mercredi 4 décembre 2013

Méditations inanimées d'une réalité travailliste animée  
Le réveil n'est pas brutal. Il se fait en douceur teintée d'une déprime matinale. Il semble perdu dans le néant travailliste ce pauvre travailleur qui allume une lampe. Cette lampe représentée par un autre être humain donne un sens lourd à l'explication conceptuelle du travailleur contemporain. Dès le début on peut constater l'insignifiance de cette activité qui semble avoir perdu tout sens dans le cadre actuel. Travailler pour travailler disait l'autre... Ce petit documentaire a le mérite d'illustrer la perversité du travail contemporain défini par une division extrêmement pointue des tâches. Cette société de travail qui dans son délire fantasmatique du plein emploi tend à instrumentaliser des individus et leur octroyer des rôles insignifiants qui n'ont pour autre but que la soumission absolue a une hiérarchie crasse et la création absurde d'emploi. Cela démontre bien la perte de sens de l'activité que Hegel considérait comme « l'élément essentiel du système des besoins[1] ».  Il fondait « tout de suite le système des besoins sur un rapport entre la satisfaction des besoins personnels (c'est-à-dire l'usage individuel) et les besoins des autres (c'est-à-dire ceux de la société)[2] ». On peut constater de manière caricaturale certes, mais tristement réelle cette satisfaction des besoins individuels lorsqu'on remarque le rôle joué par les individus qui ont comme tâche d'être un complet de cuisine. Ce recours à la métaphore est forcement frappant.
Plus tristement encore, on remarque le rôle restreint de la femme au sein du foyer familial. Mais pire encore, on remarque son rôle social qui se délimite aux tâches domestiques. Cette utilisation imagée du rôle de la femme qui est mise au même niveau qu'une chose matérielle respire une réalité sociale tristement épouvantable. Cette soumission de la femme face à l'homme est illustrée par la chosification féminine qui se caractérise par son rôle d'instrument de support à l'homme (ex: les chaises, la table et le porte manteau par lesquels la femme est représentée, dénonce une réalité malheureusement observable). Cela démontre bien la domination patriarcale au sein de la société qui se reflète sur le travail se manifestant encore aujourd'hui à travers l'inégalité salariale, la division sexuelle du travail, le rôle de la femme dans la société travailliste, etc.
La chosification est humainement inhumaine et comme le disait Adorno en parlant de la sociologie: elle « devrait régulièrement comprendre l'incompréhensible, l'entrée de l'humain dans l'inhumanité[3] ». La sociologie du travail suivant cette approche devrait user de ces images métaphoriques qui décrivent la réalité sociale de cette société du travail, puisqu'elles permettent justement de comprendre l'incompréhensible, de comprendre l'entrée de l'humain dans l'inhumanité. Le travailleur est devenu une sorte de machine programmée à exécuter une seule et même tâche ad vitam aeternam. Cette division ultra spécifique du travail se reflète assez bien dans cette oeuvre animée. Cette triste façon de se représenter le travail dépasse bien la fiction animée pour rejoindre la réalité tristement inanimée des travailleurs au sein des cubiculs de travail et de l'usine. Elle transcende le fictif et le métaphorique pour rejoindre le réel.
Cet être misérable, de par son expression facile notamment, démontre un vide préoccupant. N'est-il pas la représentation, certes quelque peu caricaturale, mais bien réelle de l'enthousiasme inexistant chez les travailleurs et leur incapacité de trouver des éléments émancipateurs au sein de leurs pratiques quotidiennes? Autant qu'on constate la soumission chosifiée des acteurs sociaux tout au long de ce vidéo autant à la fin on se rend compte que l'acteur principal de celui-ci est aussi une chose servant un être hautement placé dans la hiérarchie sociale. Il y a là tout un sens lorsqu'on tente de réfléchir le travail au sein d'un système de domination comme celui qui caractérise notre époque. Au bout du compte n'est-ce pas là la mélancolique réalité de ce monde hiérarchisé où  chacun est un outil pour l'autre. Le comble de l'utilitarisme ou le travail n'a plus de sens. Chacun joue un rôle insignifiant pour l'autre. Il est plus que temps de se questionner sur la possibilité réelle d'émancipation à travers l'accomplissement quotidien d'un emploi. Il faut peut-être aller voir ailleurs. Le problème consiste à savoir où cet ailleurs se situe quand la société tout entière n'en a que pour le travail et le plein emploi...    


Adis Simidzija


[1] Naville, Pierre, 1967. « De l'aliénation à la jouissance la genese de la sociologie du travail chez Marx et Engels », Paris, Anthropos, p.40
[2] Ibid., p.27
[3] Adorno Theodor W., « Société »,Tumultes, 2001/2-2002-1 n° 17-18, DOI : 10.3917/tumu.017.0363, p. 366

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