Uber : Entre progrès et déjà-vu
La DeLorean, utilisée pour voyager dans le temps dans le film Back to the Future (1985).
Source : http://nerdapproved.com/misc-weirdness/win-a-delorean/
Il faut se l'avouer, ces dernières années, les
nouvelles entreprises dites d'économie du
partage telles qu'AirBnb et Uber sont
venues bouleverser le paysage économique tel que nous le connaissons. Leur succès est retentissant. En France, on
parle carrément d'une révolution dans le domaine de la consommation de
services, une révolution qui rime avec bas prix et efficacité (Le Figaro, 2015).
Cependant, quoiqu'un grand nombre de consommateurs
voit cette récente éclosion d'un œil favorable, elle continue à faire couler
beaucoup d'encre dans les salles de médias de même que dans les édifices
gouvernementaux. En effet, ce type d'économie
vient chavirer tant la façon de consommer les services que l'organisation du
travail derrière cette offre alléchante, d'où un casse-tête imposant sur le
plan du droit du travail entre autres.
Dans un article en ligne du journal The Guardian,
il est question d'une poursuite dont le service de transport Uber est l'objet de la part d'un
syndicat de chauffeurs professionnels au Royaume-Uni. Le syndicat reproche à
l'entreprise de ne pas respecter les lois en matière de salaire minimum, de
sécurité et de santé des travailleurs qu'elle paie, travailleurs qui seraient
des employés de la firme si on s'en fie à l'analyse que fait la poursuite du
rapport salarial qui les unit. Uber,
pour sa part, vante les mérites de la liberté des travailleurs qui utilisent
son application, les décrivant comme «leurs propres patrons».
En ce qui me concerne, je vois Uber comme une façon d'organiser le travail dont aurait pu
bénéficier le secteur du taxi déjà existant afin d'améliorer son
fonctionnement. Le recours à une application accessible aux détenteurs de
téléphones intelligents est
effectivement une façon de rejoindre le consommateur qui suit le sens général
du développement des technologies de l'information dans l'expérience de
consommation. Quant aux chauffeurs, cela constitue aussi un outil de travail
relativement simple et accessible pour eux. Un tel système me fait penser à un
projet qui ne dépasse pas le statut de rumeur pour l'instant dans certains CLSC
de Montréal, soit l'utilisation de tablettes électroniques reliées à Internet par
les employés devant fréquemment se rendre au domicile de patients et usagers de
services. De cette façon, ils pourraient passer plus de temps sur la route et
moins dans un édifice centralisé.
Ce système implique toutefois que l'employé en question
soit justement employé, avec toutes
les protections que cela implique. Des protections, soit dit en passant, qui
ont pris des décennies de revendications acharnées de la part des travailleurs
et travailleuses avant d'être obtenues, quoique qu'elles ne doivent pas être
considérées acquises. Le fonctionnement d'Uber,
que l'entreprise compare à de la liberté me rappelle plus les débuts de
l'industrialisation, où les travailleurs étaient réduits à des individus
impuissants et isolés qui devaient négocier leurs conditions avec leur
employeur. Bien sûr, on ne peut pas mettre ces deux situations sur un pied
d'égalité, mais la situation d'emploi instable et précaire est commune. Comme
il en est mention dans l'article, les chauffeurs doivent travailler un nombre
d'heures démesuré s'ils veulent être en mesure de couvrir leurs dépenses liées
à l'utilisation de l'application, leurs dépenses courantes et les frais
absorbés par l'entreprise (de 20 à 25% de chaque course à Londres).
Dans cette optique, je vois le service comme une
mesure plus alléchante pour des travailleurs qui ont déjà une sécurité d'emploi
ailleurs et qui souhaitent arrondir leurs fins de mois, alors que le prix de la
vie ne cesse d'augmenter et que les salaires stagnent depuis plusieurs années. Les
consommateurs du service en ont aussi pour leur argent puisqu'ils paient moins
cher. Par contre, les chauffeurs de taxi dits professionnels sont alors confrontés à une concurrence déloyale et non
réglementée et leur situation, déjà peu enviable, risque de s'amenuiser. Cela
me fait beaucoup penser à un documentaire (The
True Cost) que j'ai vu récemment sur l'industrie du fast-fashion : les grandes chaînes de vêtements forcent des usines
du tiers-monde à produire plus (donc à affaiblir les conditions de travail,
permis grâce à l'absence de réglementation solide) pour offrir un produit moins
cher aux consommateurs des pays riches. Or, un tel système force les autres
usines à diminuer à leur tour les conditions des ouvriers pour demeurer
compétitifs. Dans notre système économique mondialisé, nous sommes tous
interdépendants et il ne faut pas oublier que souvent, le bien des uns ne fait
pas nécessairement le bien des autres et, par effet boomerang, le leur non plus
en fin de compte. Il faut penser la consommation et la production
collectivement.
Je considère donc Uber
comme étant ni une option viable pour les travailleurs, ni pour les
consommateurs. Le service, tel qu'il fonctionne actuellement, ne permet pas de
solutionner les problèmes plus larges de la précarisation du travail et de
l'appauvrissement de la classe moyenne, entres autres. Elle vient à l'opposé
redonner de la légitimité à la déréglementation du travail, au travail informel
et à la déresponsabilisation de l'entreprise privée à l'endroit de la situation
des travailleurs, vu comme un ensemble collectif et non isolément comme elle
tente de présenter la situation. Le vernis humanisant du terme économie du partage, dans ce cas, est
instrumentalisé au profit d'attaques à l'endroit des conditions de travail.
Pour conclure, je souhaite lancer la réflexion sur la
question de l'économie du partage, qui
demeure un concept digne d'intérêt et même porteur d'espoir si cela peut
réduire l'emprise des grandes multinationales. Par exemple, AirBnb me semble constituer une option
intéressante en venant remettre en question le modèle des grands hôtels,
gourmand en ressources matérielles et environnementales. Est-il possible, selon
un tel modèle de partage, d'organiser
des formes de travail qui assurent la sécurité et la subsistance des
travailleurs à l'intérieur même du système économique actuel? Ce modèle est-il
condamner à rester marginal? Faut-il plutôt réformer, voire remplacer le
système actuel pour lui permettre un essor plus avantageux pour tous?
William Briand
Le 27 septembre 2015
Références
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Article :
http://www.theguardian.com/technology/2015/jul/29/uber-legal-action-uk-drivers-rights
Autres
références :
http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/07/12/32001-20150712ARTFIG00145-les-francais-adherent-de-plus-en-plus-a-l-economie-du-partage.php
http://truecostmovie.com/
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