Le conférencier
Alain Samson traite cette semaine dans sa chronique Au boulot! du journal Métro[1]
des effets néfastes de la colère en milieu de travail et de l’importance d’apprendre
à gérer ses émotions de façon discrète et constructive dans le meilleur intérêt
de sa crédibilité et de son avenir professionnel. Samson expose son point en
présentant le cas fictif de Kathleen : depuis deux semaines, Kathleen se
fait appeler « ma pitoune » à la blague par un collègue. Le quolibet
suscite une animosité grandissante chez la femme qui préfère se taire, sachant
pourtant qu’elle ne peut contenir sa colère indéfiniment et est vouée à « exploser »
avec l’accumulation. L’auteur décrit ensuite le scénario d’une Kathleen rouge
de colère, qui « fait sa crise » et perd son sang froid devant des
collègues qui la traitent d’hystérique plutôt que de penser qu’elle tente de
faire respecter ses droits. Samson poursuit en précisant que sans
nécessairement se taire, il est important d’apprendre à gérer sa colère en
milieu de travail ; que les gens ne désirent pas, la plupart du temps, manquer
de respect et qu’elle devrait plutôt avoir une conversation privée avec son
collègue pour régler la situation de façon discrète. La colère, plutôt que l’affirmation
de soi, fait perdre sa crédibilité à un employé auprès des autres.
Le message en soi
peut faire bien du sens et guider des gens pour le mieux ; la présentation de l’article
donne toutefois à une interprétation douteuse. Le choix d’une photo présentant
deux femmes jeunes, en tailleur et regardant au loin (l’entièreté de la section
sur les obstacles au travail présente par ailleurs uniquement des femmes en
difficulté), ainsi que la présentation d’une situation mettant l’emphase et
réprimandant un stéréotype féminin, ajoutent une touche implicite de sexisme à
la chronique.
Il est suggéré que certains traits
de caractère, culturellement définis comme étant typiquement masculins, tels
que l’ambition, la compétitivité ou l’agressivité franche, soient plus
valorisés en milieu de travail que d’autres, typiquement féminins tels que la
douceur, l’empathie ou la réserve. Il appert cependant que, si un homme présentant
ces caractéristiques a de meilleures chances de bien naviguer en contexte de
travail, une femme avec les mêmes traits risque plutôt de se voir stigmatisée ou
bloquée.[2]
En quoi l’attribution d’un caractère péjoratif à l’agressivité chez la femme
en milieu de travail contribue-t-elle au maintien des stéréotypes de genre et
par conséquent, est plus destructif que constructif dans l’apprentissage du
savoir-être des femmes en milieu de travail ? L’interprétation de cet article pouvant
porter à croire que le même processus de stigmatisation sexuelle est à l’œuvre,
derrière l’intention pourtant louable de fournir des outils aux travailleurs,
révèle une dynamique sous-jacente à une société qui affirme lutter pour l’égalité
des sexes. La comparaison clichée de l’interprétation des émotions masculines
et féminines, à l’avantage de l’un et au détriment de l’autre, s’avère-t-elle toujours
actuelle, légitime à soulever ou à dénoncer?
Compte tenu, en contrepartie, des
grandes avancées des femmes sur le marché du travail en termes d’occupation,
d’éducation, de gains de droits, notamment grâce aux syndicats[3]
et à des principes de discrimination positive entre autres, pourquoi la précarité est encore
en majorité le propre des femmes et pourquoi, symboliquement, ont-elles encore souvent
une valeur inférieure à celle d’un homme?
Il apparaît nécessaire d’étudier les
enjeux sur lesquels il est possible d’agir pour réduire l’écart symbolique
entre l’homme et la femme dans un même lieu professionnel, au-delà des enjeux
explicites et légaux, qui semblent régler une part seulement du problème.
Marie-Élaine Dontigny Morin
[1]
Samson, Alain. « La colère est mauvaise conseillère », Journal le Métro, lundi 2 décembre 2013.
[2]
Demers, Andrée. « Genre, ethnicité, race et santé » et « Travail
et santé », Déterminants sociaux de la santé (SOL6650). Notes de cours,
été 2013.
[3] Hunt, Gerald et David Rayside. 2000. « Labor
Union Response to Diversity in Canada and the United States », Relations industrielles/Industrial Relations,
vol. 39., p. 401-444.
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