mercredi 30 septembre 2015

Vers une semaine de 30 heures?

Considéré par plusieurs comme des modèles de sociétés assez progressistes, les pays scandinaves, avec en tête de file la Suède, sont souvent des précurseurs lorsqu’il s’agit de mettre de l’avant des politiques sociales.

                Le site The Gardian a publié le 17 septembre un article intitulé Efficiency up, turnover down: Sweden experiments with six-hour working day dans lequel il est mentionné qu’un petit groupe d’infirmières fait partie d’un projet pilote qui consiste à travailler six heures par jour tout en recevant la rémunération d’une semaine complète, soit une semaine de quarante heures. On y explique que cette initiative a pour but de modifier le rapport au travail et à la vie de famille. Cette expérimentation menée depuis déjà quelques années dans le pays a été délaissée par les gouvernements de droite qui se sont succédé à la tête du pays pendant près d’une décennie.  Les employées interrogées vantent la nouvelle mesure qui leur permet d’être plus alertes et plus productif-ves au travail tout en permettant de se consacrer davantage à la famille, aux amiEs ou aux activités extra travail. La Suède menait déjà des expériences sur la semaine de trente heures lors de la décennie 90, mais lors de l’entrée de la droite au parlement en 2005, le gouvernement a mis fin à celles-ci et réinstauré la semaine de quarante heures au sein des entreprises concernées. Le discours récurrent était de sensibiliser la population aux coûts trop élevés qu’engendrerait cette politique si elle était appliquée à l’ensemble du pays. À l’heure actuelle, les syndicats et les partis de gauche tentent à nouveau de mettre cette politique à l’agenda.

                Si la droite argue que l’augmentation des coûts, de la semaine de trente heures payées quarante, serait économiquement insoutenable, certaines entreprises ainsi que les travailleurs-euses semblent converger dans l’appui de cette mesure. D’une part, les entreprises y voient la possibilité d’augmenter la productivité –la contribution marginale de chaque employée serait moins faible-, la créativité et même d’embaucher des candidats de premier choix, aussi bien sur le plan national qu’international. D’autre part, d’un point de vue individuel, les travailleuses et les travailleurs ressentent moins de fatigue, se considère davantage motivéEs et apprécient les possibilités que permettent les heures en moins passées au travail. À long terme, il ne faudrait pas non plus négliger les potentialités de réduction du nombre d’arrêts de travail pour cause de maladie(s), de blessure(s) voire d’absentéisme. Qui plus est, bien que cette possibilité soit moins certaine, cette politique pourrait augmenter le nombre de personnes sur le marché du travail.

                Si les potentialités sont intéressantes, les dérives possibles demeurent. D’abord, il y a un risque certain que les employeurs et employeuses soient plus exigentEs quant au rendement de leurs employées puisqu’il-elles seraient payéEs le même salaire pour un nombre d’heures inférieures. Ainsi, nous pourrions voir à l’œuvre de nouveaux mécanismes de gestion néolibérale de l’entreprise ou bien le renforcement des modalités déjà existantes, tels que l’autocontrôle (Dardot et Laval 2009). Par ailleurs, il se pourrait que les entreprises emploient un nombre plus important de personnes, mais que celles-ci soient soumises à des contrats déterminés ou à du temps partiel. Cette situation accentuerait le nombre de personnes se retrouvant en périphérie du marché du travail à défaut d’avoir accès au cœur (Durand 2004) en plus de permettre de contourner la politique mise en place par le gouvernement. En effet, considérant la législation comme trop couteuse, les entreprises pourraient recourir au « jeu de l’externalisation de la main-d’œuvre, en ayant recours à la sous-traitance, aux agences d’intérim et aux travailleurs indépendants, ou par l’utilisation de contrats temporaires ou encore en ne respectant pas la loi sur les normes du travail à l’égard de leurs salariés » (Yerochewski et coll., 136). Cette stratégie pourrait effectivement réduire le nombre de personnes ayant accès à l’ensemble des avantages sociaux et des protections sociales. Ainsi, en résulterait donc une augmentation du nombre de travailleurs et de travailleuses pauvres soumis à un statut précaire.

Références :

Dardot et Laval. 2009. « Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la gestion néolibérale de l’entreprise », dans la nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314

Durand, Jean-Pierre. 2004. « Introduction » et « Fragmentation des marchés du travail et mobilisation des salariés »,  dans  la chaîne invisible, travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18; 175-206


Yerochewski, Carole, E. Galerand, F. Lesemann, Y. Noiseux, S. Soussi et L. St-Germain.  « Non qualifié les travailleurs pauvres ? », dans la crise des emplois non qualifiés (sous la direction de S. Amine). Montréal : Presses internationales polytechniques. Pp. 125-155

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