vendredi 13 décembre 2013

Nouvelle organisation pour Postes Canada

La deuxième moitié de l’an 2014, Postes Canada mettra en place une nouvelle structure organisationnelle afin de se conformer à certains standards de performance. Dans le but d’être plus rentable et efficace, elle compte abolir le service à domicile pour le remplacer des boîtes postales communautaires où les gens iront chercher eux-mêmes leur courrier.
Postes Canada prévoit que 15 000 employés quitteront ou prendront leur retraite et compte ne pas renouveler entre 6 000 à 8 000 de ces postes vacants lors de ces départs. La direction de Postes Canada justifie cette décision en disant que «[Les Canadiens] reçoivent de moins en moins de courrier et s’attendent à voir cette tendance se poursuivre. En même temps, ils souhaitent que Postes Canada les aide à gagner du temps en offrant un service pratique de livraison des biens et des documents qu’ils achètent de plus en plus en ligne. Ce virage est indéniable et il existe un large consensus sur le fait que le statu quo n’est pas viable. »
Ce changement touchera le tiers des Canadiens qui reçoivent leur courrier à la maison. L’idée de l’implantation de boîtes postales communautaires n’est pas nécessairement mauvaise en soi pour certaines villes canadiennes (peut-être qu’effectivement, ça serait une manière plus sécuritaires et moins coûteuse de livrer des colis plutôt que de laisser ces derniers trainer sur le balcon de ces clients), mais à Montréal, ce changement pose problème sur le plan de l’urbaniste : on ne sait pas où mettre ces boîtes et la densité de population est nettement plus élevée que dans d’autres villes au pays.
Qui plus est, les tarifs postaux se verront augmentés. Les timbres sont actuellement 0,63$ et passeront, pour ceux qui les achètent en carnets ou en rouleaux à 0,85$ et à 1,00$ acheté à l’unité. 
On affirme également, dans le communiqué de Postes Canada, que ces coupures auront pour effet d’améliorer le mode de vie et les conditions de retraite de ses employés. C’est logique : s’il y a moins de travailleurs, il y aura plus de profit pour un plus petit nombre de personnes. Or, avec de telles mesures, comme l’indique Castel, on ne fait qu’accentuer le clivage qui sépare ceux qui « réussissent » dans un tel système et ceux qui « échouent » puisqu’on contribue à faire augmenter le taux de chômage en coupant entre 6000 à 8000 postes et donc on prive d’emploi un même nombre de travailleurs potentiels de la population active. Toujours selon Castel, de telles mesures encouragent la désaffiliation des travailleurs par l’idée de concurrence généralisée, encourage un démantèlement des droits sociaux et accentue la précarité. Cette restructuration de la Société de la Couronne est amenée sans qu’on soit cohérent, ni équipé structurellement pour pallier à ces modifications, notamment sur le fait que les critères d’admission à un programme d’assurance-emploi pour les chômeurs sont de plus en plus restrictifs.
Voilà un exemple éloquent du paradoxe du capitalisme : accélérer le temps pour permettre à une minorité de travailleurs de se tuer à l’ouvrage et aux autres de se chercher des emplois qui se raréfient dans un rayon de 100 kilomètres pour participer à un système qui va à l’encontre de la cohésion sociale. La direction de Postes Canada le dit elle-même : « Le nouveau système permettra à Postes Canada d’affronter la concurrence sur le marché mondial des colis où règnent la vitesse et la technologie. […] Grâce à ces partenariats, les Canadiens qui mènent une vie chargée pourront magasiner de plus en plus à un seul endroit.»
            Postes Canada déclare aussi que «[c]es initiatives aideront la Société à mieux répondre aux besoins émergents des Canadiens, tout en respectant son mandat de demeurer autonome sur le plan financier et d’éviter de devenir un fardeau pour les contribuables.» Or, qui paie pour l’assurance-chômage et les services (notamment de santé, où un important pourcentage des consultations est lié au stress au travail)? Les contribuables seront touchés sans aucun doute.
            On peut aussi faire un lien entre les nouvelles théories managériales et cette nouvelle. Bien que les employés ne soient pas des travailleurs d’usine et que, conséquemment, ils n’aient pas les désagréments d’un travail aliéné et répétitif, certains commandements du  taylorisme et du fayolisme semblent s’appliquer dans cette restructuration. On traite la société d’état comme si elle était une usine à distribution de courrier où le point d’honneur est la rentabilité et le profit au détriment des travailleurs qui sont déshumanisés et qui ne sont perçus que comme des simples outils, des « machines » contribuant à la distribution postale.
 
            «La Société continuera d’aligner ses coûts de main-d’œuvre sur ceux de ses concurrents, grâce à l’attrition et par la négociation collective au fil des ans. Postes Canada prendra également les mesures nécessaires pour régler définitivement les problèmes qui touchent la viabilité de son régime de retraite. Un effectif plus petit permettra à Postes Canada d’être une entreprise plus flexible et concurrentielle, capable de s’adapter rapidement à un marché en constante évolution. » Dans cet extrait, on peut comprendre que Postes Canada nous indique qu’elle est complètement soumise en énonçant clairement qu’elle allait « aligner ses coûts de main d’œuvre sur ceux de ses concurrents ». Plus loin dans son communiqué, elle indique que ces nouvelles mesures lui permettront de «conserver son indépendance » : un peu paradoxal, non?
 
Bref, dans cet exemple, on voit bien les effets du capitalisme qui exigent toujours de s’adapter au marché. Robert Castel, par ses travaux antérieurs, illustre comment de telles mesures peuvent avoir des conséquences défavorables, non seulement sur le milieu du travail, mais dans la société en général. Bien entendu, Postes Canada ne pourrait pas lutter seule contre ce système, mais en s’y soumettant, elle contribue à son maintien et à sa puissance, ce qui, a pour effet, plus largement, de désolidariser les employés, encourager la précarité, amoindrir les conditions de vie des citoyens qui verront les coûts sociaux augmenter sans cesse.

Anne-Marie Laflamme


Sources :

CORRIVEAU, J. et Buzzetti, H. «Postes Canada - Un défi considérable à Montréal» Le Devoir, 13 décembre 2013 Disponible en ligne au < http://www.ledevoir.com/politique/canada/395150/un-defi-considerable-a-montreal >, consulté le 13 décembre 2013
DE GRANDPRÉ, Hugo. «Des chômeurs devront accepter «tout travail» à une heure de chez eux », La Presse, 21 mai 2012, Disponible en ligne au http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201205/24/01-4528244-des-chomeurs-devront-accepter-tout-travail-a-une-heure-de-chez-eux.php >, consulté le 12 décembre 2013
La presse canadienne. «Changements majeurs apportés aux services de Postes Canada et hausses de tarifs», La Presse, 11 décembre 2013. Disponible en ligne au <http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201312/11/01-4719931-changements-majeurs-apportes-aux-services-de-postes-canada-et-hausses-de-tarifs.php>, consulté le 11 décembre 2013 La presse canadienne. «Postes Canada - ​Le gouvernement Harper réitère son appui aux hausses de tarifs » Le Devoir, 12 décembre 2013. Disponible en ligne au < http://www.ledevoir.com/politique/canada/395025/postes-canada-le-gouvernement-harper-reitere-son-appui-aux-hausses-de-tarifs >, consulté le 13 décembre 2013
La presse. Disponible en ligne au <http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201312/11/01-4719931-changements-majeurs-apportes-aux-services-de-postes-canada-et-hausses-de-tarifs.php>, consulté le 11 décembre 2013
Postes Canada. « Plan d’action en cinq points » Disponible en ligne au < http://www.lapresse.ca/fichiers/4719892/5_fr.pdf. >, consulté le 11 décembre 2013

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