Antoine Char,
professeur à l’UQAM, propose dans un article du Journal Métro[1]
une comparaison des techniques diplomatiques de Stephen Harper avec celles de
quelques premiers ministres canadiens précédents. En effet, l’auteur met
l’emphase sur la fin de la réputation de « courtier honnête »
qu’entretenait le Canada jusqu’en 2006, où Harper a plutôt adopté, selon
l’expression états-unienne, la « diplomatie du dollar », à laquelle
il préfère « diplomatie économique » pour sa couleur moins péjorative.
L’expression renvoie à la promotion prioritaire, dans les démarches de
gouvernance, des intérêts commerciaux du pays par le biais des banquiers et des
industriels. Évidemment, de nombreuses dérives morales sont à envisager de cette
posture politique, notamment l’ignorance des violations des droits de l’Homme
par la Chine afin d’y favoriser l’ouverture de nouveaux marchés.
La morale, dans l’optique de la
diplomatie économique, est désuète. En effet, comme l’explique M. Harper, « qu’il y ait des « bons » et des « méchants »
dans le monde, rien de nouveau […], et ce n’est plus au Canada d’être un
arbitre impartial entre les deux ». Il semble donc que le Canada se
défasse, sous le signe des Conservateurs, de son image de pacificateur et du « gentil de
l’histoire » pour se consacrer au florissement des intérêts pécuniaires
nationaux. Le Canada compte continuer à dénoncer certaines situations allant à
l’encontre des droits de l’Homme dans le monde, mais seulement après une
sélection des prises de positions à faibles répercussions économiques, comme celle,
récente, du Sri Lanka (49e sur la liste des exportations
canadiennes).
Char accorde à la diplomatie
économique l’avantage de la clarté : écorcher l’image blanche du Canada
des dernières décennies, avec les Casques bleus de l’ONU, est le dernier des
soucis du gouvernement actuel, tant que l’économie du pays se porte bien.
L’une des grandes questions à se
poser ici est : comment les Canadiens en sont-ils venus à choisir cette
tangente, plutôt que de continuer de se présenter au monde en pacifistes et en
médiateurs?
D’aucuns pourraient croire qu’il s’agisse,
comme l’expliquent Naomi Klein et Avi Lewis dans le cas de l’Argentine[2],
d’un espoir vieux des générations plus âgées en un changement politique pour le
mieux de tous, qui serait légitimement né à l’époque des Trente Glorieuses et se
serait transféré dans l’interprétation du discours électoral conservateur
actuel.
Un élément vient cependant
contredire cette hypothèse : le parti Conservateur a été réélu et est
actuellement majoritaire au pays. Autre élément intrigant dans l’équation :
il ne faut pas oublier que la posture prioritairement économique du parti s’applique
aussi à l’intérieur des frontières nationales, promettant la poursuite d’une
santé économique optimale et présentant un haut risque, comme on le voit par
moultes actions et prises de positions gouvernementales, de dégradation de la
qualité de vie des électeurs. Rappelons-en quelques exemples : l’opposition
du parti au service de santé universel, les coupures dans l’assurance-emploi,
le désir de remplacer le régime actuel de pension de retraite fédérale par le Pooled
Registered Pension Plan (PRPP) basé sur les banques, les fonds mutuels et les
compagnies d’assurance privées, les multiples coupures, entre autre en
recherche scientifique et dans les organismes pour les droits des femmes, l’affaiblissement
des réglementations de la nourriture en termes de pesticides, etc.[3]
La population se trouve pour ainsi dire en plusieurs points désavantagée par
cette vision de l’économie à tout prix. Ces exemples sont tout autant d’éléments
qui ont contribué et contribuent encore aujourd’hui à précariser les conditions
des travailleurs et le bien-être des Canadiens en général, dans l’objectif de
libérer l’État de ses contributions à des institutions jugées insuffisamment
rentables.
Le désir du peuple canadien, donc,
de suivre le premier ministre Harper dans ses démarches, semble délibéré.
Certains affirment que l’idéologie néolibérale comprend en elle-même l’idée qu’elle
constitue la seule manière possible d’organiser une société, soit par la
soumission totale de celle-ci aux lois du marché ; la perception des services
publics en tant que fardeaux financiers joue probablement un rôle-clé dans l’idée
très à droite selon laquelle l’État-Providence au Canada est un échec social dont
il faut se remettre et que la prospérité à l’échelle fédérale est plus
importante qu’au niveau social.
Latouche, enfin, prône dans son
article sur la décroissance et la sortie de la société travailliste[4]
de rediriger l’hégémonie sociale dominante vers une réduction du temps de
travail afin de prioriser, plutôt, la croissance du bien-être du peuple au
détriment, ou plutôt au ralentissement économique. La démarche, critiquée pour
son manque de perspective, suggère malgré tout de reconsidérer des valeurs
contemporaines telles que la productivité, la rentabilité, l’optimisation, le
temps libre et les relations, ce qui la rend somme toute pertinente et même
louable pour certains. Compte tenu de la nature de la société sur laquelle
Latouche s’appuie comme point de départ, le réalisme du projet est néanmoins,
effectivement, à revisiter.
Le point que je désire soulever par le présent
billet est qu’en tant que société, nous devons nous poser collectivement la
question que nous a si souvent posée Jean Chrétien : que voulons-nous?
[1]
Char, Antoine. « La diplomatie canadienne au service du dollar », Journal le Métro, lundi 2 décembre 2013.
[2]
La Toma. Dirigé par Avi Lewis. Perf. Naomi Klein et Avi Lewis. First Run
Features/Icarus Films, 2004, DVD.
[3] “Why Not Harper? Clear reasons you can discuss with anyone” Document
consulté en ligne le 3 décembre 2013 : http://www.whynotharper.ca/
[4]
Latouche,
Serge. « Décroissance, plein-emploi et sortie de la société travailliste »,
Entropia, revue d’étude théorique et politique de la décroissance, no 2, 2007,
p. 11-23.
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