entérine la position défendue par un mouvement politique féministe minoritaire mais qui a su se faire entendre en renouvelant la rhétorique sur le système prostitutionnel depuis les années 1970. Ce vote permet de montrer la cristallisation actuelle du débat sur la prostitution/travail du sexe. Peut-être devrons-nous sortir de la polarisation actuelle, où les mêmes arguments et diabolisations sont utilisés de part et d’autre, pour réfléchir à d’autres façons de prendre en compte toutes les complexités qui régissent les rapports de sexe. Le moralisme et la victimisation des femmes qui ont alimenté la ferveur féministe pendant un siècle trouvent aujourd’hui leur limite.




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