Le
quotidien montréalais «le 24h» a publié vendredi dernier un article intitulé «cri
du cœur des employés de fast-food». Cet
article indiquait que des employés de fast-food «se sont à nouveau mobilisés
jeudi dernier aux États-Unis pour réclamer une hausse de leur rémunération[1]». Selon les organisateurs, des actions ont eu
lieu dans une centaine de villes. Ce
nombre important signifie que le mouvement de protestation, dont les premiers
éclats se sont produits fin 2012 et en août dernier, n’est pas banal. Si on peut faire l’hypothèse que des réseaux
sociaux comme Facebook ont certainement aidés les gens à organiser leurs
regroupements et leurs recommandations (il n’y a pas de syndicats pour assurer
cette besogne dans l’industrie du fast-food), on peut aussi supposer que la
principale raison qui a poussé les gens à s’unir réside dans le fait que le
profil des travailleurs de l’industrie n’est plus le même depuis quelques
années. En effet, si autrefois ces «jobs»
n’étaient réalisés que par des gens en général jeunes, la donne n’est plus la
même aujourd’hui. Le monde du travail
étant globalement plus compétitif et plus exigeant à l’égard des travailleurs
qu’il ne l’a déjà été, il y a de plus en plus de gens qui, faute d’autre
emploi, aboutissent dans l’industrie du fast-food, laquelle figure parmi les
industries qui demandent le moins de qualifications professionnelles pour y
évoluer.
Les
travailleurs de ce milieu sont donc plus nombreux à envisager ce travail comme
un emploi qu’ils veulent garder sur une période relativement longue, et cela
leur donne un rapport de force tout à fait nouveau face à leur employeur. Nombreux et très mal payés, ils s’associent
donc et manifestent pour une hausse de salaire (laquelle ne peut qu’aller
chercher la bonne grâce de l’opinion publique, ce qui n’est pas à négliger pour
les employeurs). Les salariés visent d’ailleurs
très haut : leurs demandes se chiffrent à 15$ de l’heure, soit plus du
double du 7,25$ horaire que la plupart d’entre eux touchent actuellement! Si les porte-paroles des grandes chaînes américaines
de fast-food se font discrets sur le sujet, ils doivent toutefois tenir compte
du fait que le mouvement est d’une ampleur qui n’augure rien de bon pour leurs
revenus : il semble évident, au premier regard, qu’ils devront céder du
terrain. Toutefois, qui sait, peut-être
le mouvement s’estompera-t-il aussi; les entreprises peuvent certainement
recourir à des stratégies bassement efficaces, comme cibler les plus grands
rassembleurs des mouvements et les licencier.
Le fait est aussi que certains employés gagnent moins en un mois que ce
que leur coûte la vie. Le mouvement
pourrait donc être ralenti au fur et à mesure que des travailleurs de l’industrie
quittent le bateau.
Cet
article présente plusieurs éléments que nous avons abordés dans le cadre du
cours. Dans un texte intitulé «the Precariat»,
Guy Standing nous suggère qu’une nouvelle classe sociale prend forme de nos
jours, qu’il nomme «le précariat». Comme
son nom l’indique, c’est une classe qui se caractériserait principalement par
les conditions de travail précaires qui s’imposeraient à elle. Les gens du précariat souffriraient en
particulier d’un manque de support de leur communauté et d’une quantité
insuffisante, sinon inexistante, d’avantages sociaux garantis par leur travail. Le cri du cœur des employés américains de l’industrie
du fast-food est un symptôme de cette situation décriée par Standing : les
gens sont plus nombreux à travailler au bas de l’échelle et ils sont pris dans
un cercle vicieux. Standing parle de
quatre effets principaux produits par le monde du travail chez les citoyens
brimés qui appartiennent au précariat : ceux-ci vivraient de l’aliénation,
de l’anomie, de l’anxiété et un sentiment de colère devant l’impasse qu’ils
vivent. Standing invente d’ailleurs un
terme pour parler des gens de cette classe sociale : il déforme le mot «citizen»
(citoyen en anglais), et suggère qu’on devrait plutôt parler de «denizen»,
puisque leurs droits de citoyens sont brimés d’une façon et/ou d’une autre par
la situation. Pour plus de détails à ce
sujet, je vous invite à consulter le texte ou encore le livre de M. Standing.
Je
crois que s’il y a quelque chose de particulier à retenir de ces
manifestations, c’est l’impact qu’ont sans doute eus les réseaux sociaux dans
leur organisation. Les réseaux sociaux
servent de plate-forme aux gens pour exprimer leur mécontentement et permettent
à des employés non-syndiqués de s’unir pour tenter des actions collectives. Appelons cela du «syndicalisme clandestin». Il sera intéressant de voir comment les
acteurs de l’industrie du fast-food américain réagiront à ce remaniement des
rapports de force.
Standing, Guy. 2011. «The
Precariat», dans «The Precariat :
The New Dangerous Class», Bloomsbury, New-York, Pp. 1-25.
Canoë.ca, 2009. http://virtuel.24hmontreal.canoe.ca/doc/24hrsmontreal/24heuresmontreal20131206/2013120501/58.html#58,
page consultée le 8 décembre 2013.
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