lundi 9 décembre 2013

L'industrie du fast-food: une nouveauté dans les relations entre travailleurs et propriétaires


Le quotidien montréalais «le 24h» a publié vendredi dernier un article intitulé «cri du cœur des employés de fast-food».  Cet article indiquait que des employés de fast-food «se sont à nouveau mobilisés jeudi dernier aux États-Unis pour réclamer une hausse de leur rémunération[1]».  Selon les organisateurs, des actions ont eu lieu dans une centaine de villes.  Ce nombre important signifie que le mouvement de protestation, dont les premiers éclats se sont produits fin 2012 et en août dernier, n’est pas banal.  Si on peut faire l’hypothèse que des réseaux sociaux comme Facebook ont certainement aidés les gens à organiser leurs regroupements et leurs recommandations (il n’y a pas de syndicats pour assurer cette besogne dans l’industrie du fast-food), on peut aussi supposer que la principale raison qui a poussé les gens à s’unir réside dans le fait que le profil des travailleurs de l’industrie n’est plus le même depuis quelques années.  En effet, si autrefois ces «jobs» n’étaient réalisés que par des gens en général jeunes, la donne n’est plus la même aujourd’hui.  Le monde du travail étant globalement plus compétitif et plus exigeant à l’égard des travailleurs qu’il ne l’a déjà été, il y a de plus en plus de gens qui, faute d’autre emploi, aboutissent dans l’industrie du fast-food, laquelle figure parmi les industries qui demandent le moins de qualifications professionnelles pour y évoluer. 

Les travailleurs de ce milieu sont donc plus nombreux à envisager ce travail comme un emploi qu’ils veulent garder sur une période relativement longue, et cela leur donne un rapport de force tout à fait nouveau face à leur employeur.  Nombreux et très mal payés, ils s’associent donc et manifestent pour une hausse de salaire (laquelle ne peut qu’aller chercher la bonne grâce de l’opinion publique, ce qui n’est pas à négliger pour les employeurs).  Les salariés visent d’ailleurs très haut : leurs demandes se chiffrent à 15$ de l’heure, soit plus du double du 7,25$ horaire que la plupart d’entre eux touchent actuellement!  Si les porte-paroles des grandes chaînes américaines de fast-food se font discrets sur le sujet, ils doivent toutefois tenir compte du fait que le mouvement est d’une ampleur qui n’augure rien de bon pour leurs revenus : il semble évident, au premier regard, qu’ils devront céder du terrain.  Toutefois, qui sait, peut-être le mouvement s’estompera-t-il aussi; les entreprises peuvent certainement recourir à des stratégies bassement efficaces, comme cibler les plus grands rassembleurs des mouvements et les licencier.  Le fait est aussi que certains employés gagnent moins en un mois que ce que leur coûte la vie.  Le mouvement pourrait donc être ralenti au fur et à mesure que des travailleurs de l’industrie quittent le bateau. 

Cet article présente plusieurs éléments que nous avons abordés dans le cadre du cours.  Dans un texte intitulé «the Precariat», Guy Standing nous suggère qu’une nouvelle classe sociale prend forme de nos jours, qu’il nomme «le précariat».  Comme son nom l’indique, c’est une classe qui se caractériserait principalement par les conditions de travail précaires qui s’imposeraient à elle.  Les gens du précariat souffriraient en particulier d’un manque de support de leur communauté et d’une quantité insuffisante, sinon inexistante, d’avantages sociaux garantis par leur travail.  Le cri du cœur des employés américains de l’industrie du fast-food est un symptôme de cette situation décriée par Standing : les gens sont plus nombreux à travailler au bas de l’échelle et ils sont pris dans un cercle vicieux.  Standing parle de quatre effets principaux produits par le monde du travail chez les citoyens brimés qui appartiennent au précariat : ceux-ci vivraient de l’aliénation, de l’anomie, de l’anxiété et un sentiment de colère devant l’impasse qu’ils vivent.  Standing invente d’ailleurs un terme pour parler des gens de cette classe sociale : il déforme le mot «citizen» (citoyen en anglais), et suggère qu’on devrait plutôt parler de «denizen», puisque leurs droits de citoyens sont brimés d’une façon et/ou d’une autre par la situation.  Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à consulter le texte ou encore le livre de M. Standing.

Je crois que s’il y a quelque chose de particulier à retenir de ces manifestations, c’est l’impact qu’ont sans doute eus les réseaux sociaux dans leur organisation.  Les réseaux sociaux servent de plate-forme aux gens pour exprimer leur mécontentement et permettent à des employés non-syndiqués de s’unir pour tenter des actions collectives.  Appelons cela du «syndicalisme clandestin».  Il sera intéressant de voir comment les acteurs de l’industrie du fast-food américain réagiront à ce remaniement des rapports de force.

 Joël Guye-Perrault

Standing, Guy. 2011.  «The Precariat», dans «The Precariat : The New Dangerous Class», Bloomsbury, New-York, Pp. 1-25.

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