Considéré par
plusieurs comme des modèles de sociétés assez progressistes, les pays
scandinaves, avec en tête de file la Suède, sont souvent des précurseurs
lorsqu’il s’agit de mettre de l’avant des politiques sociales.
Le
site The Gardian a publié le 17 septembre un article intitulé Efficiency up, turnover down: Sweden
experiments with six-hour working day dans lequel il est mentionné qu’un
petit groupe d’infirmières fait partie d’un projet pilote qui consiste à
travailler six heures par jour tout en recevant la rémunération d’une semaine
complète, soit une semaine de quarante heures. On y explique que cette
initiative a pour but de modifier le rapport au travail et à la vie de famille.
Cette expérimentation menée depuis déjà quelques années dans le pays a été
délaissée par les gouvernements de droite qui se sont succédé à la tête du pays
pendant près d’une décennie. Les employées
interrogées vantent la nouvelle mesure qui leur permet d’être plus alertes et
plus productif-ves au travail tout en permettant de se consacrer davantage à la
famille, aux amiEs ou aux activités extra travail. La Suède menait déjà des
expériences sur la semaine de trente heures lors de la décennie 90, mais lors
de l’entrée de la droite au parlement en 2005, le gouvernement a mis fin à
celles-ci et réinstauré la semaine de quarante heures au sein des entreprises
concernées. Le discours récurrent était de sensibiliser la population aux coûts
trop élevés qu’engendrerait cette politique si elle était appliquée à
l’ensemble du pays. À l’heure actuelle, les syndicats et les partis de gauche
tentent à nouveau de mettre cette politique à l’agenda.
Si
la droite argue que l’augmentation des coûts, de la semaine de trente heures
payées quarante, serait économiquement insoutenable, certaines entreprises
ainsi que les travailleurs-euses semblent converger dans l’appui de cette
mesure. D’une part, les entreprises y voient la possibilité d’augmenter la
productivité –la contribution marginale de chaque employée serait moins faible-,
la créativité et même d’embaucher des candidats de premier choix, aussi bien
sur le plan national qu’international. D’autre part, d’un point de vue
individuel, les travailleuses et les travailleurs ressentent moins de fatigue,
se considère davantage motivéEs et apprécient les possibilités que permettent
les heures en moins passées au travail. À long terme, il ne faudrait pas non
plus négliger les potentialités de réduction du nombre d’arrêts de travail pour
cause de maladie(s), de blessure(s) voire d’absentéisme. Qui plus est, bien que
cette possibilité soit moins certaine, cette politique pourrait augmenter le
nombre de personnes sur le marché du travail.
Si
les potentialités sont intéressantes, les dérives possibles demeurent. D’abord,
il y a un risque certain que les employeurs et employeuses soient plus
exigentEs quant au rendement de leurs employées puisqu’il-elles seraient payéEs
le même salaire pour un nombre d’heures inférieures. Ainsi, nous pourrions voir
à l’œuvre de nouveaux mécanismes de gestion néolibérale de l’entreprise ou bien
le renforcement des modalités déjà existantes, tels que l’autocontrôle (Dardot
et Laval 2009). Par ailleurs, il se pourrait que les entreprises emploient un
nombre plus important de personnes, mais que celles-ci soient soumises à des
contrats déterminés ou à du temps partiel. Cette situation accentuerait le
nombre de personnes se retrouvant en périphérie du marché du travail à défaut
d’avoir accès au cœur (Durand 2004) en plus de permettre de contourner la
politique mise en place par le gouvernement. En effet, considérant la législation
comme trop couteuse, les entreprises pourraient recourir au « jeu de
l’externalisation de la main-d’œuvre, en ayant recours à la sous-traitance, aux
agences d’intérim et aux travailleurs indépendants, ou par l’utilisation de
contrats temporaires ou encore en ne respectant pas la loi sur les normes du
travail à l’égard de leurs salariés » (Yerochewski et coll., 136). Cette
stratégie pourrait effectivement réduire le nombre de personnes ayant accès à
l’ensemble des avantages sociaux et des protections sociales. Ainsi, en
résulterait donc une augmentation du nombre de travailleurs et de travailleuses
pauvres soumis à un statut précaire.
Références :
Dardot et Laval. 2009. «
Discipline (1) : un nouveau système de disciplines » et « Discipline (3) : la
gestion néolibérale de l’entreprise », dans la nouvelle raison du monde : essai
sur la société néolibérale, La Découverte, Paris. Pp. 299-306; 309-314
Durand, Jean-Pierre. 2004. «
Introduction » et « Fragmentation des marchés du travail et mobilisation des
salariés », dans la chaîne invisible, travailler aujourd’hui :
flux tendu et servitude volontaire, Éditions du Seuil, Paris. Pp. 11-18;
175-206
Yerochewski, Carole, E. Galerand,
F. Lesemann, Y. Noiseux, S. Soussi et L. St-Germain. « Non qualifié les travailleurs pauvres ? »,
dans la crise des emplois non qualifiés (sous la direction de S. Amine).
Montréal : Presses internationales polytechniques. Pp. 125-155
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