lundi 9 décembre 2013


 

La dépermanisation de l’emploi en Algérie

Dans cet article, il est question  du travail précaire qui touche des milliers des jeunes en Algérie. Depuis le début des années 2000, le gouvernement algérien a mis en place un dispositif pour permettre à des milliers jeunes titulaires de diplômes universitaires ou fraîchement sortis des centres de formation professionnelle d’intégrer le marché de travail. Cette formule permettait aux employeurs surtout dans le secteur privé d’embaucher ces jeunes chômeurs dans le cadre des contrats pré emplois renouvelables[1]. Ce dispositif visait surtout à diminuer le taux de chômage qui s’élevait à plus de 30%. La bonne santé financière de l’État algérien à partir des années 2000, due essentiellement à l’augmentation du prix du pétrole, a permis le financement de ce programme de recrutement en assurant une partie du salaire de ces employés contractuels. À cet effet, ces jeunes diplômés ont bénéficié de différents types de contrats de pré-emploi renouvelables dans le secteur public et privé. Ce programme ressemble beaucoup au programme d'aide à l'intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME) initié par le gouvernement du Québec. Celui-ci s’engage à verser aux employeurs, qui recrutent cette catégorie de la population,  une subvention salariale pour chaque recrue, jusqu’à 30 semaines et exceptionnellement, jusqu’à 52 semaines, en plus d’autres avantages fiscaux[2]. Cet exemple montre que, malgré la différence des contextes socio-économiques, les deux pays (Algérie et Canada «Québec)) adoptent des stratégies similaires pour faciliter le recrutement des chômeurs dans le secteur privé.

En Algérie, ces jeunes employés sont confrontés à divers problèmes liés à leur statut dans l’entreprise. Ils subissent quotidiennement de graves dépassements de la part des employeurs privés dont la plupart ne s’acquittent pas du versement de l’indemnité prévue dans leur contrat de travail. D’après Amina, employée dans une école maternelle, l’agence nationale de l’emploi(ANEM) verse mensuellement une somme de 12 000 dinars algériens (équivalent de 120 dollars canadiens) aux employés et l’employeur privé doit s’acquitter du reste de la somme pour atteindre au moins le SNMG (le salaire national minimum  garanti). Toutefois, la plupart des chefs d’entreprise (de PME en particulier) font fi de la réglementation et ne respectent pas cette disposition.

 En plus de leur salaire dérisoire, les employés contractuels sont surexploités par les patrons. Souvent, ils sont contraints de travailler même le week-end sans toucher de prime pour ce surplus de travail. Selon le témoignage d’une jeune employée dans une structure d’entretien : «Nous effectuons le même travail que nos collègues titulaires. Nous sommes aussi compétents qu’eux, mais si l’un de nous réclame un jour de repos ou une prime après un quelconque effort supplémentaire, le patron menace de mettre fin au contrat et de nous faire remplacer le lendemain»[3]. De ce fait, Les employés sont condamnés au silence par peur de perdre le petit salaire et la sécurité sociale dont ils bénéficient. Devant la passivité des pouvoirs publics, la majorité des chefs d’entreprises privées recourent de plus en plus à ce type de recrutement pour s’assurer une main-d’œuvre gratuite et tirer profit des avantages fiscaux.

Le cas des employés contractuels en Algérie rejoint la thèse de Robert Castel sur le travail atypique. Castel affirme que même si le contrat de durée indéterminé demeure encore majoritaire, nous assistons de plus en plus à de nouvelles formes d’embauche dites «atypiques» d’emploi comme les CCD. Le contrat pré-emploi, utilisé en Algérie, entre dans ces formes d’emploi citées par R. Castel. Cet exemple rejoint également l’idée de R. Castel sur la généralisation de ces nouvelles formes d’emploi dans tous les secteurs d’activités[4].

Malgré toutes les promesses d’insertion, de titularisation ou d’augmentation de salaire faites par le gouvernement, la situation de ces milliers d’employés contractuels demeure précaire et vivent au quotidien la peur du licenciement. 

Depuis le début de l’année 2013, ces employés contractuels se sont organisés autour d’un comité national pour unir leurs forces pour dénoncer leur statut précaire et engager un dialogue avec les pouvoirs publics pour régler leur situation. Depuis juillet 2013, Ces employés du pré-emploi ont intensifié les manifestations publiques (marches et grèves, etc.) pour demander leur intégration, l'annulation du dispositif du pré-emploi et  ils se battent particulièrement  pour la comptabilisation de  leurs années de travail dans la retraite. Ils demandent l'ouverture d'un dialogue et la suspension des concours de recrutement jusqu'à la régularisation de la situation des contractants actuels.

Ils réclament également le respect des libertés syndicales, notamment le droit à la grève et l'arrêt de toutes les intimidations contre les jeunes syndicalistes, la réintégration de tous les syndicalistes suspendus en raison de leurs activités syndicales dans le milieu du travail. Ils dénoncent les fausses promesses faites par le ministre du Travail et le gouvernement concernant la régularisation des contractuels du pré-emploi et le manque sérieux pour prendre en charge cette catégorie socioprofessionnelle.

Ce comité a également dénoncé la situation précaire des milliers jeunes universitaires qui font l'objet d'exploitation puisqu'ils travaillent de 8h à 16h pour une petite somme attribuée comme pension de chômage et non comme un salaire. Selon une diplômée universitaire, recrutée dans le cadre du pré-emploi, le salaire varie en 5000 et 15000 DA (50 et 150 dollars canadiens) et les employés sont considérés comme des moins que rien dans le milieu professionnel. Ils servent de bouche-trous[5]. 

Après une longue attente,  les travailleurs du pré-emploi sont donc résolus à faire aboutir leurs revendications qui tournent, pour rappel, autour de l’intégration de tous les contractuels du pré-emploi dans des postes de travail permanents. De ce fait, le Comité national des travailleurs de pré-emploi a réitéré, au mois d’octobre 2013, son appel au président de la République «pour prendre une décision présidentielle relative à l’intégration des contractuels du pré-emploi dans des postes de travail permanents garantissant le droit au travail et une vie digne comme le stipule l’article 55 de la Constitution algérienne.

Pour calmer les employés et éviter l’embrasement, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, a affirmé que les bénéficiaires du dispositif du pré-emploi garderont leur travail jusqu’à leur intégration dans des emplois permanents correspondant à leur profil dans les différents secteurs d’activité[6].

En attendant le règlement de la situation, des milliers d’employés continuent de subir de graves dépassements de la part des employeurs et à vivre dans des conditions précaires. L’affaire continue d’alimenter la scène politique et sociale surtout à l’approche des élections présidentielles qui se tiendront au mois d’avril 2014.

 
Présenté par : Taleb Belaid

 

 

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[1] Le Chiffre d'Affaire.com, Quotidien Algérien de l’économie et des finances, 29 septembre 2013
[2] Le PRIIME est offert par Emploi-Québec en collaboration avec le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles et Investissement Québec.
[3]  Journal quotidien national Algérien El Watan, 15 février 2012
 
[4] Robert Castel, 2010. « Grand résumé de la montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu», Sociologies.
 
[6] Agence de presse Algérie, 4 octobre 2013

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