dimanche 27 septembre 2015

Uber : Entre progrès et déjà-vu



Uber : Entre progrès et déjà-vu




La DeLorean, utilisée pour voyager dans le temps dans le film Back to the Future (1985).
Source : http://nerdapproved.com/misc-weirdness/win-a-delorean/


Il faut se l'avouer, ces dernières années, les nouvelles entreprises dites d'économie du partage telles qu'AirBnb et Uber sont venues bouleverser le paysage économique tel que nous le connaissons.  Leur succès est retentissant. En France, on parle carrément d'une révolution dans le domaine de la consommation de services, une révolution qui rime avec bas prix et efficacité (Le Figaro, 2015).
Cependant, quoiqu'un grand nombre de consommateurs voit cette récente éclosion d'un œil favorable, elle continue à faire couler beaucoup d'encre dans les salles de médias de même que dans les édifices gouvernementaux. En effet, ce type d'économie vient chavirer tant la façon de consommer les services que l'organisation du travail derrière cette offre alléchante, d'où un casse-tête imposant sur le plan du droit du travail entre autres. 

Dans un article en ligne du journal The Guardian, il est question d'une poursuite dont le service de transport Uber est l'objet de la part d'un syndicat de chauffeurs professionnels au Royaume-Uni. Le syndicat reproche à l'entreprise de ne pas respecter les lois en matière de salaire minimum, de sécurité et de santé des travailleurs qu'elle paie, travailleurs qui seraient des employés de la firme si on s'en fie à l'analyse que fait la poursuite du rapport salarial qui les unit. Uber, pour sa part, vante les mérites de la liberté des travailleurs qui utilisent son application, les décrivant comme «leurs propres patrons».
En ce qui me concerne, je vois Uber comme une façon d'organiser le travail dont aurait pu bénéficier le secteur du taxi déjà existant afin d'améliorer son fonctionnement. Le recours à une application accessible aux détenteurs de téléphones intelligents est effectivement une façon de rejoindre le consommateur qui suit le sens général du développement des technologies de l'information dans l'expérience de consommation. Quant aux chauffeurs, cela constitue aussi un outil de travail relativement simple et accessible pour eux. Un tel système me fait penser à un projet qui ne dépasse pas le statut de rumeur pour l'instant dans certains CLSC de Montréal, soit l'utilisation de tablettes électroniques reliées à Internet par les employés devant fréquemment se rendre au domicile de patients et usagers de services. De cette façon, ils pourraient passer plus de temps sur la route et moins dans un édifice centralisé.

Ce système implique toutefois que l'employé en question soit justement employé, avec toutes les protections que cela implique. Des protections, soit dit en passant, qui ont pris des décennies de revendications acharnées de la part des travailleurs et travailleuses avant d'être obtenues, quoique qu'elles ne doivent pas être considérées acquises. Le fonctionnement d'Uber, que l'entreprise compare à de la liberté me rappelle plus les débuts de l'industrialisation, où les travailleurs étaient réduits à des individus impuissants et isolés qui devaient négocier leurs conditions avec leur employeur. Bien sûr, on ne peut pas mettre ces deux situations sur un pied d'égalité, mais la situation d'emploi instable et précaire est commune. Comme il en est mention dans l'article, les chauffeurs doivent travailler un nombre d'heures démesuré s'ils veulent être en mesure de couvrir leurs dépenses liées à l'utilisation de l'application, leurs dépenses courantes et les frais absorbés par l'entreprise (de 20 à 25% de chaque course à Londres). 

Dans cette optique, je vois le service comme une mesure plus alléchante pour des travailleurs qui ont déjà une sécurité d'emploi ailleurs et qui souhaitent arrondir leurs fins de mois, alors que le prix de la vie ne cesse d'augmenter et que les salaires stagnent depuis plusieurs années. Les consommateurs du service en ont aussi pour leur argent puisqu'ils paient moins cher. Par contre, les chauffeurs de taxi dits professionnels sont alors confrontés à une concurrence déloyale et non réglementée et leur situation, déjà peu enviable, risque de s'amenuiser. Cela me fait beaucoup penser à un documentaire (The True Cost) que j'ai vu récemment sur l'industrie du fast-fashion : les grandes chaînes de vêtements forcent des usines du tiers-monde à produire plus (donc à affaiblir les conditions de travail, permis grâce à l'absence de réglementation solide) pour offrir un produit moins cher aux consommateurs des pays riches. Or, un tel système force les autres usines à diminuer à leur tour les conditions des ouvriers pour demeurer compétitifs. Dans notre système économique mondialisé, nous sommes tous interdépendants et il ne faut pas oublier que souvent, le bien des uns ne fait pas nécessairement le bien des autres et, par effet boomerang, le leur non plus en fin de compte. Il faut penser la consommation et la production collectivement.

Je considère donc Uber comme étant ni une option viable pour les travailleurs, ni pour les consommateurs. Le service, tel qu'il fonctionne actuellement, ne permet pas de solutionner les problèmes plus larges de la précarisation du travail et de l'appauvrissement de la classe moyenne, entres autres. Elle vient à l'opposé redonner de la légitimité à la déréglementation du travail, au travail informel et à la déresponsabilisation de l'entreprise privée à l'endroit de la situation des travailleurs, vu comme un ensemble collectif et non isolément comme elle tente de présenter la situation. Le vernis humanisant du terme économie du partage, dans ce cas, est instrumentalisé au profit d'attaques à l'endroit des conditions de travail.

Pour conclure, je souhaite lancer la réflexion sur la question de l'économie du partage, qui demeure un concept digne d'intérêt et même porteur d'espoir si cela peut réduire l'emprise des grandes multinationales. Par exemple, AirBnb me semble constituer une option intéressante en venant remettre en question le modèle des grands hôtels, gourmand en ressources matérielles et environnementales. Est-il possible, selon un tel modèle de partage, d'organiser des formes de travail qui assurent la sécurité et la subsistance des travailleurs à l'intérieur même du système économique actuel? Ce modèle est-il condamner à rester marginal? Faut-il plutôt réformer, voire remplacer le système actuel pour lui permettre un essor plus avantageux pour tous?

William Briand
Le 27 septembre 2015


Références
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Article :
http://www.theguardian.com/technology/2015/jul/29/uber-legal-action-uk-drivers-rights

Autres références :
http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/07/12/32001-20150712ARTFIG00145-les-francais-adherent-de-plus-en-plus-a-l-economie-du-partage.php
http://truecostmovie.com/

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