Front commun syndical, manque de vision à l'ère de l'austérité ?
Préoccupés
par la précarisation du travail et les inégalités sociales croissantes à l’ère
de l’austérité, avides d’informations sur ces sujets, nous nous sommes réjouis
en constatant que Le Devoir dédiait un cahier de son édition des 12 et
13 septembre derniers au syndicalisme. Hélas, cette réjouissance fut de
courte durée ; la lecture des six articles du dossier nous laissa quelque
peu perplexes, pour ne pas dire déçus, sur le manque de vision et de combattivité ainsi que sur le corporatisme du front commun syndical 2015.
Rappelons
que le front commun syndical 2015 est formé par le Secrétariat intersyndical
des services publics (SISP) - qui réunit à son tour la Centrale des syndicats
du Québec (CSQ) , l’Alliance du personnel professionnel et technique de santé
et des services sociaux (APTS) ainsi que le Syndicat de la fonction publique et
parapublique du Québec (SFPQ) - la Confédération des syndicats nationaux
(CSN) et la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec)
et qu’il a comme but d’établir un rapport de force pour négocier les
conventions collectives, échues depuis le 31 mars 2015, de 400 000
travailleurs du secteur public québécois.
Du sens du travail
De
manière unanime, les membres du front commun décrient le fait que ces travailleurs
gagnent 7.6% de moins que les autres travailleurs au Québec et que les offre
d’augmentation salariales du gouvernement Couillard (notamment de 1% sur 3 ans
pour le SPFQ et la FTQ ou 3% sur 5 ans pour l’APTS) (1) correspondent plutôt à une diminution de
salaire puisqu’elles sont inférieures à l’augmentation du coût de la vie.
Sans surprise, la sous-traitance est critiquée car elle coute plus cher à
l’État et ne garantit pas la qualité des services à la population. Quant
aux conditions de travail, Carolle Dubé de présidente de l’APTS et Daniel
Boyer, président de la FTQ, concordent pour dire que les travailleurs
souhaitent plus d’autonomie dans leur travail. (2) Ce constat ne
semble malheureusement pas mener à une réflexion plus profonde sur le sens du
travail. D’après la sociologue du travail Erbes-Séguin, « (…) depuis
le milieu des années 1970, (…) l’enjeu principal des relations de travail
collectives de travail cesse d’être le salaire et le pouvoir d’achat, pour
devenir le partage de l’emploi disponible. « (3). Cependant, nous ne
concevons pas que les forces syndicales, tout en dénonçant la diminution des
emplois de qualité, c’est-à-dire des postes avec de bons salaires et des conditions
de travail dignes ainsi que des postes de travail permanents, ne se prononcent
pas sur la nécessité qu’ont les travailleurs de trouver un sens dans leur
travail. Il nous semble plutôt que la majorité des personnes veulent un travail
qui leur permet de bien vivre et d’atteindre une sécurité financière, mais souhaitent
également occuper leurs journées de travail dans une activité qui a une
signification sociale. En ignorant cette question fondamentale, les syndicats
n’esquivent-ils pas une de leurs responsabilités dans la défense et
promotion des droits des travailleurs?
Et le syndicalisme de combat?
Les
syndicats du front commun semblent craindre d’être associés au syndicalisme de
combat. Louise Chabot de la CSQ, «a toujours prôné un
syndicalisme de proposition. (…) À partir du moment où il n’y a personne
de l’autre côté de la table pour nous entendre, on en revient au syndicalisme
de combat. »(4) Pour Lucie Martineau de la SPFQ, « La grève, ce n’est
pas un moyen en soi » (5) et
Daniel Boyer de la FTQ prend le soin d’affirmer que « (…) notre but n’est
pas la grève (…) ».(6) Même si les syndicats du front commun feront voter
des mandats de grève à leurs membres très prochainement, si ce n’est déjà fait,
ils semblent presque s’excuser de considérer cette option. Étant donné
l’abaissement des conditions de travail des travailleurs du secteur public et
de l’ampleur des conséquences des mesures d’austérité sur, notamment, la santé,
l’éducation et le bien-être de l’ensemble de la population québécoise, le
moment de revenir à un syndicalisme de lutte sociale n’est-il pas arrivé?
Corporatisme syndical
Nous
ne pouvons nier que les syndicats du front commun critiquent le démantèlement
des services publics et les mesures fiscales régressives qu’imposent les
gouvernements. Certains évoquent leurs inquiétudes au sujet des
conséquences sur la population de l’accessibilité aux services publics et les
coupures dans les écoles. Toutefois, le discours des syndicats demeure
corporatiste; le sort des travailleurs non syndiqués, des travailleurs migrants
temporaires et des personnes qui ne travaillent pas ne semble pas les
intéresser. Ainsi, ce sont des organismes communautaires, avec beaucoup moins
de moyens qui s’occupent de ces catégories de personnes. À titre
d’exemple, qui lutterait pour les droits des travailleurs immigrants, notamment
les travailleurs temporaires, qui vivent de nombreux dénis de droits, si l’organisme
communautaire le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants n’existait
pas? De manière plus générale, le mouvement syndical doit s’intéresser à toutes
les personnes qui vivent au Québec, travailleurs, étudiants, retraités,
chômeurs, travailleurs d’agences, immigrants temporaires ou sans statuts. Dans ce sens, nous trouvons la pensée du
philosophe André Gorz d’une grande actualité et espérons que le mouvement
syndical y puisera inspiration:
(…)le syndicat de
travailleurs est une forme périmée de syndicalisme parce qu’il n’organise il ne
regroupe que les gens qui ont un travail régulier et rémunéré et que si le
syndicalisme doit jouer un rôle comparable à celui qu’il a joué dans le passé
il faut qu’il cesse de se considérer comme un syndicat de travailleurs et se
transforme en syndicat de citoyens c’est-à-dire qu’il a pour objet non
pas de défendre l’intérêt des gens en tant que vendeurs de leur travail mais
défendre leurs intérêts en tant que citoyens et en tant que personnes
intégrales. (7)
(1)
Letarte, Martine. (2015, 12 et 13 sept.)
« Inquiétudes et mobilisations à l’APTS ».
Le Devoir (Montréal), p. I 2
Le Devoir (Montréal), p. I 2
(2)
Lafleur, Claude. (2015, 12 et 13 sept.) « Chronique
d’une catastrophe annoncée ».
Le Devoir (Montréal), p. I 4
Le Devoir (Montréal), p. I 4
(3)
Erbes-Séguin, Sabine. 2010 La
sociologie du travail (3e ed.), Collection Repères, La
Découverte, Paris Pp. 6-23
(4)
Lambert-Chan, Marie. (2015,
12 et 13 sept.) « Une lutte qui dépasse les conditions de travail ». Le Devoir (Montréal), p. I 2
(5)
Lavoie,
André. (2015, 12 et 13 sept.) « Quand l’austérité fait laloi ».
Le Devoir (Montréal), p. I 4
Le Devoir (Montréal), p. I 4
(6)
Lafleur, Claude. (2015, 12 et 13 sept.) « Chronique
d’une catastrophe annoncée ».
Le Devoir (Montréal), p. I 4
Le Devoir (Montréal), p. I 4
(7)
Handwerker, Maria (1990)
Film André Gorz, deuxième partie,
Belgique https://www.youtube.com/watch?v=hB4EeTEqLfYtps://www.youtube.com/watch?v=hB4EeTEqLfY
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