Les normes du travail : entre
législation et la politique du laissez-faire
On assiste un peu partout à de
nombreuses revendications en emploi et, au Québec, elles s’explosent à
la fin de l’année 2015. Qu’il s’agit du secteur public ou privé, les employés revendiquent de meilleures
conditions de travail, particulièrement, l’équité salariale. Dans les deux
liens que nous avons ci-annexés, il est question d’une grève illimitée qui
s’est enclenchée le 27 octobre dernier suite au conflit qui oppose les
travailleurs de l’Hôtel-Motel La caravelle à Baie Comeau aux nouveaux
propriétaires de l’établissement. En
effet, les employés réclament une augmentation de salaire de $1 et se plaignent
que leurs employeurs recrutent des gens de l’extérieur pour des postes de
cadres alors qu’eux autres qui travaillent au sein de l’établissement depuis
plusieurs années n’ont aucune promotion. Ils déplorent aussi le fait que les
nouveaux acquisiteurs de l’entreprise -qui sont des chinois- ne leur parlent
pas dans leur langue, qui est le français, et ne tiennent pas compte des normes
de travail d’ici.
Toujours selon ces travailleurs, les
nouveaux propriétaires de l’hôtel leur auraient imposé des conditions de
travail sous les normes minimales de travail; ce qui les aurait porté à se
syndiquer pour revendiquer et défendre leurs droits. Ainsi, ils ont pu adopter un
mandat de grève le 16 octobre dernier. Mais les employeurs n’entendent pas
négocier avec les employés et ont recourt à diverses
stratégies pour brimer leur mouvement de revendication : ils auraient dépêché
des briseurs de grève pour empêcher ces derniers de manifester sur leur lieu de
travail; ils se sont aussi adressés à la cour supérieure du Québec pour reconduire
les ordonnances du syndicat. Que nous dit cette affaire sur les politiques
néolibérales axées sur le laisser-faire?
Selon Bourdieu, le néolibéralisme se
caractérise par l’essor de l’emploi précaire et la docilisation de la
main-d’œuvre. Comme on l’a vu plus haut, les stratagèmes des propriétaires de
l’Hôtel participent de cette logique de soumission des employés. Mais encore
comment comprendre que des investisseurs étrangers puissent faire l’acquisition
d’une entreprise et ne pas tenir compte des conditions minimales de travail dans le pays. Or une loi statuant sur les
normes de travail au Québec, adoptée par la cour suprême et en vigueur depuis
1980 stipule comme suit :
La L.n.t. vise à assurer aux salariés
québécois une protection minimale à laquelle ne peuvent déroger les parties à
une relation de travail. Adoptée en 1979, elle avait pour objectif d’améliorer
la protection jugée insuffisante qu’offraient jusqu’alors les lois du travail à
caractère exclusivement économique, dont la Loi sur le salaire minimum, L.R.Q.,
ch. S-1. Avant l’adoption de la L.n.t., en effet, ces lois ne permettaient pas
l’établissement de conditions de travail justes en raison du déséquilibre
fonctionnel inhérent à la relation salarié-employeur (…) (CNT, p.3)
Cette loi a donc pour objectif de
combattre l’inégalité des forces qui existe normalement entre l’employeur et l’employé. C’est
pour cela que les injonctions à l’ endroit des employeurs quant aux conditions de travail devaient
provenir de l’ordre public; car les employés sont dans une situation de
subordination par rapport aux employeurs. Si malgré tout, les
arbitrages des employeurs face aux salariés existent plus que jamais, il y a lieu pour nous
de réfléchir sur l’articulation de la loi sur les normes du travail et la
politique du laissez-faire. Cette situation est d’autant plus contrastante que
la loi sur les normes du travail émerge en même temps que l’État québécois se débarrasse du contrôle de
l’articulation politico-juridique des marchés du travail au cours de la même
année 1980, soit l’après-fordisme (Noiseux, p.111). Ce retrait de l’État –
comme le note M. Noiseux- aura par voie de conséquence des répercussions sur le syndicalisme. Tel n’est pas surprenant
que dans le conflit les employeurs ont choisi de licencier la représentante du
syndicat de l’hôtel en service depuis plus de 14 ans. Car le syndicalisme est
perçu comme par la droite comme l’ennemi qu’il faut a tout prix éliminé. On est
tres loin des politiques keyneso-beveridgien qui prônaient l’encadrement de la
main-d’œuvre et des populations par l’État au nom de la solidarité nationale
(Noiseux, Ibid).
Comme nous l’avons remarqué au tout début : l’année
2015 est marquée, tant au Québec et ailleurs, par de nombreuses revendications
de conditions de travail plus justes. A l’instar de Bourdieu : « peut-on
espérer que la grande masse de souffrance produite par le régime néolibéral soit un jour à l’origine d’un mouvement capable d’arrêter la
course à l’abime?»
Par Sherley Montauban
Bourdieu, Pierre.
Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique,
Paris. (en ligne).
Noiseux, Yanick. 2014. « La
transformation du travail au Québec : Flexibilité et précarité, deux faces
d’une même réalité », dans Les travailleurs pauvres (sous la
direction de Ulysse, Lesemann et Pires). Montréal : PUQ. Pp.109-122.
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