Qu’elles
travaillent dans leur pays d’origine ou qu’elles aient opté pour
l’expatriation,
les
travailleuses domestiques
sont généralement employées par des ménages privés
aux
revenus élevés afin de prendre en charge l’ensemble des tâches
qui autrefois reposait sur les épaules des épouses : ménage,
soins des enfants et parents âgés, etc. Cependant, en l’absence
de règles claires (le travail domestique n’étant généralement
pas couvert par le Code du travail), nombre de ces employeurs peuvent
user d’un pouvoir quasi sans limites sur les femmes qu’ils
embauchent. Au cours des dernières années, plusieurs scandales au Canada ont par ailleurs mis en
lumière les risques inhérents au Programme d’aide familiale
résidente, tant en termes de conditions d’emploi abusives (voir
esclavagistes) que
de risques pour la santé physique et psychologique des
travailleuses.
Les
travailleuses domestiques, sur lesquelles reposent l’ensemble des
responsabilités du ménage qui les emploie, effectuent un
travail invisible qui peine à être reconnu. Qu’elles
occupent ce métier par choix ou contrainte, il
convient de le rappeler, ces femmes assurent, à la sueur de leur
front, le maintien d’un certain ordre social. Ainsi, même si elles
ne contribuent pas à la production matérielle, elles participent
activement à l’économie en dégageant leurs employeurs de
certaines responsabilités, afin que ces derniers puissent y
participer de façon plus explicite.
Il
est donc ridicule de penser que leur fonction devrait être
subordonnée dans nos sociétés. Pourtant, ces femmes font partie
des groupes les moins reconnus socialement et dont les bénéfices
d’emploi sont les plus minces, surtout
lorsqu’elles travaillent dans les pays occidentalisés. Leurs
salaires sont plus souvent qu'autrement en déca du salaire minimum en vigueur, et
leurs droits sociaux sont généralement quasi inexistants. Plusieurs
dynamiques sont à l’œuvre dans la pérennité d’un tel système,
mais il est clair que sans le renversement d’un programme
néolibéral qui nie les inégalités de pouvoir des différents
acteurs sur le marché du travail, peu d’avancées seront
réalisées.
Depuis
le début de l’été, le collectif International
Domestic
Workers
Association
tient une campagne inusitée dans le but d’agir sur les conditions
de travail délétères des
travailleuses domestiques. La
campagne My Fair Home (http://idwfed.org/myfairhome)
a pour objectif de faire naître ou d’exposer des solidarités existantes entre les employeurs et les aides qu’ils embauchent. Les employeurs
sont appelés à télécharger une trousse contenant une pancarte
indiquant qu’ils supportent et s’engagent
à appliquer certains principes (salaire
minimum, accès à des soins de santé, absence d’abus et de
violence, présence de temps libres)...,
à se prendre en photo et à publiciser cette dernière sur les réseaux sociaux.
Il
faut rappeler que ces employeurs ne sont pas tenus légalement de
respecter ces conditions. La
campagne My
Fair Home
joue donc sur la moralité des employeurs: ces
derniers devraient faire preuve d’humanité dans leur rapport avec
la travailleuse, mettre fin à leur égoïsme et enfin reconnaître leur
responsabilité dans l’amélioration de la qualité de vie de leur
employée. En
jouant sur ce front, la
campagne
vise ainsi à
mettre en lumière des formes de résistance à l’idéologie
néolibérale, en espérant en entraîner de nouvelles dans son
sillage
afin que celles-ci deviennent des forces subversives.
Toutefois,
force est de constater que deux mois après le lancement de la
campagne, les résultats demeurent ténus. Sur le site, seule
une poignée de
personnes ont répondu à l’appel. Ce qu’on constate ici, c’est
l’échec d’une démarche moraliste qui s’appuie uniquement sur
les responsabilités individuelles. Sans nier les possibilités de
prise de conscience et de changement que peut apporter la campagne,
il n’en demeure pas moins que les États sont les principaux
détenteurs d’un pouvoir pouvant corriger la situation, et ce, dans
une perspective de défense des droits des travailleuses, mais
ultimement aussi de l’intérêt public. Car sans ces travailleuses,
je doute
que notre société puisse se tenir comme nous le pensons.
+++++
Bourdieu, Pierre. Mars 1998. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, Paris,
p. 11-15
Villermé, Louis-René. 1986 [1840]. Tableaux de l’état physique et moral des salariés en France, La
Découverte, Paris. Pp. 188-194.
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