La dépermanisation de l’emploi en Algérie
Dans cet article, il est question du travail précaire qui touche des milliers
des jeunes en Algérie. Depuis le début des années 2000, le gouvernement
algérien a mis en place un dispositif pour permettre à des milliers jeunes titulaires de diplômes universitaires ou
fraîchement sortis des centres de formation professionnelle d’intégrer le
marché de travail. Cette formule permettait aux employeurs surtout dans le
secteur privé d’embaucher ces jeunes chômeurs dans le cadre des contrats pré emplois
renouvelables[1]. Ce dispositif visait surtout à
diminuer le taux de chômage qui s’élevait à plus de 30%. La bonne santé
financière de l’État algérien à partir des années 2000, due essentiellement à l’augmentation
du prix du pétrole, a permis le financement de ce programme de
recrutement en assurant une partie du salaire de ces employés contractuels. À
cet effet, ces jeunes diplômés ont bénéficié de différents types de contrats de
pré-emploi renouvelables dans le secteur public et privé. Ce programme
ressemble beaucoup au programme d'aide à l'intégration des
immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME) initié par le
gouvernement du Québec. Celui-ci s’engage à verser aux employeurs, qui recrutent
cette catégorie de la population, une
subvention salariale pour chaque recrue, jusqu’à 30 semaines et
exceptionnellement, jusqu’à 52 semaines, en plus d’autres avantages fiscaux[2]. Cet exemple montre
que, malgré la différence des contextes socio-économiques, les deux pays
(Algérie et Canada «Québec)) adoptent des stratégies similaires pour faciliter
le recrutement des chômeurs dans le secteur privé.
En Algérie, ces jeunes employés sont
confrontés à divers problèmes liés à leur statut dans l’entreprise. Ils subissent quotidiennement de graves dépassements de la part des
employeurs privés dont la plupart ne s’acquittent pas du versement de
l’indemnité prévue dans leur contrat de travail. D’après Amina, employée dans
une école maternelle, l’agence nationale de l’emploi(ANEM) verse mensuellement
une somme de 12 000 dinars algériens (équivalent de 120 dollars canadiens) aux
employés et l’employeur privé doit s’acquitter du reste de la somme pour
atteindre au moins le SNMG (le salaire national minimum garanti). Toutefois, la plupart des chefs
d’entreprise (de PME en particulier) font fi de la réglementation et ne
respectent pas cette disposition.
En plus de leur salaire
dérisoire, les employés contractuels sont surexploités par les patrons.
Souvent, ils sont contraints de travailler même le week-end sans toucher de
prime pour ce surplus de travail. Selon le témoignage d’une jeune employée dans
une structure d’entretien : «Nous effectuons le même travail que nos
collègues titulaires. Nous sommes aussi compétents qu’eux, mais si l’un de nous
réclame un jour de repos ou une prime après un quelconque effort
supplémentaire, le patron menace de mettre fin au contrat et de nous faire
remplacer le lendemain»[3].
De ce fait, Les employés sont condamnés au silence par peur de perdre le petit
salaire et la sécurité sociale dont ils bénéficient. Devant la passivité des pouvoirs publics, la majorité des chefs
d’entreprises privées recourent de plus en plus à ce type de recrutement pour
s’assurer une main-d’œuvre gratuite et tirer profit des avantages fiscaux.
Le cas des employés contractuels en Algérie rejoint la thèse de Robert
Castel sur le travail atypique. Castel affirme que même si le contrat de durée
indéterminé demeure encore majoritaire, nous assistons de plus en plus à de
nouvelles formes d’embauche dites «atypiques» d’emploi comme les CCD. Le
contrat pré-emploi, utilisé en Algérie, entre dans ces formes d’emploi citées
par R. Castel. Cet exemple rejoint également l’idée de R. Castel sur la
généralisation de ces nouvelles formes d’emploi dans tous les secteurs
d’activités[4].
Malgré toutes les
promesses d’insertion, de titularisation ou d’augmentation de salaire faites
par le gouvernement, la situation de ces milliers d’employés contractuels
demeure précaire et vivent au quotidien la peur du licenciement.
Depuis le début de
l’année 2013, ces employés contractuels se sont organisés autour d’un comité
national pour unir leurs forces pour dénoncer leur statut précaire et engager
un dialogue avec les pouvoirs publics pour régler leur situation. Depuis
juillet 2013, Ces
employés du pré-emploi ont intensifié les manifestations publiques (marches et
grèves, etc.) pour demander leur intégration, l'annulation du dispositif du
pré-emploi et ils se battent particulièrement pour la
comptabilisation de leurs années de travail dans la retraite. Ils
demandent l'ouverture d'un dialogue et la suspension des concours de
recrutement jusqu'à la régularisation de la situation des contractants actuels.
Ils réclament également le respect des
libertés syndicales, notamment le droit à la grève et l'arrêt de toutes les
intimidations contre les jeunes syndicalistes, la réintégration de tous les
syndicalistes suspendus en raison de leurs activités syndicales dans le milieu
du travail. Ils dénoncent les fausses promesses faites par le ministre du Travail et le gouvernement concernant la régularisation
des contractuels du pré-emploi et le manque sérieux pour prendre en charge
cette catégorie socioprofessionnelle.
Ce comité a
également dénoncé la situation précaire des milliers jeunes universitaires qui
font l'objet d'exploitation puisqu'ils travaillent
de 8h à 16h pour une petite somme attribuée comme pension de chômage et non comme un salaire. Selon une diplômée
universitaire, recrutée dans le cadre du pré-emploi, le salaire varie en 5000
et 15000 DA (50 et 150 dollars canadiens) et les employés sont considérés comme des moins que rien dans le
milieu professionnel. Ils servent de bouche-trous[5].
Après une longue attente, les travailleurs du pré-emploi sont donc
résolus à faire aboutir leurs revendications qui tournent, pour rappel, autour
de l’intégration de tous les contractuels du pré-emploi dans des postes de
travail permanents. De ce fait, le Comité national des travailleurs de
pré-emploi a réitéré, au mois d’octobre 2013, son appel au président de la
République «pour prendre une décision présidentielle relative à l’intégration
des contractuels du pré-emploi dans des postes de travail permanents
garantissant le droit au travail et une vie digne comme le stipule l’article 55
de la Constitution algérienne.
Pour
calmer les employés et éviter l’embrasement, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, a affirmé que
les bénéficiaires du dispositif du pré-emploi garderont leur travail jusqu’à
leur intégration dans des emplois permanents correspondant à leur profil dans
les différents secteurs d’activité[6].
En attendant le règlement de la
situation, des milliers d’employés continuent de subir de graves dépassements
de la part des employeurs et à vivre dans des conditions précaires. L’affaire
continue d’alimenter la scène politique et sociale surtout à l’approche des
élections présidentielles qui se tiendront au mois d’avril 2014.
[1] Le Chiffre d'Affaire.com, Quotidien Algérien de
l’économie et des finances, 29 septembre 2013
[2] Le PRIIME est offert
par Emploi-Québec en collaboration avec le ministère de l’Immigration et des
Communautés culturelles et Investissement Québec.
[3]
Journal quotidien national Algérien El Watan, 15
février 2012
[4] Robert
Castel, 2010. « Grand résumé de la montée des incertitudes. Travail,
protections, statut de l’individu», Sociologies.
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