Réflexion sur le nécessaire élargissement du syndicalisme
Dans
la cuisine de l'appartement, une odeur de biscuits commence à se
répandre et chatouille les narines. Les enfants, surexcités,
satisfaits de leur réalisation, s'approchent de la cuisinière avec
prudence, sous l'oeil protecteur de Mathieu et de Karine, qui tend à
Noémie une grande mitaine de four.
“Attention, c'est chaud”, la met en garde Mathieu, dont l'expérience de père de trois enfants lui fait craindre une éventuelle brûlure. “Éloignez-vous de la porte du four, laissez Noémie travailler tranquille”, un conseil plus que judicieux vu l'exigüité de la cuisine au centre de laquelle trône la grande table familliale de bois vernis, qui prend presque toute la place.
“Attention, c'est chaud”, la met en garde Mathieu, dont l'expérience de père de trois enfants lui fait craindre une éventuelle brûlure. “Éloignez-vous de la porte du four, laissez Noémie travailler tranquille”, un conseil plus que judicieux vu l'exigüité de la cuisine au centre de laquelle trône la grande table familliale de bois vernis, qui prend presque toute la place.
Avec
prudence, Noémie sort la plaque à biscuits du four et la dépose
sur un sous-plat posé sur la table. À côté, Lucas et Svetlana,
trops jeunes pour s'approcher du four mais qui ont participés à la
réalisation de la recette, regardent les biscuits d'un air gourmand,
presque affamé. Inquiet, Émile, le plus vieux, leur lance d'une
voix sévère:
“Pas plus qu'un par personne, le reste c'est pour les profs sur la ligne de piquetage. Demain, c'est la grève !”, conclut-il sur un ton où se mèle de la joie et une certaine dignité. Ce n'est pas parce qu'il sera en congé demain qu'il semble si heureux, mais bien parce que depuis 2012, où il faisait figure d'anarcho-pyjamatiste dans les manifestations de casseroles, il a découvert les bienfaits de la solidarité, et participe avec fierté aux manifestations contre l'austérité. Il faut dire que ses parents, même séparés, l'encouragent dans cette voie.
“Pas plus qu'un par personne, le reste c'est pour les profs sur la ligne de piquetage. Demain, c'est la grève !”, conclut-il sur un ton où se mèle de la joie et une certaine dignité. Ce n'est pas parce qu'il sera en congé demain qu'il semble si heureux, mais bien parce que depuis 2012, où il faisait figure d'anarcho-pyjamatiste dans les manifestations de casseroles, il a découvert les bienfaits de la solidarité, et participe avec fierté aux manifestations contre l'austérité. Il faut dire que ses parents, même séparés, l'encouragent dans cette voie.
Ni
l'un ni l'autre ne sont pour l'instant syndiqués, mais comme des
milliers d'autres personnes au Québec, ils trouvent le moyen de
prendre part aux luttes contre l'austérité menées par les
étudiants et les syndicats. Natacha, par exemple, a contribué à
faire voter une proposition d'appui à la grève des professeurs par
le comité de parent de l'école et s'implique dans le groupe Parents
contre l'Austérité, alors que Mathieu, étudiant aux cycles
supérieurs, milite dans le mouvement étudiant.
Leurs
cas n'est pas tellement isolé. Depuis la grève étudiante de 2012
en effet, plusieurs groupes sont apparus qui réunissent les
personnes qui ne sont pas incluses dans les structures de lutte
étudiantes ou syndicales, ou qui veulent élargir leurs luttes à la
société dans son ensemble. Profs contre la hausse, Parents Unis
contre l'Austérité, Femmes Unies contre l'Austérité, Printemps
2015, ces groupes de la société civile partagent la caractéristique
de réunir des personnes qui sont pas toujours inclues par les
syndicats ou les associations étudiantes, mais qui se sentent
néanmoins directement concernées par les batailles menées par ces
mouvements.
Quelquefois,
comme ce matin froid d'octobre où les enfants vont proposer
fièrement leurs biscuits décorés de bonbons à leurs professeurs
en grève, ces initiatives sont plutôt informelles et conviales,
mais d'autres fois, comme ce fut le cas avec les Profs contre la
hausse, le niveau d'organisation est plus élevé et permet
pratiquement de contourner, pour les militantes et les militants, les
limitations légales et institutionnelles qui empêchent souvent le
syndicalisme de servir de véhicule de transformation sociale. Comme
le soulignent plusieurs chercheurs dans le domaine de l'action
syndicale (Dupuis 2004, Waterman s.d), le développement d'alliances
entre les syndicats et la communauté environnante, les groupes de la
société civile et les groupes de défense de droits contituent pour
le syndicalisme une voie particulièrement intéressante de
renouvellement. Alors que le syndicalisme semble de plus en plus
centré sur des enjeux concernant les entreprises où il est présent
(Paquet, Gosselin et Tremblay 2002), la légitimité dont il peut se
targuer dans la population est en déclin. Même parmis la frange de
la population qui devrait pourtant être la plus susceptible
d'adhérer à ses objectifs – les gauchistes, les marxistes, les
anarchistes et les militantes et militants de tout poils – le
syndicalisme ne joui pas d'un capital particulier de sympathie et est
suspecté, à vrai dire souvent avec raison, de se limiter à une
défense corporatiste de ses membres.
Pourtant,
les enjeux liés à l'austérité et à la convention collective des
employé-es du secteur public touchent souvent autant le public que
les travailleurs et les travailleuses. Mathieu en sait quelque chose:
son plus jeune fils Lucas éprouve des difficultés cognitives qui
nuisent à ses capacités de lecture et d'écriture– causée par
une maladie génétique rare qui s'attaque notamment à la perception
spatiale – mais les spécialistes qui pourraient l'aider se font
rare à l'école publique. L'absence de professionnels formés pour
prendre en charge de tels cas spécifiques ajoute donc du poids
autant à la lourdeur de la tâche des enseignant-es qu'aux
difficultés éprouvées par Lucas.
Natacha,
sa mère, en sait aussi quelque chose. Préposée au bénéficiaire
durant une dizaine d'année dans un hôpital, elle a vu comment le
nombre insuffisant de travailleuses et de travailleurs affectait
autant les conditions de travail des employé-es – forcés de
courir constamment durant huit heures – que la qualité des soins
offerts aux patients, de plus en plus considérés comme des
marchandises gérées selon les principes du flux tendu. Pour les
employé-es du système de santé, qui doivent composer avec des
situations éprouvantes pour les patients et leurs proches –
deuils, douleur, maladies – cette gestion “maigre” apparaît
souvent comme une inhumanisation de leur travail: l'aspect de
soutient émotionnel constitue pour elles une composante essentielle
de leur travail, mais se trouve niée par une organisation des soins
qui cherche à gagner chaque minute considérée comme
non-productive.
Le
pire est probablement que cet aspect émotionnel du travail de care –
nié dans l'organisation du travail - est instrumentalisé par le
gouvernement: les enseignants, par exemple, nuiraient à l'éducation
des enfants par leur grève, selon le ministre de l'éducation. Or le
développement de liens entre les communautés et les grévistes du
secteur public pourrait bien servir à développer une nouvelle
conscience de l'interdépendance des problèmes vécus par les
bénéficiaires des services d'un côté, et les travailleurs de
l'autre. En permettant des échanges sur les problèmes vécus de
part et d'autre, ces contacts pourraient déboucher sur des réelles
alliances qui pourraient contredire l'éternelle mise en opposition
des syndiqués et des payeurs de taxes, tout en aidant à dépasser
le corporatisme des organisations syndicales.
À
en croire les sourires des enseignants croquant leurs friandises
multicolores, les biscuits pourraient peut-être être tout indiqués
pour sceller cette nouvelle alliance.
Dupuis,
Marie-Josée (2004) Renouveau syndical: proposition de redéfinition
du projet syndical pour une plus grande légitimité des syndicats en
tant que représentants de tous les travailleurs, CRIMT, Montréal.
p. 1-26
Paquet,
R. Gosselin, E. et J-F Tremblay (2002) « Une synthèse des grandes
théories du syndicalisme », CRIMT, UQAH. p. 1-28
Waterman,
Peter (S.d) « The New Social Unionism: A New Union Model for a
New World Order ». En ligne.
<http://globalsolidarity.antenna.nl/waterman.html>. Consulté
le 11 novembre 2015.
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