Solidarité
ou pauvreté?
Afin
d'aider ses employés à se payer un repas décent pour "Thanksgiving",
une succursale de Wal-Mart en Ohio aux États-Unis a décidé d'organiser une
collecte de denrées alimentaires pour ses employés. Que peut-on discerner derrière ce geste?
Est-ce un simple acte de bonne foi de la part d'une compagnie qui prend soin de
ses employés chéris? Ou bien est-ce un signe ultime de la conscience de
Wal-Mart de la présence de la classe des travailleurs pauvres sous son toit?
On peut au moins s'entendre sur le
fait que cette collecte a déclenché une avalanche de mécontentements générale
auprès de ses clients. Ce qui les choque
dans cette initiative qu'on pourrait qualifier de maladroite, est que le but
originel d'une collecte de denrées alimentaires est supposée venir en aide aux
personnes démunies. Or, elle vise les employés d'une entreprise. On pourrait
donc comprendre que Wal-Mart est en train de se rendre compte que ses employés
sont tellement pauvres qu'une collecte doit être organisée pour qu'ils puissent
se payer "un peu de luxe". De l'autre côté de ce raz-de-marée
d'injures, Wal-Mart se défend en disant que ce n'est qu'un geste de solidarité
qui a d'ailleurs lieu depuis plusieurs années. Ce geste servirait à compenser
pour une situation économique difficile générale et non à un salaire trop bas
offert par la compagnie. En prenant en compte cet argument, il est donc
impensable pour Wal-Mart d'augmenter les salaires puisque ses employés sont
"en haut du seuil de pauvreté". Autrement dit, les employés manquent
assez d'argent pour avoir besoin de l'aide de la population pour se nourrir,
mais ne sont pas assez pauvres pour qu'on augmente leur salaire. En effet,
"en moyenne, un employé à temps plein chez Wal-Mart travaille entre 37 et
38 heures et reçoit un salaire annuel de 25 000$US, selon les données de
l’entreprise [de plus,] le gouvernement américain considère le seuil de
pauvreté à 23 550 $US pour une famille de quatre enfants." Soit une maigre différence de 1450$. Par contre, il
faut prendre en considération la présence d'employés ne travaillant qu'à temps
partiel chez Wal-Mart, qui représentent une portion non-négligeable des
employés, et qui n'atteignent donc pas nécessairement le salaire moyen de l'employé de Wal-Mart.
C'est à ce moment qu'on peut se
demander si, comme le dit Barbara Ehrenreich, le seuil de pauvreté est vraiment
calculé de la bonne façon. Selon elle, il est tout à fait possible de vivre
dans la pauvreté, même en ayant un emploi à temps plein. Selon elle, il y a un problème
quand un employé seul travaillant à la sueur de son front n'arrive pas à
survivre (Ehrenreich, 2004). Cela nous amène à nous questionner sur l'existence
du travailleur pauvre qui essaie tant bien que mal de s'en sortir, mais qui ne
connaît malheureusement rien de mieux. Un dernier point important apporté par
Ehrenreich (2004) est le suivant: "Les employeurs utilisent tous les
moyens et toute la force dont ils disposent pour ne pas augmenter les
salaires." On peut donc se demander: Est-ce qu'une collecte de nourriture
pour ses employés est une bonne stratégie?
Par
Vincent Bérubé
1.Ehrenreich,
Barbara. 2004. L'Amérique pauvre. Comment
ne pas survivre en travaillant, Grasset, Paris. Pp. 293-335.
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