mercredi 18 novembre 2015

Jusqu’où l’uberisation de la société va-t-elle ?

Jusqu’où l’uberisation de la société va-t-elle ?

Avec ce titre « accrocheur », l’article de Capital y va fort lorsqu’il s’interroge sur l’évolution et l’omniprésence du phénomène « d’uberisation » au sein de notre société. En effet, avec l’avènement des nouvelles technologies dans notre quotidien, de nouveaux automatismes et de nouvelles normes se sont créées autour du numérique et d’une rapidité de service à moindre coût. Besoin d’une échelle ? Application communautaire. Besoin d’un plombier ? Application communautaire. Besoin d’un hôtel ? Application Airbnb. Besoin d’un taxi ? Application Uber. Pour le consommateur, c’est une aubaine. Pour le prestataire, également. Mais à long terme ? Effectivement, pour le consommateur, même à long terme, ces prestations sont intéressantes pour lui. En ce qui concerne le prestataire, j’ai un doute. À court terme, c’est sur, une personne lambda travaille ponctuellement à titre de complément de salaire et cela lui permet d’avoir une rentrée de liquidité rapide et non imposable. Seulement au fil des années et en additionnant ces « petits boulots » qui lui auront permis de récolter une somme X et même si cette personne lambda n’est pas dans la surconsommation voire même l’appât du gain, il est quand même vital d’avoir un minimum d’argent pour pouvoir subvenir un tant soit peu à ses besoins. Alors une fois que cette personne lambda sera à la retraite, voire dans l’incapacité de poursuivre cette activité ponctuelle pour avoir une fin de vie au minimum descente que lui reste-t-elle comme solution ? Parce que ces « petits boulots » qui, en période de récession permettent à certains de « mettre du beurre dans leurs épinards », n’obtiendront aucune garantie, pension de retraites où toutes autres formes de compensations liées à l’exercice de ce travail. Car oui, il s’agit effectivement d’un travail dans la mesure où cette personne lambda a effectué une « activité contre rémunération, ayant pour but de produire des biens et services [1]».

Ce qui m’interpelle avec cette Uberisation de notre société, c’est qu’il paraît « normal[2] » d’avoir recourt à cette nouvelle réorganisation du travail, qui certes implique une rentrée d’argent rapide au besoin, mais qui implique également une précarisation de l’emploi à long terme, car dépourvu de toutes couvertures sociales pour lesquelles, je le rappelle, se sont battus les générations précédentes[3]. Au vu et au su des nombreux reportages documentaires et journalistiques sur cette nouvelle forme de travail précaire hérité de la mondialisation et du capitalisme à profusion, les gens ne semblent pas interpelés (ou ne veulent pas ?)  sur les types de conséquences que cela engendrerait à long terme. Et pourtant, nombreux sont les reportages sur les personnes à la retraite qui doivent subvenir à leur besoin avec 400 euros par mois après avoir travaillé toute leur vie ! Comment se fait-il qu’on s’offusque des licenciements prévus chez Air France, et qu’une partie de la société (infime je l’espère) encourage de nouvelles formes de violences à l’encontre des dirigeants de cette même entreprise alors qu’une partie de la société est en train de se faire aspirer dans le phénomène d’Uberisation, sans pouvoir mesurer les conséquences à long terme sur leur qualité de vie ? Qualité de vie qui, soit dit en passant, est déjà « esclave » d’un système qui précarise de plus en plus l’individu[4].

Alors que faire ? Repenser les transformations du syndicalisme à l’ère de la globalisation. C’est essentiel. Mais repenser les nouvelles formes d’organisation du travail à la lumière de nouvelles politiques nationales, ça l’est tout autant. « Force est de constater que sous la pression de la mondialisation des marchés, la recherche de flexibilité sur les marchés du travail a été érigé en politique d’emploi sans qu’en contrepartie l’État n’ajuste la législation du travail, les régimes publics de protection sociale et les régimes syndicaux régissant les rapports collectifs de travail » (Noiseux ; 2014 : 229). Ce que souligne ici Yanick Noiseux est aussi le cas pour la France. Ainsi, avant de s’offusquer et de jeter la pierre sur les dirigeants de nos grandes entreprises, nous (les Français) devrions prendre en considération les lacunes politiques auxquelles nous faisons fasse encore aujourd’hui en terme de réformes sur le plan économique, politique et social, et ce, face à cette mondialisation des marchés, la flexibilité des marchés du travail et à la précarisation de nos ménages. Qu’ils soient de droite ou de gauche, nos dirigeants sont incapables de prendre une décision constructive sur l’avenir de la France et des Français à l’ère de la globalisation. Laissons à Emmanuel Macron, l’actuel ministre de l’Économie, le loisir de proposer une nouvelle réforme concernant le droit du travail, et ce, afin d’élaborer des pistes de réflexion constructives qui pourraient aboutir à une possible sortie de crise. Espérer la fin du capitalisme est une utopie dont nous ne pouvons nous permettre. Par conséquent, il faudrait trouver un juste milieu entre les intérêts des employés et celui des employeurs, et où, la solution ne réside pas seulement dans la transformation du syndicalisme, mais peut-être dans l’élaboration d’une coalition apolitique où employés et employeurs puissent communiquer, dialoguer et échanger de manière constructive en gardant à l’esprit que nous vivons dans un contexte où les marchés du travail sont mondialisés et en perpétuelle transformation.

Bibliographie

Bourdieu, P. (1998). « La précarité est aujourd’hui partout », dans Contre-Feux. Paris.

Bourdieu, P. (1998). « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris.

Castells, M. (1998). « La transformation du travail et de l'emploi. Travail en réseau, chômage et travail flexible » dans La société en réseaux. L’ère de l’information, Fayard, Paris.

Noiseux, Y. (2014). Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec: Presses de L'Université du Québec.

Standing, G. (2011). « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class,
Bloomsbury, New York.



[2] Terme à prendre ici avec précaution car il renvoie ici à un sentiment de normalité quand à une situation précise.
[3] Voir film : Il était une fois le salariat.
[4] Voir Bourdieu (1998), Standing (1998), Castells (2011).

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