La deuxième moitié de l’an 2014, Postes
Canada mettra en place une nouvelle structure organisationnelle afin de se
conformer à certains standards de performance. Dans le but d’être plus rentable
et efficace, elle compte abolir le service à domicile pour le remplacer des
boîtes postales communautaires où les gens iront chercher eux-mêmes leur
courrier.
Postes Canada prévoit que 15 000
employés quitteront ou prendront leur retraite et compte ne pas renouveler
entre 6 000 à 8 000 de ces postes vacants lors de ces départs. La direction de Postes Canada justifie cette décision en
disant que «[Les Canadiens] reçoivent de moins en moins de courrier et
s’attendent à voir cette tendance
se poursuivre. En même temps, ils souhaitent que Postes
Canada les aide à gagner du temps en offrant un service pratique de livraison des biens et des
documents qu’ils achètent de
plus en plus en ligne. Ce virage est indéniable et il existe un large consensus sur le fait que le
statu quo n’est pas viable. »
Ce changement touchera le tiers des Canadiens
qui reçoivent leur courrier à la maison. L’idée de l’implantation de boîtes
postales communautaires n’est pas nécessairement mauvaise en soi pour certaines
villes canadiennes (peut-être qu’effectivement, ça serait une manière plus sécuritaires
et moins coûteuse de livrer des colis plutôt que de laisser ces derniers
trainer sur le balcon de ces clients), mais à Montréal, ce changement pose
problème sur le plan de l’urbaniste : on ne sait pas où mettre ces boîtes
et la densité de population est nettement plus élevée que dans d’autres villes
au pays.
Qui plus est, les tarifs postaux se verront
augmentés. Les timbres sont actuellement 0,63$ et passeront, pour ceux qui les
achètent en carnets ou en rouleaux à 0,85$ et à 1,00$ acheté à l’unité.
On affirme également, dans le communiqué de
Postes Canada, que ces coupures auront pour effet d’améliorer le mode de vie et
les conditions de retraite de ses employés. C’est logique : s’il y a moins
de travailleurs, il y aura plus de profit pour un plus petit nombre de
personnes. Or, avec de telles mesures, comme l’indique Castel, on ne fait
qu’accentuer le clivage qui sépare ceux qui « réussissent » dans un
tel système et ceux qui « échouent » puisqu’on contribue à faire
augmenter le taux de chômage en coupant entre 6000 à 8000 postes et donc on
prive d’emploi un même nombre de travailleurs potentiels de la population
active. Toujours selon Castel, de telles mesures encouragent la
désaffiliation des travailleurs par l’idée de concurrence généralisée,
encourage un démantèlement des droits sociaux et accentue la précarité. Cette restructuration de la
Société de la Couronne est amenée sans qu’on soit cohérent, ni équipé
structurellement pour pallier à ces modifications, notamment sur le fait que
les critères d’admission à un programme d’assurance-emploi pour les chômeurs
sont de plus en plus restrictifs.
Voilà un exemple éloquent du paradoxe du
capitalisme : accélérer le temps pour permettre à une minorité de
travailleurs de se tuer à l’ouvrage et aux autres de se chercher des emplois
qui se raréfient dans un rayon de 100 kilomètres pour participer à un système qui va à
l’encontre de la cohésion sociale. La direction de Postes Canada le dit
elle-même : « Le
nouveau système permettra à Postes Canada d’affronter la concurrence sur le
marché mondial des colis où règnent la vitesse et la technologie. […] Grâce à
ces partenariats, les Canadiens qui mènent une vie chargée pourront magasiner
de plus en plus à un seul endroit.»
Postes Canada déclare aussi que «[c]es
initiatives aideront la Société à mieux répondre aux besoins émergents des
Canadiens, tout en respectant son mandat de demeurer autonome sur le plan
financier et d’éviter de devenir un fardeau pour les contribuables.» Or,
qui paie pour l’assurance-chômage et les services (notamment de santé, où un
important pourcentage des consultations est lié au stress au travail)? Les contribuables
seront touchés sans aucun doute.
On
peut aussi faire un lien entre les nouvelles théories managériales et cette
nouvelle. Bien que les employés ne soient pas des travailleurs d’usine et que,
conséquemment, ils n’aient pas les désagréments d’un travail aliéné et
répétitif, certains commandements du taylorisme
et du fayolisme semblent s’appliquer dans cette restructuration. On traite la
société d’état comme si elle était une usine à distribution de courrier où le
point d’honneur est la rentabilité et le profit au détriment des travailleurs
qui sont déshumanisés et qui ne sont perçus que comme des simples outils, des
« machines » contribuant à la distribution postale.
«La Société continuera d’aligner ses
coûts de main-d’œuvre sur ceux de ses concurrents, grâce à l’attrition et par
la négociation collective au fil des ans. Postes Canada prendra également les
mesures nécessaires pour régler définitivement les problèmes qui touchent la
viabilité de son régime de retraite. Un effectif plus petit permettra à Postes
Canada d’être une entreprise plus flexible et concurrentielle, capable de
s’adapter rapidement à un marché en constante évolution. » Dans
cet extrait, on peut comprendre que Postes Canada nous indique qu’elle est
complètement soumise en énonçant clairement qu’elle allait « aligner ses coûts
de main d’œuvre sur ceux de ses concurrents ». Plus loin dans son
communiqué, elle indique que ces nouvelles mesures lui permettront de
«conserver son indépendance » : un peu paradoxal, non?
Bref,
dans cet exemple, on voit bien les effets du capitalisme qui exigent toujours
de s’adapter au marché. Robert Castel, par ses travaux antérieurs, illustre
comment de telles mesures peuvent avoir des conséquences défavorables, non
seulement sur le milieu du travail, mais dans la société en général. Bien
entendu, Postes Canada ne pourrait pas lutter seule contre ce système, mais en
s’y soumettant, elle contribue à son maintien et à sa puissance, ce qui, a pour
effet, plus largement, de désolidariser les employés, encourager la précarité,
amoindrir les conditions de vie des citoyens qui verront les coûts sociaux
augmenter sans cesse.
Anne-Marie Laflamme
Sources :
CORRIVEAU, J. et Buzzetti, H. «Postes Canada - Un défi considérable
à Montréal» Le Devoir, 13 décembre 2013 Disponible en ligne au < http://www.ledevoir.com/politique/canada/395150/un-defi-considerable-a-montreal >, consulté le 13 décembre 2013
DE GRANDPRÉ, Hugo. «Des
chômeurs devront accepter «tout travail» à une heure de chez eux », La Presse, 21 mai 2012, Disponible en
ligne au http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201205/24/01-4528244-des-chomeurs-devront-accepter-tout-travail-a-une-heure-de-chez-eux.php >, consulté le 12 décembre 2013La presse canadienne. «Changements majeurs apportés aux services de Postes Canada et hausses de tarifs», La Presse, 11 décembre 2013. Disponible en ligne au <http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201312/11/01-4719931-changements-majeurs-apportes-aux-services-de-postes-canada-et-hausses-de-tarifs.php>, consulté le 11 décembre 2013 La presse canadienne. «Postes Canada - Le gouvernement Harper réitère son appui aux hausses de tarifs » Le Devoir, 12 décembre 2013. Disponible en ligne au < http://www.ledevoir.com/politique/canada/395025/postes-canada-le-gouvernement-harper-reitere-son-appui-aux-hausses-de-tarifs >, consulté le 13 décembre 2013
La presse. Disponible en ligne au <http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201312/11/01-4719931-changements-majeurs-apportes-aux-services-de-postes-canada-et-hausses-de-tarifs.php>, consulté le 11 décembre 2013
Postes Canada. « Plan d’action en cinq points » Disponible en ligne au < http://www.lapresse.ca/fichiers/4719892/5_fr.pdf. >, consulté le 11 décembre 2013
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