L'esprit
sacré de la croissance
Dans un article du journal français Le Monde, un vent d'optimisme se fait sentir alors que le journal
vente les mérite de la surprenante croissance de l'économie étasunienne en
titrant « Les bonnes surprises de la croissance américaines ». Qu'est-ce
que l'article nous apprend donc? Tout d'abord que l'économie étasunienne a fait
un bond avant de 4.1% au dernier trimestre. Ce sont de bonnes nouvelles pour
les protagonistes du marché financier. Or, qu'est-ce qui explique cette
progression inattendue? Le journal rapporte que c'est la consommation de
services qui est à l'origine de cette croissance. Entre la consommation se
rattachant à la restauration et le renouveau de l'industrie automobile, on
observe aussi que la reprise est notamment redevable à la consommation de
services de... santé. Oui les services de santé sont un vecteur de la
croissance étasunienne. Comme quoi le capitalisme sauvage puise ses sources là où
il peut. Le Monde n'élabore cependant
pas sur ce qui a été consommé en santé, mais on peut bien conclure avec un brin
d'humour teinté d'une triste réalité que plus les gens sont malades aux
États-Unis, mieux c'est pour l'économie.
La création d'emploi ne semble pas résultée de cette
reprise puisque les investissements ont surtout été effectués dans l'achat
d'équipement. Donc rien de concret pour les travailleurs si ce n'est que de
nouveaux équipements avec lesquels ils pourront travailler. L'optimisme vient
du fait que les résultats dépassent les prévisions faites. Cela est
caractéristique de l'économie financiarisée où la spéculation détermine trop
souvent l'humeur de l'économie globale. C'est cette spéculation qu'il faudrait
peut-être combattre puisqu'elle est souvent à l'origine de perte d'emplois et
de crises. Parce que c'est la réalité de l'économie à l'ère du néolibéralisme.
Elle est assujettie à la spéculation financière. Les coupures budgétaires sont
essentiellement basées sur la projection. Il n'y a qu'à prendre en exemple
Postes Canada qui projette des pertes records en 2019 pour justifier les
coupures actuelles. Il demeure préoccupant que l'économie abstraite domine
l'économie réelle. Ce changement ne date pas d'hier[1],
mais ses effets sont extrêmement pervers et l'emploi demeure sous sa
domination. C'est tout de même ça la réalité du travail contemporain. Il
demeure fortement sous l'influence d'éléments qui se retrouvent à l'extérieur
de la productivité et de ce qui le caractérise.
Il aurait été intéressant d'observer si cette
consommation est due à un accès accru des ménages au crédit, ou peut-être à une
hausse des salaires, etc. Beaucoup de questions qui prennent la poussière et
auxquels il est difficile de répondre puisque le système est fait ainsi. Cela
nous ramène à se questionner sur la crédibilité et la nécessité de la
croissance comme l'a fait Serge Latouche[2] de
manière admirable. En effet, cet exemple tend à démontrer que la croissance ne
crée pas nécessairement de l'emploi et qu'elle est de plus en plus l'effet de
facteurs qui échappent aux économistes. Cette tendance financiarisée de
l'économie s'est accentuée avec l'entrée dans la phase néolibérale du
capitalisme, il n'est donc pas étonnant qu'on en soit à ce point de non-retour
aujourd'hui. Chaque système a ses limites et peut-être que le fantasme marxiste
n'est pas si loin, mais comme un cancer qui persiste le capitalisme, encore
plus dans sa phase néolibérale, fait des victimes et les travailleurs en sont
souvent les premiers infectés. En attendant un tel dénouent qui ne viendra
peut-être jamais, le triste sort des travailleurs reste aux mains de l'économie
de marché qui perd ses repères de plus en plus et les exemples pleuvent de son inefficacité,
Postes Canada est le dernier exemple en liste et la liste s'allonge. N'ayez
crainte Le Monde rappel que la
croissance se poursuivra l'année prochaine, mais de manière très limitée et que
« les salaires et la consommation restent anémiés »...
Adis Simidzija
[1] Louis Gill, 2004, « Le néolibéralisme »,
Montréal: Chaire d'études socio-économiques de l'UQÀM, 2e édition, 84 pp.
[2] Serge Latouche. 2007.
« Décroissance, plein-emploi et sortie de la société travailliste », Entropia, revue d’étude théorique et
politique de la décroissance, n° 2, 2007, p. 11-23
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