mercredi 16 septembre 2015

Coup d'épée dans l'eau ?

Qu’elles travaillent dans leur pays d’origine ou qu’elles aient opté pour l’expatriation, les travailleuses domestiques sont généralement employées par des ménages privés aux revenus élevés afin de prendre en charge l’ensemble des tâches qui autrefois reposait sur les épaules des épouses : ménage, soins des enfants et parents âgés, etc. Cependant, en l’absence de règles claires (le travail domestique n’étant généralement pas couvert par le Code du travail), nombre de ces employeurs peuvent user d’un pouvoir quasi sans limites sur les femmes qu’ils embauchent. Au cours des dernières années, plusieurs scandales au Canada ont par ailleurs mis en lumière les risques inhérents au Programme d’aide familiale résidente, tant en termes de conditions d’emploi abusives (voir esclavagistes) que de risques pour la santé physique et psychologique des travailleuses.

Les travailleuses domestiques, sur lesquelles reposent l’ensemble des responsabilités du ménage qui les emploie, effectuent un travail invisible qui peine à être reconnu. Qu’elles occupent ce métier par choix ou contrainte, il convient de le rappeler, ces femmes assurent, à la sueur de leur front, le maintien d’un certain ordre social. Ainsi, même si elles ne contribuent pas à la production matérielle, elles participent activement à l’économie en dégageant leurs employeurs de certaines responsabilités, afin que ces derniers puissent y participer de façon plus explicite. Il est donc ridicule de penser que leur fonction devrait être subordonnée dans nos sociétés. Pourtant, ces femmes font partie des groupes les moins reconnus socialement et dont les bénéfices d’emploi sont les plus minces, surtout lorsqu’elles travaillent dans les pays occidentalisés. Leurs salaires sont plus souvent qu'autrement en déca du salaire minimum en vigueur, et leurs droits sociaux sont généralement quasi inexistants. Plusieurs dynamiques sont à l’œuvre dans la pérennité d’un tel système, mais il est clair que sans le renversement d’un programme néolibéral qui nie les inégalités de pouvoir des différents acteurs sur le marché du travail, peu d’avancées seront réalisées.

Depuis le début de l’été, le collectif International Domestic Workers Association tient une campagne inusitée dans le but d’agir sur les conditions de travail délétères des travailleuses domestiques. La campagne My Fair Home (http://idwfed.org/myfairhome) a pour objectif de faire naître ou d’exposer des solidarités existantes entre les employeurs et les aides qu’ils embauchent. Les employeurs sont appelés à télécharger une trousse contenant une pancarte indiquant qu’ils supportent et s’engagent à appliquer certains principes (salaire minimum, accès à des soins de santé, absence d’abus et de violence, présence de temps libres)..., à se prendre en photo et à publiciser cette dernière sur les réseaux sociaux. Il faut rappeler que ces employeurs ne sont pas tenus légalement de respecter ces conditions. La campagne My Fair Home joue donc sur la moralité des employeurs: ces derniers devraient faire preuve d’humanité dans leur rapport avec la travailleuse, mettre fin à leur égoïsme et enfin reconnaître leur responsabilité dans l’amélioration de la qualité de vie de leur employée. En jouant sur ce front, la campagne vise ainsi à mettre en lumière des formes de résistance à l’idéologie néolibérale, en espérant en entraîner de nouvelles dans son sillage afin que celles-ci deviennent des forces subversives.

Toutefois, force est de constater que deux mois après le lancement de la campagne, les résultats demeurent ténus. Sur le site, seule une poignée de personnes ont répondu à l’appel. Ce qu’on constate ici, c’est l’échec d’une démarche moraliste qui s’appuie uniquement sur les responsabilités individuelles. Sans nier les possibilités de prise de conscience et de changement que peut apporter la campagne, il n’en demeure pas moins que les États sont les principaux détenteurs d’un pouvoir pouvant corriger la situation, et ce, dans une perspective de défense des droits des travailleuses, mais ultimement aussi de l’intérêt public. Car sans ces travailleuses, je doute que notre société puisse se tenir comme nous le pensons.


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Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris, p. 11-15
Villermé, Louis-René. 1986 [1840]. Tableaux de l’état physique et moral des salariés en France, La Découverte, Paris. Pp. 188-194.


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